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Budget 2026 : quand François Bayrou pique le costume de président de la République

Budget 2026 : quand François Bayrou pique le costume de président de la République

Il était peut-être là, son Himalaya. Le point culminant d’une vie politique qu’il a pourtant, depuis toujours ou presque, imaginée davantage à l’Élysée qu’à Matignon. Qu’à cela ne tienne, François Bayrou a appris depuis plus d’une trentaine d’années à faire face aux contingences, capable de s’effacer, comme en 2017 ; ou de s’affirmer, comme aujourd’hui, en présentant ses mesures pour résorber le déficit de l’Etat d’ici à quatre ans. Oui, pour le Premier ministre, ce 15 juillet est un « moment de vérité » ; slogan affiché par cinq fois en lettres capitales sur le mur, les deux écrans géants et les deux pupitres qui l’entouraient. Une mise en scène digne d’un chef d’État.

Combien de temps a-t-il ardemment attendu ce jour ? Lui qui se targue d’avoir été le premier et souvent le seul à alerter le pays sur le danger létal que constitue sa dette abyssale… « Cela m’a valu des déserts politiques, mais je pense avoir raison », a-t-il susurré il y a peu à l’oreille de l’un de ses ministres.

Soudain, François Bayrou s’est transcendé. A l’Elysée, certains anticipaient sa confusion, l’imaginaient farfouillant dans ses fiches… « Ils attendent de voir s’il y a un récit, relatait, quelques heures avant la présentation du budget 2026, une ministre. Car l’émetteur compte autant que le message. » Souvenir fâcheux d’une conférence de presse sur l’immigration, entre autres, durant laquelle le ministre de l’Intérieur avait dû voler au secours du locataire de Matignon, comme perdu. Mais s’il est un art que François Bayrou maîtrise, c’est celui de la surprise, surtout quand il s’agit de faire taire les mauvaises langues. « Je crois à l’écriture. Je crois au calcul. Je crois que tous les problèmes peuvent être expliqués à tout le monde », glissait-il à L’Express il y a quelques semaines.

Le voici alors pédagogue, soucieux d’inscrire chaque demande d’économie dans un cap plus large pour le pays et les Français. C’est presque une vision de société, une vision présidentielle que le Béarnais expose. Commençant sa déclaration par un dégagement sur notre besoin « d’accélérer le réarmement pour garantir notre souveraineté et notre sécurité », François Bayrou montre qu’il fait sienne la requête d’Emmanuel Macron détaillée lors de son discours aux Armées le 13 juillet. Et dans l’entourage du président, on admet des éléments de langage et une philosophie « conformes » – jamais d’enthousiasme élyséen excessif quand il s’agit de juger un Premier ministre – aux souhaits de ce dernier. Pour la première fois, entre l’Elysée et Matignon, une accalmie.

Posture sacrificielle

Il ne lui manque que le costume. Celui de président, que ses adversaires comme ses amis les plus proches assurent qu’il lui sied bien davantage que celui de Premier ministre. François Bayrou est un homme d’horizons, de grandes lignes ; pas un mécanicien qui se plaît à mettre les mains dans le cambouis – dans le jargon, on appelle cela « les innombrables réunions interministérielles ». Faute de grives, on mange des merles : l’Histoire retiendra que c’est à Matignon qu’il entreprit son grand œuvre. Trop grand ? « Le problème, c’est que pour un projet comme celui-là, il faut une légitimité forte et aucune élection ne la lui a donnée, glisse un député LR constructif. C’est un projet présidentiel, pas un projet gouvernemental sans majorité à l’Assemblée. »

Avenue de Ségur, François Bayrou donne tout de même corps à cette haute ambition. Il adopte cette posture « sacrificielle », comme l’anticipait récemment un ancien ministre de Michel Barnier. Alors, va pour la suppression de 3000 emplois publics ou le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite. La gauche et le Rassemblement national refusent toute « année blanche », synonyme de gel des prestations sociales et du salaire des fonctionnaires ? La mesure, censée rapporter 7,1 milliards d’euros en 2026, entrera bien en vigueur. Le Palois consolide ici son image d’homme d’Etat, davantage concerné par l’intérêt général que par de vulgaires réflexes partisans. François Bayrou fait ainsi peu de cas de son allié Les Républicains (LR), hostile à la hausse des prélèvements obligatoires ou à la désindexation des retraites induites par l’année blanche.

Mercredi 9 juillet, on trinque à Matignon entre parlementaires du socle commun. La porte-parole du gouvernement Sophie Primas devise avec le patron des députés LR Laurent Wauquiez. Elle va à la pêche aux informations. « Laurent, aucune contribution des retraités n’est envisageable pour toi dans ce budget ? » Elle se heurte à un mur. Laurent Wauquiez a ce soir le tournis. François Bayrou souhaite même s’attaquer à l’abattement fiscal de 10 % dont bénéficient les retraités pour frais professionnels. Une hérésie à droite. Mais que voulez-vous, le « président Bayrou » voit plus loin ! Alors, ce n’est pas cette lettre d’un électeur à un parlementaire du socle commun, furieux contre la suppression « débile » de deux jours fériés, qui va faire peur à l’admirateur de Pierre Mendès France.

« Débile », mais maligne. Le courage n’empêche en rien la ruse. La technicité n’efface pas la politique. Comme il l’avait sans aucun doute prévu, une partie de ses opposants, au premier rang desquels Jordan Bardella, a immédiatement conspué la grande annonce du jour : cette suppression de deux jours fériés, le lundi de Pâques et le 8 mai. « Bayrou a trouvé un joli chiffon rouge qui va occuper tout le monde dans les semaines qui viennent », analyse un cadre macroniste à l’Assemblée nationale. Peut-être pour mieux, in fine, reculer, ou du moins remodeler, et faire passer la pilule de l’année blanche. Entre les imprécisions volontaires sur les niches fiscales ou encore la lutte contre la fraude sociale et les clins d’oeil à la gauche avec « la contribution de solidarité » pour « les plus hauts revenus », François Bayrou s’est encore laissé du temps pour finaliser sa copie. L’architecture, globale, équilibrée est, elle, en place et là pour durer.

Finir en « héros »

Bayrou christique. Bayrou malin. L’exposé du Premier ministre laisse en suspens l’interrogation agitant le gouvernement : à quoi joue le Béarnais ? Certains peinent à voir en lui autre chose qu’un homme politique rusé, prêt à toutes les contorsions pour se maintenir en poste à Matignon. Aux engagements martiaux de l’été suivraient forcément les renoncements de l’automne. Il faut bien sauver sa peau. D’autres décèlent dans son emphase la préparation d’un départ en beauté. « Il joue sa crédibilité politique et personnelle sur le fait de tenir, note une ministre. S’il veut se présenter en 2027, il ne peut pas reculer et passer de 40 à 10 milliards d’économies. » Un de ses collègues du gouvernement file la métaphore cinématographique : « La censure de Barnier, qui essaya de se sauver jusqu’à la fin, fut piteuse. Je préfère Belmondo dans le professionnel qui sait qu’il va se faire flinguer et marche droit vers l’hélicoptère. On pleure tous, mais c’est le héros. »



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Author : Erwan Bruckert, Paul Chaulet, Laureline Dupont

Publish date : 2025-07-15 17:58:00

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