Le 9 juillet, une photo commence à circuler sur les réseaux sociaux : celle de Domingo Tomás Domínguez, 68 ans, le visage tuméfié, l’œil droit à demi-clos par un hématome. Ce retraité de Torre Pacheco vient d’être agressé alors qu’il se promenait dans une rue de la ville, située dans la province de Murcie en Espagne. Selon son témoignage à la Garde Civile, trois jeunes hommes, « probablement d’origine nord-africaine », l’auraient violemment frappé « sans motif apparent » avant de prendre la fuite.
En quelques heures, la photo suscite un déferlement d’indignation. Sur Telegram, Facebook et X, des messages appelant à la « chasse aux immigrés » se multiplient, relayés des milliers de fois. Et ce, dans une ville où environ 30 % des 40 000 habitants sont d’origine étrangère selon l’AFP. La colère s’étend au-delà des rues de Torre Pacheco et gagne tout le pays, alimentée par une série de contenus mensongers. Deux jours plus tard, le 11 juillet, la municipalité de la ville appelait à une manifestation « contre l’insécurité », à laquelle se sont très rapidement joints des groupes d’extrême droite. Des vidéos sorties de leur contexte, des fausses arrestations, des images anciennes présentées comme récentes : en moins d’une semaine, Torre Pacheco devient l’épicentre d’une campagne de désinformation qui attise la haine.
Des photos et vidéos relayées et sorties de leur contexte
Le lendemain de l’agression, les réseaux sociaux continuent de s’enflammer. Les premiers messages accusent directement « des bandes maghrébines » d’avoir « roué de coups un vieil homme sans défense ». Mais très vite, la réalité laisse place à des fictions plus spectaculaires. Le groupe audiovisuel espagnol RTVE en a recensé plusieurs : le 10 juillet, un message sur Telegram, vu plus de 39 000 fois, affirme que huit personnes ont déjà été arrêtées, dont un « militant de Podemos » (parti d’extrême gauche espagnol) capturé par la police basque dans sa fuite. Les faits ? Trois arrestations seulement le lendemain de l’agression, toutes confirmées par la délégation du gouvernement à Murcie. L’Ertzaintza, police basque en question, n’a interpellé qu’un seul homme à Errenteria, et Podemos a immédiatement dénoncé une « pure invention ». Mais la rumeur continue de se propager, nourrissant l’idée que l’Etat « protège les immigrés ».
Le même jour, une vidéo d’une centaine de jeunes masqués, certains armés de bâtons, est partagée des milliers de fois. « Ils se préparent à chasser les Espagnols à Torre Pacheco », écrivent certains internautes. Pourtant, les détails parlent d’eux-mêmes : ces images ont été filmées en 2021 à Fuenlabrada (Madrid), en pleine pandémie, comme l’atteste l’emblème de la mairie visible sur une benne à ordures.
Dans la soirée, une autre vidéo fait le tour de TikTok. On y voit un cortège d’hommes, certains, torse nu, marchant en groupe. Une légende : « Des renforts d’extrême droite arrivent à Torre Pacheco pour défendre les habitants. » Mais ces hommes ne sont ni Espagnols, ni même en Espagne : ce sont des supporters polonais, filmés un mois plus tôt à Chorzów, avant un match de football.
Au fur et à mesure que les jours passent, chaque séquence violente trouvée sur Internet devient un prétexte. Un homme plaqué au sol en pleine rue ? « Encore un règlement de comptes à Torre Pacheco ! », s’exclament certains, même si la scène se déroule à Murcie, près de l’Hôpital IMED Virgen de la Fuensanta. Des policiers débordés par des jeunes lançant des projectiles ? La vidéo est présentée comme une preuve que la police locale « a perdu le contrôle », alors qu’elle a été filmée à Torrevieja, dans la province d’Alicante, lors d’une arrestation sans lien avec l’affaire.
Des affrontements éclatent
Cette avalanche d’intox a un effet immédiat. Le week-end suivant l’agression, des affrontements éclatent entre habitants espagnols et citoyens d’origine marocaine. Des vitrines sont brisées, des insultes racistes fusent, et plusieurs personnes sont arrêtées, non pas pour l’agression initiale, mais pour des attaques en représailles. Pour la chaîne espagnole RTVE, la stratégie est claire : « Chaque image violente, même ancienne, est réutilisée pour alimenter un récit unique : les étrangers seraient responsables de tous les maux. » Ce récit, martelé pendant plusieurs jours, a transformé un fait divers en une manipulation idéologique.
Si le retraité se remet peu à peu de ses blessures, Torre Pacheco, elle, reste marquée par cet épisode de violence. La désinformation a fait son œuvre : elle a semé la peur et justifié la violence.
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Author : Aurore Maubian
Publish date : 2025-07-18 16:31:00
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