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Ils multiplient les bébés pour sauver l’humanité : aux Etats-Unis, le grand retour des natalistes

Ils multiplient les bébés pour sauver l’humanité : aux Etats-Unis, le grand retour des natalistes

Avec sa longue robe noire, son tablier, sa blouse blanche et son bébé accroché dans le dos, Simone Collins a tout l’air de descendre du Mayflower, le célèbre bateau de pionniers. Cette « techno puritaine », comme elle se décrit, a tout de même ajouté une petite touche moderniste : elle arbore un rouge à lèvres vif et des baskets jaune canari. A 37 ans, Simone est enceinte. Ce sera son cinquième enfant depuis 2019. Et ce n’est qu’un début. Avec son mari Malcolm, elle prévoit d’en avoir trois à cinq de plus. « Tant que je peux garder mon utérus », explique la future maman en épluchant des avocats pour faire un guacamole dans le salon de leur vieille maison, proche de Philadelphie. Car elle accouche chaque fois par césarienne depuis des complications lors de sa première grossesse. Or, ce type de procédure à répétition comporte des risques. Mais à l’écouter, elle est prête à mourir en couches.

Simone, diplômée de Cambridge, et Malcolm, spécialiste en neurotechnologies, se sont lancés dans cette « expérimentation » pour sauver l’espèce humaine. Ils sont convaincus que le seul moyen d’éviter une catastrophe démographique – et la fin de la civilisation – est de concevoir le plus de bébés possible.

Lorsqu’il travaillait pour un fond de capital-risque, Malcolm Collins a réalisé une étude sur l’avenir économique de la Corée du Sud, affligée d’un des taux de natalité les plus bas de la planète. Le résultat l’a alarmé. Depuis, il essaie de mobiliser les Américains contre cette « menace existentielle », raconte-t-il avec un débit de mitraillette. Pour se faire entendre, le couple a lancé une chaîne YouTube, un podcast et une fondation. Il reçoit les journalistes à la chaîne et leur sert un numéro bien rodé, mélange de félicité domestique et d’idées provocatrices et excentriques. D’où le costume de puritain. Et ça marche ! Les Collins sont devenus l’une des figures emblématiques du mouvement pronataliste américain qui milite pour une hausse du taux de natalité.

« Ces dernières années, il y a un renouveau d’intérêt pour le natalisme chez les conservateurs », observe Tim Carney, du cercle de réflexion républicain American Enterprise Institute. Ils s’appuient sur des chiffres inquiétants. Aux Etats Unis, depuis la crise économique de 2007, l’indicateur de fécondité tourne autour de 1,6 enfant par femme, bien en deçà du seuil nécessaire de 2,1 pour assurer le renouvellement des générations. Et la situation va probablement empirer s’il n’y a plus d’immigration. D’ici à 2084, selon les experts des Nations unies, la population mondiale devrait commencer à baisser, un déclin sans précédent de l’humanité qui met en péril le système des retraites et toute l’économie.

Elon Musk et J.D. Vance, ambassadeurs du mouvement nataliste

Le mouvement, quoique limité, est devenu plus visible grâce à ses représentants de choc, Elon Musk en tête. « L’effondrement de la population dû à une faible fécondité est un risque bien plus grave que le réchauffement climatique », a écrit sur X le patron de Tesla en 2022. Et il s’emploie activement à remonter les statistiques. Sa descendance compte au moins 14 enfants avec quatre femmes différentes. Le milliardaire aurait même offert sa semence à d’autres couples.

L’administration compte d’autres pronatalistes dont le plus virulent est J. D. Vance. « Je veux davantage de bébés aux Etats Unis », a tempêté le vice-président catholique lors d’une marche anti-avortement en janvier dernier. Dans le passé, il a critiqué les « femmes à chat sans gosses » et évoqué l’idée que les parents devraient avoir « plus de pouvoir » en matière de vote que les individus sans progéniture. Sean Duffy, ministre des Transports et père de neuf enfants a annoncé, lui, qu’il privilégierait les projets donnant « une préférence aux communautés où le mariage et le taux de natalité sont plus hauts que la moyenne nationale ». Quant à Donald Trump (cinq enfants de trois lits), il s’est vanté d’être « le président de la fertilité » après avoir signé un décret destiné à réduire le coût des fécondations in vitro (FIV).

Mais la mouvance pronataliste est divisée en plusieurs courants à la philosophie très différente. Cela s’est vu particulièrement lors de la deuxième Conférence nataliste organisée fin mars à Austin. Y assistait le groupe profamille, composé surtout de chrétiens pratiquants opposés à certains aspects de la vie moderne. Beaucoup sont notamment hostiles aux FIV qui entraînent la destruction d’embryons, considérés pour eux comme une personne dès la conception. « Pour résoudre la crise de la natalité, on ne devrait pas seulement se focaliser sur la création de plus de bébés. On devrait se concentrer sur la création de plus de mariages solides entre un homme et une femme », résume Emma Waters, une chercheuse à la Heritage Foundation, un cercle de réflexion trumpiste.

En clair, pas tout à fait la conception d’Elon Musk. Celui-ci appartient à la branche des « techno natalistes » – moins religieux, moins enclins au mariage et plus libéraux. Les Collins en font également partie. Ils dénoncent le « virus de la monoculture urbaine », entendez le wokisme responsable, selon eux, de la chute de la natalité. Mais ils ne rejettent ni l’avortement, ni l’homosexualité, ni l’emploi féminin. Simone, comme son mari Malcolm, a travaillé dans la tech et la finance avant de lancer « un programme alternatif d’éducation » en ligne. Et ils se partagent les tâches ménagères, assurent-ils, même si la jeune femme reconnaît s’occuper du ménage, de la lessive, de la cuisine…

Des bébés en quantité… et en « qualité »

En réalité, les « techno natalistes » comptent sur les méthodes scientifiques de pointe pour permettre une reproduction de masse, rapide et optimale. Les Collins ont ainsi dépensé des centaines de milliers de dollars pour produire et congeler des dizaines d’embryons, qu’ils utilisent lors des FIV. Ils pratiquent aussi la sélection génétique et font tester leurs embryons pour déterminer leur quotient intellectuel, les risques d’Alzheimer, de dépression, de cancer… Car ils ne souhaitent pas seulement une grande quantité de bébés. Ils les veulent de bonne qualité. Un petit parfum d’eugénisme ? Non rétorque Malcolm, parce qu’il ne s’agit pas d’une politique coercitive menée par un Etat. Le couple a recours à la sélection « polygénique », une procédure coûteuse qui donne une sorte de profil de l’embryon avec ses chances de développer telle maladie ou tel trait spécifique et permet ainsi « d’améliorer notre descendance », poursuit Malcolm. « On me traite de monstre, mais mon môme n’aura pas un cancer à 5 ans », dit-il.

Il organise avec Simone des conférences pour diffuser ses idées notamment dans les milieux influents de la Silicon Valley. L’objectif est en effet de favoriser la procréation d’un groupe bien précis, les élites. Malcolm croit dans le déterminisme social. Un enfant issu d’une classe socio-économique favorisée a toutes les chances de réussir comme ses parents. C’est pour cette raison qu’il s’oppose aux subventions publiques de soutien à la natalité. Cela va encourager les pauvres, pense-t-il, à procréer et accroître de ce fait les dépenses de l’Etat providence.

Les courants traditionalistes et techno essaient de se distancier de la frange d’extrême droite adepte de la théorie du « grand remplacement » (les bébés d’immigrés prendraient la place des Blancs), qui porte tort à l’image du mouvement. A la conférence d’Austin, on comptait pourtant parmi les intervenants Kevin Dolan, un scientifique mormon accusé d’avoir vanté la supériorité de la race blanche sur un compte X anonyme. Il y avait également Jack Posobiec, trumpiste propagateur de théories complotistes, lui aussi proche des milieux néonazis. « Nous n’arrivons pas à assurer notre remplacement, a-t-il clamé. Pendant ce temps, ceux qui ne partagent pas nos valeurs, eux, y parviennent. »

Modèle européen ou modèle Trump : l’impasse des politiques natalistes

Ces divergences de philosophie posent un casse-tête pour les pronatalistes, incapables de se mettre d’accord sur un programme. Certains sont favorables à des aides gouvernementales sur le modèle européen avec des congés parentaux, des crèches publiques… Les Etats-Unis, outre l’absence de loi fédérale en matière de congé de maternité, ont des coûts de garderie et de santé astronomiques et affichent le plus haut taux de mortalité maternelle des pays développés. D’autres estiment que ce n’est pas à l’Etat de doper la natalité et poussent à des politiques favorables aux familles, crédits d’impôt, logements abordables… Les républicains ont toujours été hostiles à l’Etat providence et nombre de pronatalistes font remarquer que les aides publiques n’empêchent pas le déclin de la natalité, même en France ou en Corée du Sud, où elles sont pourtant généreuses.

Ces aides ont un vrai impact sur la fécondité, rétorque Vicki Shabo, du think tank de gauche New America. « Mais il y a d’autres facteurs en jeu comme le coût du logement, les attentes du travail, le climat… Et à un certain point, créer de la stabilité n’est plus suffisant. C’est aux individus de décider s’ils veulent devenir parents ou pas. » Pour Tim Carney, de l’American Enterprise Institute, « l’effet des politiques fédérales reste limité. Ce qu’il faut, c’est un changement culturel », qui mette en avant les bienfaits des bébés et des grandes fratries.

Les pronatalistes comptaient sur Donald Trump qu’ils ont accueilli en sauveur. « Mais jusqu’ici, l’administration n’a pas pris de mesures significatives », poursuit le chercheur catholique, père de six enfants et auteur d’un livre sur la difficulté d’élever des gamins dans la culture actuelle. L’administration s’est contentée d’annoncer 1 000 dollars de « prime bébé » et une hausse des crédits d’impôt. Elle étudierait également la création de programmes d’éducation sur les cycles menstruels pour aider à concevoir au pic. Selon Vicki Shabo, les réformes de Donald Trump, au contraire, « ont rendu bien pire la situation des familles ». Elles ont coupé les aides alimentaires, l’assurance-santé publique pour les plus démunis, les programmes sociaux…

Les Collins ont envoyé des suggestions à la Maison-Blanche. Ils proposent, entre autres, des règles moins strictes sur les sièges auto qui découragent les parents d’avoir une nombreuse progéniture faute de pouvoir la caser dans leur voiture. Ils militent aussi pour la création d’une médaille nationale sur le modèle de la Médaille française de l’enfance et des familles décernée aux mères d’au moins quatre enfants.

En attendant, ils espèrent que leur « expérimentation » va inspirer d’autres Américains. Et si leurs enfants, une fois grands, leur reprochent de les avoir embarqués dans ce projet ? « C’est bien d’avoir des points de vue différents. On ne les élève pas pour qu’ils soient dociles », répond en souriant Simone, en berçant sa petite dernière Industry Americus, surnommée « Indy ». En guise d’au revoir, Malcolm conclut : « Ecrivez ce qui vous chante. Plus c’est négatif, mieux c’est, car l’on parle ainsi de nos idées. »



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Author : Hélène Vissière

Publish date : 2025-07-20 05:45:00

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