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Six mois de Donald Trump à la Maison-Blanche : une croissance sous tension, une démocratie sous pression

Six mois de Donald Trump à la Maison-Blanche : une croissance sous tension, une démocratie sous pression

Alors que Donald Trump entame la seconde moitié de sa première année de retour à la Maison-Blanche, l’économie américaine affiche un contraste frappant. D’un côté, le marché de l’emploi reste dynamique (+ 150 000 créations mensuelles, chômage à 4,1 %), la croissance se maintient à un rythme modéré (+ 1 % prévu fin 2025), et les grandes banques — JPMorgan en tête — publient des résultats solides, portés entre autres par des activités de marché toujours vigoureuses. La consommation, quant à elle, tient bon, stimulée par des mesures fiscales récentes ciblées sur les ménages.

Mais cette façade masque des déséquilibres croissants. Cette dynamique repose de plus en plus sur un recours massif au crédit. L’inflation repart à la hausse (2,7 % en juin), les taux d’intérêt restent sous tension, et les droits de douane — désormais parmi les plus élevés depuis un siècle (20 % en moyenne, jusqu’à 50 % sur certains produits) — pèsent sur les coûts de production et l’ensemble de la chaîne de valeur. Le déficit fédéral devrait atteindre des niveaux records (+ 3,3 trillions sur dix ans), et l’endettement des ménages frôle les 18 trillions.

Le décalage stratégique entre la Maison-Blanche et la Fed

La Réserve fédérale (Fed), soucieuse d’éviter une surchauffe, refuse pour l’instant toute baisse des taux, au grand dam d’un exécutif qui espérait un assouplissement rapide. Ce décalage stratégique entre la Maison-Blanche et la Fed — dont le patron vient encore d’être publiquement menacé de limogeage — illustre les tensions internes du pilotage économique. Le FMI, de son côté, alerte sur une dynamique fragile : la combinaison d’inflation persistante, de protectionnisme tous azimuts et d’un déséquilibre budgétaire croissant pourrait freiner nettement l’activité dès la fin de l’année.

Au cœur de la stratégie de l’administration Trump/Vance se trouve la « One Big Beautiful Bill », promulguée le 4 juillet : baisses d’impôt permanentes pour les plus riches, création de « Trump Accounts » — comptes d’investissement défiscalisés pour enfants, supplantant partiellement le Child Tax Credit — et coupes nettes dans Medicaid (environ 15 millions de personnes risquent de rejoindre les plus de 30 millions d’Américains sans aucune couverture santé), les aides alimentaires (SNAP), l’éducation, l’énergie, etc. Cette loi s’inscrit dans une vision économique assumée : parachever le démantèlement de l’Etat social entamé sous Ronald Reagan au profit de l’épargne privée, doper le capital, et s’appuyer sur le protectionnisme pour tenter de restaurer la puissance industrielle. A court terme, l’illusion de solidité persiste. Mais les tensions s’accumulent, et les marges de manœuvre vont s’amenuisant.

Des apparences trompeuses

Il est toujours tentant, pour la Maison-Blanche, de se féliciter des bons chiffres de l’emploi. Mais là encore, l’apparence est trompeuse. Plus de 70 % des postes créés chaque mois sont des emplois précaires, peu ou pas réglementés, que la plupart des Européens refuseraient. Des journées de 10 heures, parfois de 12, bien souvent un seul jour de repos hebdomadaire, aucune couverture maladie, aucun congé payé : voilà la réalité quotidienne d’une grande part de la « croissance » américaine. Dans la plupart des Etats, un serveur n’est pas rémunéré par son employeur, mais exclusivement par les pourboires. La récente mesure visant à détaxer ces pourboires — dont Donald Trump s’est vanté bruyamment — masque mal l’essentiel : le problème n’est pas fiscal, mais structurel. Ce n’est pas le traitement des pourboires qu’il faudrait corriger, mais l’absence même d’un salaire digne.

Cette fragilité sociale, couverte de vernis fiscal et d’effets d’annonce, constitue en réalité le talon d’Achille de l’économie américaine. A la moindre turbulence financière, au moindre ralentissement mondial un peu plus marqué, les licenciements massifs — touchant bien au-delà du secteur de la restauration des dizaines de millions d’Américains piégés dans des emplois précaires, soit plus de 36 % de la population active selon les dernières estimations — pourraient bondir à un niveau inédit depuis plus d’une décennie, précipitant le pays dans une nouvelle crise.

La tentation du virage autoritaire de l’Etat fédéral

Or toute la stratégie de la Maison-Blanche repose aujourd’hui sur l’illusion d’une prospérité retrouvée. Donald Trump, entouré des figures les plus déterminées de la droite radicale — J.D. Vance, Susie Wiles, Tom Homan —, tente d’imposer une transformation autoritaire de l’Etat fédéral, nourrie d’une vision économique brutale. Mais si l’économie ne tient pas, si les fragilités sociales s’accentuent, c’est l’ensemble de leur projet — politique intérieur comme ambition géopolitique — qui pourrait vaciller.

En moins de six mois, les Etats-Unis sont devenus quasi méconnaissables. Chaque jour, ils ressemblent un peu plus à la Hongrie de Viktor Orbán. Les contre-pouvoirs et garde-fous démocratiques ont été méthodiquement affaiblis : prérogatives rognées du Congrès, mise au pas du Département de la Justice, fermeture d’agences fédérales, purges au sein du FBI. A Columbia, comme dans d’autres universités, certains départements sont désormais placés sous tutelle. Les médias sont sous pression, les minorités attaquées, la Garde nationale et l’armée déployées abusivement à Los Angeles.

La Cour suprême, désormais alignée sur l’exécutif, vient d’offrir un nouveau cadeau à Trump en interdisant aux juges fédéraux de bloquer, à l’échelle nationale, une décision présidentielle.

Le droit de vote, lui aussi, est attaqué frontalement à l’approche des élections de mi-mandat : redécoupage ciblé des circonscriptions, restrictions administratives à l’inscription, suppression partielle du vote par correspondance — traditionnellement favorable aux démocrates.

À l’international, Trump s’affiche en nouvel empereur d’Occident, après une victoire éclair en Iran et un sommet de l’OTAN transformé en allégeance forcée. Il veut imposer un ordre mondial fondé sur l’unilatéralisme, où la puissance américaine écrase tout, et où le multilatéralisme n’est plus qu’un souvenir.

Mais tout cela suppose que la machine économique tienne. Que la façade ne se fissure pas. Or, au printemps, la guerre commerciale déclarée au monde entier — y compris à des alliés historiques comme le Canada ou l’Union européenne — a commencé à inquiéter jusque dans les cercles trumpistes. La baisse de popularité du président en avril l’a montré : la base Maga reste fidèle, mais pas insensible aux secousses.

Si l’économie lâche, c’est tout le projet politique — intérieur comme international — qui vacille. Trump peut bien rêver d’un troisième mandat, d’un Etat remodelé à son image, d’un nouvel ordre mondial. Mais il suffit d’un accident, d’une crise, d’un « krach », pour que l’édifice s’effondre — comme un château de cartes.

* Romuald Sciora, essayiste franco-américain et directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des Etats-Unis de l’IRIS, est l’auteur de L’Amérique éclatée, paru chez Armand Colin.



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Author : Romuald Sciora*

Publish date : 2025-07-20 08:00:00

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