L’Express

Crise climatique : « La Cour internationale de justice ouvre la porte à des litiges entre Etats »

Crise climatique : « La Cour internationale de justice ouvre la porte à des litiges entre Etats »

L’avis n’est que consultatif, mais il va très sûrement influencer la jurisprudence mondiale sur le climat. Mercredi 23 juillet, la Cour internationale de justice (CIJ) a conclu à l’unanimité – chose peu fréquente – que les États manquant à leurs obligations climatiques commettaient un acte « illicite ». Elle ouvre ainsi la voie à des « réparations » des pays pollueurs envers les plus affectés.

Leslie-Anne Duvic-Paoli, maîtresse de conférences en droit de l’environnement au King’s College de Londres, décrypte les conséquences de cette première interprétation juridique du droit international sur le climat, qui pourrait nourrir une nouvelle vague de procès contre (et entre) les pays pour leur inaction face à ce que le juge japonais Yuji Iwasawa, président de la CIJ, décrit comme « une menace urgente et existentielle ».

L’Express : L’avis rendu par la Cour internationale de justice est considéré par beaucoup comme inédit et historique. Que contient-il ?

Leslie-Anne Duvic-Paoli : C’est un avis consultatif très riche qui confirme des idées qui étaient encore débattues ou ouvertes à interprétations, et qui permet de clarifier le droit international lié au climat. Lors des plaidoiries en décembre dernier, deux questions principales ont été posées à la Cour par l’Assemblée générale des Nations unies. La première : quelles sont les obligations climatiques des Etats ? La deuxième : en cas de violation de ces obligations, quelles sont les conséquences juridiques ? La Cour a vraiment regardé l’application et l’applicabilité d’un certain nombre de traités internationaux, y compris l’accord de Paris, pour clarifier ces points.

Dans son avis, elle explique que limiter les températures mondiales à +1,5°C (par rapport à l’ère préindustrielle) est devenu l’objectif principal de la communauté internationale, alors que certains Etats considéraient que l’objectif juridique était celui de +2°C. Elle dit aussi clairement qu’étant donné la crise existentielle que nous traversons, l’accord de Paris ne laisse pas tant de marge de discrétion aux Etats pour décider de leurs actions climatiques. Elle crée ainsi des obligations et des standards stricts d’ambition climatique. La Cour a aussi reconnu le droit à un environnement sain comme nécessaire à la protection des droits de l’homme. Et elle fait quelques remarques concernant les entreprises privées. Celles-ci doivent être régulées par les Etats au niveau national, et une absence de régulation serait une violation du droit du climat. Ne pas prendre de mesures appropriées concernant la production ou l’octroi de subventions aux combustibles fossiles pourrait également être considéré de la même manière.

Quelles sont les conséquences juridiques possibles en cas de violation ?

Un certain nombre d’Etats, en particulier les grands émetteurs, avaient considéré qu’aucun système de responsabilité ne pouvait être mis en place. Car le changement climatique est un problème complexe sur les plans scientifique et juridique ; et parce qu’ils estimaient que des systèmes internes aux différents traités sur le climat pouvaient être applicables. Mais la Cour a dit très clairement, et c’est important pour le futur, que le régime de droit international général concernant la responsabilité des Etats était applicable. Cela ouvre la porte à des litiges inter-étatiques pour demander une réparation ou une compensation pour les dommages climatiques.

A l’avenir, des Etats pourraient être amenés à se défendre devant la Cour internationale de justice concernant leurs contributions historiques ou présentes au changement climatique. Si l’avis ne crée pas de responsabilités pour les entreprises, il peut permettre d’interpréter certaines obligations, par exemple présentes dans l’accord de Paris, ce qui pourrait avoir des répercussions sur leurs actions et leurs comportements.

Quelle serait la procédure pour qu’un Etat en attaque un autre ?

Le problème du changement climatique, c’est que tout le monde y contribue d’une certaine manière. C’est une difficulté importante en termes de causalité. Il va falloir prouver que tel désastre climatique a été causé par les émissions de tel Etat qui était en violation de ses obligations. En elles-mêmes, les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas une violation du droit international. Mais c’est la violation des obligations qui peut entraîner une compensation. Ensuite, la question est : comment compenser ? Comment réparer le dommage, ou convenir d’une autre forme – matérielle par exemple – de dédommagement ?

Dans son avis, la Cour insiste beaucoup sur le fait que ce sera du cas par cas. Il va falloir présenter des scénarios, des cas précis avec une base scientifique solide pour pouvoir prouver cette causalité entre les émissions et le désastre climatique.

Cela peut-il bouleverser les COP ? Etre utilisé comme un argument supplémentaire par les nations les plus affectées par le changement climatique ?

Il faut noter que c’est le troisième avis consultatif sur le climat, après ceux du Tribunal du droit de la mer et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Ils vont avoir un impact certains lors des négociations climatiques. Ce seront des outils diplomatiques pour que les Etats les plus vulnérables puissent demander davantage de financements, de transferts de technologies, d’ambitions de la part des États développés et émetteurs.

Les grands pays producteurs de pétrole ou de gaz, comme les Etats-Unis, pourraient-ils être les premiers à se voir demander des « réparations » climatiques ?

Il y en a un paragraphe très intéressant sur les Etats qui se sont retirés des traités climatiques. Ils ne sont pas nommés, mais on pense bien sûr aux Etats-Unis, sortis de l’accord de Paris. L’avis dit clairement que même si les pays ne font pas partie de certains traités, des obligations plus larges – dites coutumières – s’appliquent pour la protection du climat. C’est évidemment un appel aux Etats-Unis. Seront-ils les premiers devant les tribunaux ? Impossible à dire. Mais cela aura un impact. Si la solution ne vient pas de la voix judiciaire, cet avis pourra quand même être utilisé sur le terrain diplomatique pour leur rappeler leurs obligations.

Cet avis est notamment une victoire pour les micro-Etats insulaires, les premiers menacés par la montée du niveau des eaux. Mais n’arrive-t-elle pas trop tard ?

Les actions climatiques sont toujours trop lentes. Mais mieux vaut maintenant que jamais. La Cour a d’ailleurs convenu, de manière indirecte, cet état de fait un peu tardif. Dans son avis, elle a reconnu qu’un Etat pouvait continuer à exister malgré l’absence de territoire. Cela reste une réussite importante pour ces petits pays qui ont peu de moyens, un poids diplomatique très relatif et courent un risque existentiel.



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Author : Baptiste Langlois

Publish date : 2025-07-24 10:29:00

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