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Laurent Benarousse (Roland Berger) : « L’Europe doit exiger des contreparties de la Chine »

Laurent Benarousse (Roland Berger) : « L’Europe doit exiger des contreparties de la Chine »

Donald Trump n’est pas le seul à vouloir s’attaquer aux asymétries commerciales. En visite à Pékin ce jeudi 24 juillet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a martelé qu’un « rééquilibrage était nécessaire » avec la Chine. Car derrière les sourires protocolaires, les griefs entre les deux géants s’accumulent : droits de douane sur les véhicules électriques, propriété intellectuelle, normes environnementales, position ambivalente vis-à-vis de la Russie…

Les échanges entre les deux blocs représentent environ 30 % du commerce mondial. Mais dans le jeu d’alliances mouvantes, l’heure est désormais au pragmatisme. Face à la Chine, l’Europe doit imposer de nouvelles règles du jeu et obtenir plus de réciprocité, soutient auprès de L’Express Laurent Benarousse, managing partner France et Maroc du cabinet de conseil Roland Berger.

L’Express : Le thème de la souveraineté industrielle revient régulièrement depuis le Covid, mais les résultats sont pour l’heure limités en Europe. Sur quels secteurs devrait-elle se concentrer ?

Laurent Benarousse : La question ne se pose pas tant en termes d’industrie qu’en termes de produits. La maîtrise de nos données, d’abord, est en enjeu essentiel. Les grands opérateurs mondiaux qui hébergent nos données sont américains. Avec le « Cloud Act », les Etats-Unis peuvent leur demander l’accès à ces informations, ce qui pose des questions de confidentialité.

Le deuxième enjeu concerne les matières premières. Certes, certaines batailles sont déjà perdues, comme celle des semi-conducteurs : l’Europe ne peut pas rivaliser avec des acteurs comme Taïwan ou Singapour. Mais elle peut agir sur d’autres fronts. Sur le cuivre par exemple, des groupes comme Veolia ou Schneider Electric commencent à structurer des filières de recyclage. Protéger le capital intellectuel et humain, encourager l’investissement industriel stratégique sont également des leviers nécessaires pour construire une vision stratégique à long terme, garantie de notre indépendance industrielle.

Mais surtout, la souveraineté consiste à penser des rapports de force réciproques. Face à la Chine, l’Europe est dépendante sur un certain nombre de produits. Il faut imaginer une dépendance dans l’autre sens pour que personne n’ait intérêt à faire pression sur l’autre. Nous pouvons être plus exigeants sur la contrepartie.

Concrètement, à quoi pourrait ressembler cette contrepartie, alors que notre déficit commercial avec la Chine dépasse les 300 milliards de dollars ?

L’Europe doit faire preuve de plus de pragmatisme, comme le font les Etats-Unis aujourd’hui. Sinon, elle deviendra la variable d’ajustement entre les deux autres blocs, que sont la Chine et les Etats-Unis. Face à la Chine, elle peut jouer la carte de l’accès à son marché, qui compte 450 millions, 30 % de plus que la population des Etats-Unis. Dans un contexte commercial qui se durcit, Pékin va avoir besoin du marché européen pour écouler ses produits. Or, si la Chine veut continuer à y exporter massivement, il faut exiger une réciprocité.

Par exemple, nos industries aéronautiques et spatiales, agroalimentaires, santé et biotechnologies ou technologies vertes pourraient accéder davantage au marché chinois. La difficulté est bien sûr que les Vingt-Sept ne parlent pas d’une seule voix, et chaque pays a des intérêts propres dans cette négociation. Mais l’Europe – qui s’est construite essentiellement sur la mise en place d’un marché européen unique – n’a pas d’autre choix que de dépasser cette difficulté, sous peine que sa légitimité soit remise en question.

Le constructeur chinois BYD prévoit de s’installer en Hongrie. Que penser de la volonté d’implantation d’entreprises chinoises en Europe ?

Si des entreprises chinoises s’installent en Europe, tant mieux : cela crée de la valeur ajoutée et de l’emploi sur place, ce qui est bien plus bénéfique à l’Europe que l’import simple des produits. C’est la même logique que celle de Donald Trump : il n’a rien contre les voitures européennes ; il préfère qu’elles soient fabriquées sur le sol américain.

Dans un monde où les concurrents de l’Europe pilotent leurs échanges commerciaux, si nous sommes le seul continent à laisser l’accès à son marché sans contrepartie, cela créera bien entendu une spirale qui détériorera sa capacité à investir et à innover, et contribuera à son appauvrissement relatif.

Face à la Chine et aux Etats-Unis, l’Europe est au défi d’améliorer son attractivité et sa compétitivité. Un an après la parution du rapport Draghi, la mise en place de ses recommandations vous semble-t-elle satisfaisante ?

Face à des parlementaires européens qui l’interrogeaient sur les mesures prioritaires de son rapport à mettre en place, Mario Draghi leur a répondu simplement : « Je ne sais pas… mais faites au moins quelque chose ! ». Cela résume assez bien la situation : le diagnostic est posé, mais peu d’actions ont été menées à ce stade.

Nous faisons face à quatre tensions majeures qui ne sont pas suffisamment ni suffisamment vite adressées : une économie qui subit les secousses géopolitiques plus qu’elle ne les amortit, une révolution technologique qui dépasse nos régulateurs, un impératif écologique intact, et une jeunesse impatiente, qui ne demande pas qu’on l’écoute mais qu’on l’intègre à la table des décisions. Ces incertitudes sont en grande partie dues à l’intensification de la guerre commerciale. Car le constat du déficit de compétitivité a été fait avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Or si ces droits de douane devaient rester à des niveaux importants, il faudrait refaire un deuxième rapport Draghi, qui intégrerait ces surcoûts. De nombreux acteurs économiques ne pourront tout simplement pas survivre avec plus de 10 % de droits de douane – et nous entendons en ce moment que la négociation s’orienterait vers un taux moyen de 15 %.

Justement, que pensez-vous d’un tel compromis ?

La décision annoncée va permettre de clarifier l’environnement économique et de redonner de la visibilité aux entreprises. C’est un signal important, attendu par de nombreux acteurs, qui pourront ainsi relancer leurs projets de développement grâce à une meilleure lisibilité. Cependant, la mise en place d’un taux à 15 % représente un seuil difficilement absorbable pour un grand nombre d’entreprises, en particulier les plus vulnérables. Cette pression supplémentaire sur leurs marges risque d’accélérer les difficultés potentiellement déjà existantes. Au-delà de répercussions potentielles sur les prix de vente, il faut malheureusement s’attendre à une augmentation du nombre de défaillances d’entreprises dans les mois à venir.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-07-24 15:38:00

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