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Loi Duplomb : de nombreux légumes au-dessus des seuils d’intoxication à l’acétamipride ?

Loi Duplomb : de nombreux légumes au-dessus des seuils d’intoxication à l’acétamipride ?


Quelle est la quantité d’acétamipride susceptible de finir dans nos assiettes ? Jusqu’à présent, cette question n’a jamais été évoquée dans les débats au sujet de ce pesticide, que la loi Duplomb vise à réintroduire. Une absence particulièrement regrettable, car sans cette information, impossible de se faire un avis sur les risques encourus, très différents, forcément, en fonction de la dose ingérée.

Pour y remédier, L’Express a épluché les rapports officiels de l’Efsa, l’agence européenne qui évalue la toxicité des intrants agricoles. Bien que publiques, ces données n’ont curieusement jamais fait l’objet de relais médiatiques. Elles sont pourtant de nature à remettre en question l’idée de rejets totalement « sûrs », un argument brandi par les défenseurs du texte voté par les députés le 8 juillet dernier, et au cœur d’incessantes polémiques depuis.

Ces statistiques, issues d’essais scientifiques menés sur certaines parcelles agricoles, démontrent que, ponctuellement, certains fruits et légumes cultivés en Europe ont pu être exposés à des doses très largement supérieures aux normes de sécurité, c’est-à-dire le maximum qu’il est possible d’ingérer en un jour sans s’exposer à des risques pour la santé (aussi appelé l’ARfD). Et ce, jusqu’en 2024, date à partir de laquelle l’agence sanitaire a décidé d’abaisser ses seuils, en raison de nouvelles alertes sanitaires sur l’acétamipride.

Jusqu’à six fois la dose

Au total, parmi les centaines de fruits et légumes analysés par l’agence, une trentaine a pu présenter des niveaux d’exposition susceptibles de générer un risque « aigu » pour la santé, soit une potentielle intoxication. A titre d’exemple, certaines laitues et poires, des produits pourtant particulièrement courants, affichent dans les échantillons les plus problématiques des concentrations environ 6 fois supérieures à ce qui est décrété comme « sûr » chez les enfants, la population jugée la plus à risque par l’agence.

Poires, laitues, pommes, certains fruits et légumes sont susceptibles, dans les essais scientifiques du moins, de dépasser les dosages recommandés en matière de pesticides.

Dans le reste des produits évalués, certains abricots, raisins, melons, tomates et coings analysés dépassent plus de trois fois les seuils admissibles dans ce type de population. Par ailleurs, onze fruits et légumes, dont les choux-fleurs, les concombres ou encore les endives, contiennent tout de même plus de deux fois la dose journalière réglementaire considérée comme sans danger pour l’organisme à cet âge.

Les experts contactés par L’Express s’étonnent que le débat public, ravivé par une pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb, ne s’arrête pas plus sur ce type de données. « Il y a pourtant une forte demande d’information des citoyens sur le sujet. Le minimum, c’est que les éléments scientifiques soient apportés à la connaissance du public, d’autant que les agriculteurs ne respectent pas toujours les dosages autorisés », résume Xavier Coumoul, toxicologue à l’Inserm.

Des préoccupations sanitaires

Les enfants ne sont pas les seuls concernés : dans ces études, qui reposent sur des simulations visant à reproduire les conditions d’épandage normales, la moutarde et les raisins rouges, les myrtilles, les aubergines, et certaines betteraves, ont montré des concentrations potentiellement dangereuses chez les adultes. Pour cette catégorie d’âge, les taux peuvent dépasser deux fois la quantité journalière jugée sans danger.

Interrogé sur ces éléments, l’Efsa reconnaît un point de préoccupation. Ces résultats, dit-elle, ont en partie motivé l’abaissement des seuils qui a été décidé en 2024 : « Cela fait partie des éléments pris en compte, avec les études qui montrent un potentiel risque sur le développement neurologique. Ces résultats nous ont conduits, l’année dernière, à diviser par cinq les quantités jugées sans danger, une mesure de précaution en attendant de nouvelles études », détaille Marco Binaglia, toxicologue et chef de département à l’agence.

Issus d’expérimentations, ces éléments ne présument pas de la quantité réelle de pesticides dans les étals, bien qu’ils visent toutefois à s’en rapprocher : « Ce sont des simulations, organisées pour coller le plus possible aux conditions réelles, afin d’établir des scénarios réalistes », poursuit le spécialiste. Précision essentielle, ces résultats, disponibles à la page 74 du dernier rapport de l’Efsa sur le sujet, ne s’intéressent qu’à la dose maximale qu’il est possible de retrouver. Ils ne disent rien de la dose moyenne qui subsiste après la récolte.

Ces données démontrent qu’en matière de phytosanitaire comme en matière de médicaments, le risque zéro n’existe pas. Elles sont toutefois à relativiser : selon les études analysées par l’Efsa, ce type d’écart à la réglementation est rarissime en situation réelle. Selon une recension menée en 2022 à partir d’enquêtes nationales, seulement 295 échantillons sur 75 000 contenaient de l’acétamipride à des niveaux supérieurs à ce qu’il est possible de consommer chaque jour sans aucun danger (LMR). Soit 0,4 % des fruits et légumes analysés.



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Author : Antoine Beau, Mathias Penguilly

Publish date : 2025-07-25 17:01:00

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