« Rarement depuis la fin de la guerre froide les États-Unis ont interféré aussi profondément dans les affaires d’un pays d’Amérique latine », constate gravement The Economist. La crise a commencé le 9 juillet, lorsque Donald Trump a annoncé que les États-Unis imposeraient, à compter du 1er août, des droits de douane punitifs de 50 % sur plusieurs produits brésiliens : café, jus d’orange, pétrole brut, acier semi-transformé… Un choc pour la première économie d’Amérique latine, dont Washington est le deuxième partenaire commercial.
Pourtant, les États-Unis n’enregistrent aucun déficit commercial avec le Brésil. Bien au contraire : l’excédent américain s’élevait en 2024 à 284 millions de dollars, selon les données officielles brésiliennes. En réalité, les motivations de la Maison-Blanche sont ailleurs. Selon Donald Trump, le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva mènerait une « chasse aux sorcières » contre Jair Bolsonaro, l’ancien président d’extrême droite poursuivi pour tentative de coup d’État. L’objectif de l’agression commerciale du président américain est à peine dissimulé : affaiblir le président Lula et mettre un terme aux poursuites contre Jair Bolsonaro à l’approche de l’élection présidentielle brésilienne d’octobre 2026. Autrement dit, Washington s’en prend directement à la politique intérieure de son voisin du Sud.
Et cette offensive ne s’est pas limitée au levier commercial. Le 15 juillet, le représentant américain au Commerce, Jamieson Greer, a ouvert une enquête sur les pratiques brésiliennes, sans motif économique clair. Trois jours plus tard, le Département d’État a révoqué les visas de plusieurs magistrats, dont celui d’Alexandre de Moraes, le juge de la Cour suprême chargé du dossier Bolsonaro. De son côté, Marco Rubio, secrétaire d’État, est allé jusqu’à évoquer l’usage du Global Magnitsky Act, un instrument de sanctions généralement réservé aux régimes autoritaires, pour cibler le juge Moraes.
Un rare front uni face à Washington
Le président brésilien a immédiatement dénoncé un « chantage inacceptable » et menacé de riposter en taxant les géants technologiques américains, évoquant des droits de douane en représailles. Fait notable, le Congrès, pourtant dominé par la droite, a soutenu sa position, illustrant un rare front uni face à Washington. « Le Brésil est une nation souveraine, dotée d’institutions indépendantes, et n’acceptera aucune forme de tutelle », a martelé Lula. Mais l’actuel chef de l’État brésilien ne s’est pas arrêté là. Il a aussi ciblé Eduardo Bolsonaro, fils de l’ancien président, installé au Texas depuis mars, où il mène un lobbying actif auprès des républicains pour qu’ils sanctionnent les juges brésiliens. Lors d’un rassemblement le 17 juillet, Lula a fustigé son attitude dans des termes virulents : « Qu’ils aient honte, qu’ils se cachent dans leur lâcheté, et que ce pays vive en paix ! »
De son côté, la Cour suprême du Brésil a répliqué, elle aussi, avec fermeté. Le 18 juillet, Alexandre de Moraes a ordonné à Jair Bolsonaro de porter un bracelet électronique, l’a assigné à résidence nocturne et lui a interdit de donner des interviews. Le lendemain, les avoirs d’Eduardo Bolsonaro ont été gelés, dans le cadre d’une enquête sur ses activités de lobbying.
Un pari risqué avant les élections de 2026
Ironie du sort, cette offensive, qui aurait pu relancer la droite brésilienne, semble produire l’effet contraire. En endossant le rôle de défenseur de l’indépendance du pays face à une pression étrangère, Lula regagne du terrain sur le plan intérieur, alors que sa popularité était en net déclin. Fragilisé ces derniers mois, le président de gauche profite d’un sursaut d’adhésion, nourri par un sentiment de rejet des ingérences extérieures. « Jouer les tyrans avec le Brésil se retourne contre Trump », observe The Washington Post. Et un diplomate d’enfoncer le clou : « C’est un cadeau envoyé par Trump à travers cette attaque maladroite contre la souveraineté du Brésil. » C’est là tout le paradoxe : en tentant d’intervenir dans la vie politique brésilienne, Donald Trump a involontairement offert à Lula l’opportunité de se présenter comme le garant de l’autonomie du pays. Un pari risqué, dont les conséquences pourraient peser au-delà de l’échéance électorale de 2026.
Même sur le plan économique, les droits de douane imposés par Donald Trump risquent de frapper de manière inégale, touchant en priorité les régions rurales où Jair Bolsonaro conserve une forte influence. Plus d’un tiers du café non torréfié importé par les États-Unis provient du Brésil, tout comme la majeure partie du jus d’orange consommé outre-Atlantique. Autant de produits emblématiques du secteur agroalimentaire brésilien, largement concentré dans les bastions bolsonaristes.
Pour autant, Lula n’est pas à l’abri des retombées à plus long terme. Si les surtaxes entrent bien en vigueur le 1er août et freinent les exportations, l’impact sur l’économie – déjà ralentie – pourrait être significatif, notamment dans l’agrobusiness, l’un des piliers de la croissance brésilienne. Dans ce contexte, le président de gauche aurait sans doute du mal à rejeter l’entière responsabilité sur Donald Trump ou sur son prédécesseur.
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Author : Audrey Parmentier
Publish date : 2025-07-26 15:23:00
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