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Droits de douane : qu’est-ce que l’instrument anti-coercition, l’arme ultime de l’UE face aux Etats-Unis ?

Droits de douane : qu’est-ce que l’instrument anti-coercition, l’arme ultime de l’UE face aux Etats-Unis ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et Donald Trump se retrouveront, dimanche 27 juillet en Écosse, alors que l’Union européenne et les États-Unis abordent la dernière ligne droite des négociations sur les droits de douane. Mais cette fois, Bruxelles entend « montrer ses muscles », selon les mots d’un diplomate européen. Et se dit prêt à dégainer son « bazooka » si besoin : l’instrument anti-coercition, (ACI). Jamais activé jusqu’ici, cet outil juridique a été conçu pour répondre aux pressions économiques exercées par un pays tiers. Il pourrait devenir un levier central pour éviter l’imposition de droits de douane de 30 % sur les produits européens à partir du 1er août, une option de dernier recours si les discussions avec l’administration Trump venaient à échouer.

Adopté en octobre 2023, l’instrument anti-coercition est conçu comme le « moyen de dissuasion le plus puissant » à disposition des Vingt-Sept. Il prévoit une série de mesures, très lourdes pour certaines, comme le gel de l’accès d’un pays tiers aux marchés publics européens, le blocage de certains investissements, ou encore l’imposition de contraintes réglementaires lourdes aux entreprises étrangères. L’objectif : permettre une réaction rapide, ciblée et proportionnée dans le cas où les pays membres de l’UE seraient la cible de « coercition économique ». Le New York Times évoque même la possibilité, dans le cas américain, de taxer les géants de la tech ou d’interdire aux banques américaines de soumissionner aux appels d’offres publics européens. Ce serait une perte colossale : près de 2 200 milliards d’euros de projets sont concernés chaque année dans l’UE.

L’ACI offre ainsi à Bruxelles un levier de riposte ciblée. D’autant que le contexte s’y prête particulièrement, comme le rappelle La Tribune : l’Organisation mondiale du commerce (OMC), jadis pilier du système commercial international, est aujourd’hui « paralysée ». En cause : le blocage américain, Washington refusant depuis 2019 de nommer de nouveaux juges au tribunal d’appel de l’OMC. Résultat : plus de jugements, plus de sanctions, l’Europe ne peut plus s’appuyer sur l’OMC pour la défendre. La France, en pointe sur ce dossier, milite désormais ouvertement pour brandir – voire activer – cette arme. « Il faut mobiliser les instruments encore inutilisés, et en particulier l’arme anti-coercition », a plaidé Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie, à l’issue du Conseil national de l’industrie du 22 juillet.

Des mesures dites « non tarifaires »

À noter que ces sanctions seraient des mesures dites « non tarifaires », précisément calibrées pour peser sur les intérêts économiques des pays ciblés, sans frapper directement les consommateurs européens. Ici, l’objectif est moins de punir que de faire pression. Cependant, la mise en œuvre de l’ACI ne se déclenche pas automatiquement. La Commission européenne doit d’abord établir qu’un acte de coercition économique a bien eu lieu à l’encontre des 27. Elle dispose pour cela d’un délai de quatre mois. Si cette condition est remplie, elle peut alors soumettre une proposition de riposte au Conseil de l’Union européenne – où les ministres de chaque pays de l’UE se réunissent pour négocier et adopter la législation de l’UE – qui aura dix semaines pour l’adopter ou la rejeter.

Pour être validée, la décision doit obtenir une majorité qualifiée : au moins 55 % des États membres, représentant ensemble 65 % de la population de l’UE. Jusqu’ici, l’Allemagne faisait preuve de prudence, soucieuse de ne pas provoquer d’escalade avec Washington. Mais selon plusieurs sources diplomatiques, Berlin aurait discrètement revu sa position. Avec le soutien actif de la France, les conditions politiques pourraient désormais être réunies pour activer le mécanisme.

« Accélérer en parallèle les travaux sur les contre-mesures »

Pour rappel, cet instrument a vu le jour en réponse à des épisodes qui ont marqué au fer rouge l’Union européenne. D’abord, les mesures commerciales unilatérales prises par l’administration Trump lors de son premier mandat (2017-2021), notamment les droits de douane sur l’acier européen. Ensuite arrive le blocus imposé par la Chine contre la Lituanie en 2021, en représailles à ses liens renforcés avec Taïwan. Deux exemples qui ont mis en lumière la vulnérabilité stratégique de l’Union face aux tactiques économiques agressives.

Reste à savoir si la menace de l’ACI suffira à infléchir la position américaine. À Paris comme à Berlin, on espère toujours « une conclusion satisfaisante des discussions », tout en appelant à « accélérer en parallèle les travaux sur les contre-mesures ». Car cette fois, l’Europe ne veut plus négocier les mains vides.



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Author : Audrey Parmentier

Publish date : 2025-07-26 12:40:00

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