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Droits de douane : pourquoi il faut relativiser la « victoire » américaine

Droits de douane : pourquoi il faut relativiser la « victoire » américaine

C’est au 19e trou, l’équivalent au golf de la troisième mi-temps au football, que Donald Trump façonne le monde à sa guise. Ursula Von der Leyen a fait les frais, dimanche 27 juillet, de cette diplomatie du « swing ». A Turnberry, en Ecosse, dans l’un des nombreux club-houses du milliardaire, la cheffe de l’exécutif européen s’est résignée à un relèvement des droits de douane sur les exportations du Vieux Continent à hauteur de 15 %. Une véritable « soumission », a déploré le Premier ministre français François Bayrou. Une « gifle », voire une « extorsion », peut-on lire, ici et là. Difficile, à première vue, de trouver des motifs de satisfaction : aucune symétrie des droits de douane, l’Europe s’est engagée à investir 750 milliards de dollars dans des achats énergétiques, 600 milliards dans divers autres domaines, et à poursuivre ses achats militaires. Soit autant de capitaux qui ne seront pas investis dans une Europe en quête de souveraineté.

Pourtant, Ursula Von der Leyen a bien accepté les modalités trumpistes. Et avec de bonnes raisons, comme L’Express les a déjà énoncées. L’une d’elles était d’éviter une escalade mortelle, comme avec la Chine, au printemps dernier. « Si l’Europe avait établi 15 % de droits de douane, elle aurait obtenu 30 % en retour de la part des Etats-Unis. Avec 30 %, cela aurait été 45 %, et ainsi de suite », expose l’économiste français Nicolas Véron, cofondateur du think tank européen Bruegel à Bruxelles, également chercheur au Peterson Institute à Washington. Pas de jaloux : le Japon et les Philippines se sont respectivement vus infliger 15 % et 19 % de tarifs douaniers, le Royaume-Uni 10 %.

En Europe, secteur par secteur, ces barrières sont parfois moins élevées que prévu, avec même des exemptions pour l’aviation, certains produits chimiques et alimentaires. Ce qui a aussi été salué à demi-mot, dans la journée de lundi, par les principaux intéressés. « Ceux qui s’attendent à un ouragan sont reconnaissants d’une tempête », a déclaré Wolfgang Große Entrup, chef de l’Association allemande de l’industrie chimique VCI, à Reuters. Le lobby automobile européen s’est félicité d’une « désescalade ». La Suède parle du « moins mauvais accord » possible. La pression de la « Big Tech » sur les normes technologiques de l’Europe, le DSA et le DMA, n’a pas abouti. La Commission n’a, dans ce contexte, pas dégainé son arme anti-coercition (ACI).

L’Europe paye surtout pour sa sécurité

Les motivations de l’UE étaient probablement ailleurs. « On ne peut pas séparer la question commerciale de celle de la sécurité, analyse Nicolas Veron. Les dernières semaines ont été positives avec le sommet de l’Otan et la réaffirmation de l’aide à l’Ukraine par les Etats-Unis. La répartition des rôles semble désormais claire : les Américains donnent des armes ainsi que des renseignements, et les Européens payent. » Une nouvelle logique dans les relations transatlantiques, qui, selon l’expert, se serait matérialisée quel que soit le vainqueur de la présidentielle américaine. Sur l’énergie, l’UE achète déjà américain, et s’extirpe d’une dépendance bien plus nocive envers la Russie. « Les montants sont conséquents, mais il ne faut pas tomber dans le piège mercantiliste et considérer l’achat de produits dont nous avons besoin aux États-Unis comme une défaite », distingue Aslak Berg, chercheur au centre de réflexion européen CER, sur X.

Le sourire bright de Trump et sa communication triomphante peuvent être trompeurs pour ses propres administrés. « On a tendance à penser que le gagnant est celui qui met les droits de douane (ou tariffs, en anglais) les plus élevés ; c’est adopter la dialectique trumpienne, pointe à L’Express Antoine Bouet, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Les tariffs sont payés par les firmes et les ménages du pays qui les impose. » De nombreuses voix ont ainsi minimisé la victoire de Washington. « Si les nations avec les droits de douane les plus importants gagnaient, alors le Soudan et l’Iran seraient des superpuissances économiques », a ironiquement écrit Aslak Berg, sur le réseau social X. Les marchés financiers, à l’image de Wall Street, sont finalement restés très mesurés face à la nouvelle.

Des investissements sur parole

Des doutes existent sur la capacité de Trump à vraiment recevoir les capitaux espérés. « Les investissements directs étrangers ne sont pas tous vérifiables », estime Antoine Bouet, donnant pour exemple un précédent deal de Trump, au cours de son premier mandat, entre la Chine et les Etats-Unis, sur l’achat de soja américain, « très mal respecté ». Idem pour des achats de GNL, à la même époque, de la part de l’Europe, et qui n’ont pas atteint les proportions voulues par les Etats-Unis. Des premières fissures apparaissent aujourd’hui dans l’accord, pourtant récent, avec le Japon. Trump a fanfaronné, évoquant des investissements japonais à hauteur de 550 milliards de dollars. Tokyo conteste aujourd’hui, assurant qu’il n’y a aucun écrit validant ce montant, ni d’accord juridiquement contraignant, a rapporté le Financial Times. Ce lundi, l’UE a également rappelé, qu' »en tant qu’autorité publique », elle ne peut garantir les promesses d’investissements claironnés par l’administration Trump, et qui reposent « sur l’intention des entreprises privées ». Des arbitrages sont toujours en cours, et l’UE devra ratifier officiellement l’accord, avec l’approbation de plus de la moitié de ses membres. Ce qui n’est pas joué.

A plus long terme, enfin, les bénéfices pour les Etats-Unis s’avèrent flous. Les relocalisations espérées pourraient ne jamais venir. « L’incertitude ne favorise pas forcément l’investissement des entreprises », pense Antoine Bouet. L’économiste avait calculé, au moment du Liberation Day – le jour où Donald Trump a lancé sa guerre commerciale – des pertes allant jusqu’à 1 % du PIB pour les Etats-Unis. Si les comptes doivent être réévalués à l’aune des nouveaux droits de douane – les plus hauts depuis un siècle – tout indique que les Etats-Unis pourraient bien connaître à moyen terme une hausse de l’inflation et une baisse du PIB. C’est ce que conclut le centre de recherche politique « Budget Lab » de l’Université de Yale, dans des chiffres actualisés en début de semaine. Les droits de douane génèrent certes des recettes substantielles mais pèsent sur les ménages et l’économie : hausse généralisée des prix (+ 1,8 %, perte de pouvoir d’achat de 2 400 dollars par foyer), ralentissement de la croissance, pertes d’emplois et effets délétères pour les plus pauvres. La promesse de Donald Trump de remplacer ou réduire considérablement les impôts fédéraux sur le revenu par une hausse des droits de douane, apparaît quant à elle inatteignable.

En attendant, pour l’Europe, « une bonne partie du commerce ne se fait pas avec les Etats-Unis », pointe Nicolas Véron. La quête d’alternatives devrait même s’accélérer. « La rationalité voudrait que la France lève son véto à la signature de l’accord Mercosur », poursuit le spécialiste. L’Inde, la Malaisie, l’Indonésie, sont désormais dans le viseur de la Commission, qui espère multiplier les accords de libre-échange. Cette fois, loin des greens de golf.



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Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-07-29 16:30:00

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