« La politique c’est difficile. On avale des couleuvres, il ne faut jamais rien lâcher. » Rachida Dati parle d’expérience lorsqu’elle glisse ce conseil à son interlocutrice du jour. Dans son bureau de la mairie du 7e arrondissement, lieu de leur rencontre, Sandrine Rousseau opine du chef et donne le change à l’édile parisienne. À l’époque, l’écoféministe a le moral dans les chaussettes. Paria parmi les Verts, la perdante malheureuse de la primaire écolo, cyber-harcelée de part et d’autre, est virée de l’équipe de campagne présidentielle de Yannick Jadot pour avoir glissé dans la presse quelques méchancetés à l’encontre du candidat EELV.
Qu’importe, la sarkozyste apprécie le tempérament de cette nouvelle trublionne de la gauche et sa capacité à imposer dans le débat angles morts et impensés politiques. Ainsi s’est nouée leur relation, distante, mais faite de petits clins d’œil sur les plateaux, de « solidarité à des moments difficiles », glisse l’écolo. Sandrine Rousseau a, par exemple, le souvenir de ces « mots très politiques » qu’a pu avoir la femme de droite au sujet de l’affaire Denis Baupin, il y a quelques années ; Rachida Dati connaît de longue date le machisme dans le milieu. Alors les deux ont convenu, en cette journée de 2022, de s’offrir un petit moment de « sororité OFF ». Il durera si longtemps que la maire d’arrondissement devra s’absenter un moment… pour célébrer un mariage civil.
« Elle aurait pu être de gauche »
Passé les critiques sur sa « brutalité » et les récents appels à la démission, liés à son renvoi devant le tribunal pour corruption et trafic d’influence, les élus à bâbord ont, en privé, le compliment facile à l’égard de Rachida Dati. « Elle me fait penser à ces footballeurs à la Zidane qui mettent un coup de tête au joueur de l’équipe adverse. Elle a un côté cathartique car dans le fond, le grand public se dit ‘j’aurais pu le faire aussi' », analyse le maire socialiste de Saint-Ouen, Karim Bouamrane.
Il y a cette histoire et ce récit personnel qui plaît tant à la gauche, celui d’une jeune fille d’origine algéro-marocaine, pur produit de la méritocratie républicaine, issue d’une famille modeste de onze enfants. Il y a ses tentatives de triangulation politique aussi, qui en ont laissé plus d’un songeurs, mais qui, souffle-t-on, ont le mérite d’exister dans un contexte de radicalisation de la droite. « Elle a été sur le terrain de la vie nocturne et des cabarets, des thèmes pas très connotés à droite », analyse Frédéric Hocquard, adjoint écolo à Paris, chargé du tourisme et de la vie nocturne. « On reste des adversaires politiques, mais quand elle parle féminisme, on sent qu’elle parle en connaissance de cause. Pareil quand elle parle de racisme », assure la députée parisienne Sandrine Rousseau. « Elle aurait pu être de gauche », ironise une proche de la ministre. Un édile rose francilien s’en inquiéterait presque : « Attention dans l’isoloir au vote Rachida venu de chez nous… »
Candidate dissidente aux législatives partielles dans la 2e circonscription de Paris, l’actuelle ministre de la Culture ne pourra sûrement pas compter sur ses influents admirateurs de gauche. Quoique. À sa nomination au gouvernement, en janvier 2024, l’élue féministe EELV Alice Coffin exprimait de « très bonnes raisons d’avoir des attentes ». « C’est une femme politique qui fait partie des extrêmement rares qui n’ont pas peur des hommes. Elle a toujours usé de son verbe pour les dézinguer quand c’était nécessaire, pour prendre position », confiait-elle. Quelques années plus tôt, Rachida Dati avait pris la défense de l’élue lorsque cette dernière réclamait la démission de l’adjoint à la culture Christophe Girard, proche de Gabriel Matzneff et visé par une enquête de viol sur mineur, classée sans suite depuis.
Des informateurs
Le promontoire de la rue de Valois dispose d’une vue dégagée sur les deux Assemblées. Un terrain de chasse pour nouer de drôles de relations à gauche ? « Mashallah Rachida ! (sic) » Une chose est sûre, Yannick Jadot adore croiser la ministre de la Culture dans les couloirs du Sénat. Au détour d’une pause lors des « Questions au gouvernement », les deux papotent en vieux amis, échangent leurs derniers commérages sur les municipales parisiennes. Lui aurait bien voulu en être ; elle en sera, quoiqu’il advienne. Alors rions ensemble, à gorge déployée, des mésaventures de l’éphémère dauphin d’Anne Hidalgo, le sénateur socialiste Rémi Féraud. Au Palais Bourbon aussi, Rachida Dati garde un œil, soucieuse de l’avis des parlementaires de gauche. Alexis Corbière désapprouve, sur X, un soir d’hiver à 21 h 30, sa décision d’attribuer le pass culture au Puy-du-Fou ? Délicate attention de la ministre, qui décroche son téléphone dans la foulée et lui explique avec tact et à grand renfort d’arguments qu’il a tort… parce qu’elle a raison. Ici, on s’intéresse à tout, de la grande politique à la petite poloche, confondante de culot et d’esbroufe.
Et c’est ainsi qu’un député socialiste a été particulièrement surpris de l’entendre dire qu’elle a fait voter « les siens » pour Olivier Faure, l’actuel premier secrétaire du PS, au dernier Congrès. « J’ai été ravie de te revoir », a-t-elle un jour écrit à un autre parlementaire du même bord. Celui-ci a-t-il la mémoire qui flanche ? Ou la mémoire sélective ? Le destinataire de ce SMS enjoué a beau se creuser les méninges, il n’a pas le souvenir d’avoir déjà échangé avec Rachida Dati. La sarkozyste n’est pas sectaire, cela va sans dire. En mars dernier elle rendait visite, comme tant d’autres ministres de son gouvernement, à l’ex-président socialiste…
Semer des graines, récolter les fruits… Et ainsi, le temps d’un échange, naît un informateur, bien malgré lui. Début 2025, alors que la ministre se rend en visite officielle dans le Calvados, elle fuit les caméras, et les questions des équipes de « Complément d’enquête » (France 2). Arthur Delaporte, député PS, présent pour l’occasion, donne donc le change aux journalistes, après s’être brièvement écharpé avec la ministre. Lorsqu’elle quitte les lieux, les deux tentent de s’expliquer par message. Et Rachida Dati de partir à la pêche aux infos. Elle s’enquiert d’un portrait « à charge ». Effectivement madame la ministre, ces journalistes ne préparent pas un publireportage… Et au vu des questions posées au socialiste, le documentaire promet même, glisse-t-il, d’être « croustillant ». Il n’en faut pas davantage pour que l’entourage de Rachida Dati brandisse cette information pour décliner tout entretien avec les équipes de France 2.
L’anecdote raconte peut-être un changement de statut. Informée désormais, informatrice en son temps : les vieux habitués de l’Hôtel de Ville de Paris se souviennent encore des quelques tuyaux refilés aux équipes d’Anne Hidalgo, pour savonner la planche de sa meilleure ennemie, Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP aux municipales de 2014. Notamment du lieu, la date et l’heure de cette « séquence propreté », prévue par la cheffe de file dans le 9e arrondissement parisien. Le jour venu, « le quartier n’a jamais été aussi propre », confie un témoin de la manœuvre. Mais la bonne entente avec Anne Hidalgo est une histoire ancienne, sacrifiée, depuis 2020, sur l’autel des grandes ambitions parisiennes.
Un mariage avec les insoumis ?
La gauche est éparpillée dans la capitale ? À droite en tout cas, il ne peut y avoir deux shérifs dans la ville. Aux législatives de 2022 par exemple, Pierre-Yves Bournazel – candidat Horizons dans la 18e circonscription de Paris et prétendant désormais au trône parisien – est persuadé que la sarkozyste a appelé à voter pour son adversaire… Qui n’est autre que le député apparenté LFI, Aymeric Caron. Voilà donc quelque temps que l’on observe, à bâbord, ce drôle de jeu entre la ministre de la Culture et les Insoumis. À l’heure où la gauche unie appelle à la démission de Rachida Dati, pourquoi diable les huiles mélenchonistes, coutumières de ces revendications, ne suivent-elles pas le mouvement ? « Une même gêne face à la justice et les affaires », souffle un ancien de la maison LFI. Quand la droite pousse des cris d’orfraie car Jean-Luc Mélenchon souhaite rebaptiser le français en « langue créole », pourquoi donc la ministre se distingue-t-elle par sa bienveillance ? « Je ne veux pas critiquer. » Et quand le reste de la classe politique souhaite sortir La France insoumise de l’arc républicain, pourquoi donc Dati nage-t-elle à contre-courant ? « LFI bouscule, c’est une marque de fabrique que je peux apprécier tout en étant en désaccord », glisse-t-elle en janvier 2024 au Parisien.
Jean-Luc Mélenchon et Rachida Dati, une relation politique singulière. Dix ans de trajets ferroviaires, direction la bulle bruxelloise, forgent-ils une amitié ? L’insoumis de gauche a toujours apprécié le traitement que lui réservaient les sarkozystes, voyant en sa figure la possibilité d’affaiblir le PS. L’insoumise de droite admire la culture du patriarche et affectionne les longues conversations entretenues à l’époque.
Août 2022. Rachida Dati est accueillie en majesté, pluie de selfies, non pas à La Baule, mais dans la Drôme, à l’université d’été des Insoumis. « Pour ceux qui ont peur des débats bruyants, sachez que j’aime le bruit, parce que j’aime le débat ! », y a-t-elle affirmé sous les applaudissements.
Mais l’heure est aujourd’hui, peut-être comme hier, aux calculs politiques. La loi PLM, soutenue tant par LFI que Rachida Dati, n’incite-t-elle pas les gauches parisiennes, puissantes mais divisées, à s’unir ? Après tout, le PS de la capitale et les Insoumis se détestent. Voilà désormais que le reste de la gauche soupçonne les deux camps de s’entendre. Une alliance objective, un mariage officieux… ? En parlant de cela, Rachida Dati a déjà marié un député insoumis. C’était l’année dernière, à la mairie du 7e arrondissement.
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Author : Mattias Corrasco
Publish date : 2025-07-29 15:00:00
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