Plus de 500 000 enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère au Yémen, selon l’Unicef. Depuis 2014, date à laquelle les Houthis, soutenus par l’Iran, ont rejeté le nouveau régime du président yéménite Abdrabbo Mansour Hadi (2012-2022), quelque 11 000 enfants ont été tués. Toujours d’après l’Unicef, plus de la moitié de la population, soit 18,2 millions de personnes, dont 9,8 millions d’enfants, ont besoin d’une aide vitale.
Le « Yémen heureux », comme on l’appelait autrefois au Moyen-Orient en raison de la fertilité de sa terre et de la richesse de ses produits agricoles, n’est plus qu’un pays de misère et de mines antipersonnel. Pourtant, vu d’Occident, cette catastrophe humanitaire semble ignorée, bien qu’elle se déroule dans la même région que celle de Gaza. Existerait-il une hiérarchisation des tragédies humanitaires dans la perception occidentale ?
Les vrais responsables
L’horreur de la famine à Gaza nous parvient par le biais d’images d’une qualité exceptionnelle. Sur les réseaux sociaux, les photos tournent en boucle : des enfants en train de mourir de faim, des files d’attente devant des casseroles de soupe, ou encore des corps victimes de la famine. Mais ces images sont publiées dans un seul cadre narratif : Israël est le méchant, il assiège les civils. En Occident comme au Moyen-Orient, ce pays est diabolisé comme jamais auparavant. De son gouvernement à son armée, en passant par son peuple. Or c’est exactement ce que le Hamas recherche.
Le 27 juillet dernier, son chef Khalil al-Hayya, installé dans le confort climatisé des hôtels du Qatar, saluait ainsi les opérations militaires des brigades al-Qassam, le bras armé du Hamas, contre « l’ennemi sioniste ». Ces opérations sont pourtant menées depuis des zones civiles, au mépris des populations locales. Al-Hayya a également salué la capacité des Palestiniens à « supporter » la famine pour poursuivre la résistance. C’est lui, avec son entourage, qui a refusé les dernières négociations avec Israël, lesquelles auraient pu mettre fin à cette guerre. Le Hamas exigeait la libération de 150 prisonniers, membres de ses rangs, détenus par Israël. Pour le mouvement terroriste, ces hommes comptent davantage que les quelque deux millions de Palestiniens qui souffrent des conséquences du conflit. Israël, de son côté, souhaitait maintenir la présence de Tsahal dans un périmètre de 1 200 mètres à Gaza. Le Hamas a refusé, exigeant de limiter cette zone à 800 mètres. Pour lui, ces 400 mètres de terre ont apparemment plus de valeur que les vies humaines qui s’éteignent chaque jour dans la bande de Gaza.
Le jour même du discours de Khalil al-Hayya, plusieurs camions d’aide humanitaire sont entrés dans la bande de Gaza depuis l’Égypte, via le point de passage de Rafah. Le journaliste palestinien Amr Tabash, résidant à Gaza, a témoigné : la plupart de ces camions ont été pillés. « Ceux qui volent l’aide ne sont pas affamés, ce sont des voleurs sans honneur. Ils arrachent la nourriture de la bouche des enfants pour la revendre au marché noir à des prix exorbitants, que nous ne pouvons pas nous permettre de payer. »
Ces voleurs ne sont pas israéliens, mais bien des membres des forces armées palestiniennes présentes à Gaza. C’est précisément pour cette raison que les Egyptiens, comme l’Union européenne, préfèrent désormais larguer l’aide humanitaire depuis le ciel. Mais cette réalité-là n’a pas sa place dans le discours des porte-parole de la propagande anti-israélienne. Tout cela ne signifie pas que le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’est pas responsable. Il l’est pour l’escalade, pour les massacres de civils, pour les bombardements de zones habitées par des innocents. Les deux camps portent leur part de responsabilité.
La souffrance comme arme idéologique
Imaginons que, demain, la crise humanitaire à Gaza soit résolue. Les voix appelant à discréditer Israël ne se tairont pas pour autant. Leur objectif n’est pas que les Palestiniens vivent mieux, mais que les juifs vivent mal. Sur les cinq premiers mois de 2025, 504 actes antisémites ont été recensés en France, selon le ministère de l’Intérieur. La famine à Gaza a sans doute contribué à ce chiffre, toujours élevé par rapport à l’année précédente (NDLR : 662 sur la même période en 2024), mais elle n’en est pas la cause profonde : ce n’est qu’un prétexte de plus pour alimenter une propagande ancienne.
« From the river to the sea… » : ce slogan, qui appartient au Hamas et appelle à effacer l’existence d’un pays entier, Israël, est régulièrement scandé lors des manifestations européennes en soutien à Gaza. Aujourd’hui, il est brandi au nom de la faim. Hier, c’était au nom de l’occupation. Demain, ce sera sous un autre prétexte. Mais le fond reste le même : il ne s’agit pas de justice, mais d’anéantissement.
Des ambassades égyptiennes prises pour cible
C’est ainsi que, comme le Hamas, ces manifestants participent à l’instrumentalisation la plus cynique et la plus honteuse de la souffrance humaine. Pour eux, même l’Egypte est devenue complice de la tragédie gazaouie. Ces derniers jours, plusieurs ambassades égyptiennes ont été prises pour cible par des manifestants. Bien que l’Égypte joue un rôle central de médiation dans les négociations entre Israël et le Hamas, et qu’elle autorise l’entrée de l’aide humanitaire, cela ne suffit pas : à leurs yeux, elle est coupable par association. Seul le Hamas, dans cette « révolution » absurde menée au nom de la Palestine, reste intouchable.
Pendant ce temps, le drame du Yémen, lui, demeure dans l’angle mort de l’indignation mondiale. La crise alimentaire y est tout aussi critique qu’à Gaza : accès limité aux soins, malnutrition infantile endémique, pénurie d’eau, insécurité chronique… Les femmes et les enfants en sont les premières victimes. Plus de 6,2 millions de femmes sont exposées à un risque accru de différentes formes de violences. Mais à la différence de Gaza, leur détresse ne mobilise pas. Pas de marches massives, pas de hashtags viraux, pas de slogans scandés dans les rues occidentales. Le Yémen ne sert aucune cause spectaculaire, ne s’inscrit dans aucune grille idéologique facile à brandir. Il ne fournit pas de récit manichéen à diffuser. À Gaza, la souffrance devient une arme. Au Yémen, elle ne vaut même pas une pancarte.
*Ecrivain et poète né près de Damas en 1987, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Il vient de publier L’Arabe qui sourit (Flammarion).
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Publish date : 2025-07-31 15:54:00
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