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« Il faut passer outre cette amertume post Brexit » : l’appel de l’ex-ambassadrice du Royaume-Uni en France

« Il faut passer outre cette amertume post Brexit » : l’appel de l’ex-ambassadrice du Royaume-Uni en France


A l’ambassade du Royaume-Uni en France, à deux pas de l’Elysée, l’heure est aux cartons de déménagement. Après quatre ans en poste à la tête de la mission diplomatique à Paris, Menna Rawlings a quitté ses fonctions en cette fin de mois de juillet. Au cours de son mandat, se seront succédé pas moins de quatre Premiers ministres britanniques. Et davantage de dossiers explosifs entre Paris et Londres : relation post-Brexit chaotique, affaire des sous-marins australiens, traversées de migrants par la Manche, pêche…

A l’heure des comptes, trois semaines après la visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Royaume-Uni, la relation a pourtant rarement été aussi apaisée entre les deux rives de la Manche. D’ailleurs, quelques jours après l’annonce d’une reconnaissance de la Palestine par Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, s’est aligné sur la position française le 29 juillet, annonçant qu’il fera de même en septembre, à moins qu’Israël ne prenne une série d’engagements, dont celui d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Peu de temps avant cette annonce, L’Express avait rencontré Menna Rawlings pour un ultime entretien avant son départ.

L’ambassadrice britannique en France, Menna Rawlings, le 6 juin 2023, lors des commémorations du 79e anniversaire du débarquement à Ver-sur-Mer.

L’Express : Lors de votre arrivée en poste à Paris en 2021, les relations entre la France et le Royaume-Uni étaient au plus bas. Quatre ans plus tard, la coopération entre Paris et Londres, tant sur les plans diplomatiques que militaires, franchit un nouveau cap. En tant que diplomate, mission accomplie ?

Menna Rawlings : Lorsque j’ai pris mes fonctions à Paris, il est vrai que les relations franco-britanniques étaient, disons-le, un peu agitées. On pense bien sûr à l’impact du Brexit, mais ce n’était pas l’unique sujet de tension. A cette période, la gestion de la pandémie de Covid, avec la rupture des voyages et des visites entre nos deux pays et certaines questions comme l’approvisionnement en vaccins avaient également compliqué les rapports. Petit à petit, nous sommes toutefois parvenus à trouver une nouvelle voie dans nos relations. Et cela me semble primordial : le Royaume-Uni et la France doivent être alliés et travailler main dans la main pour faire face aux grands défis auxquels est confrontée l’Europe, qu’il s’agisse de la menace russe ou de la lutte contre le changement climatique. Il était donc nécessaire de tourner la page. La visite d’Etat du président Emmanuel Macron dans notre pays en juillet a été un bon rappel du chemin parcouru ces dernières années.

Quel diagnostic faites-vous de la relation franco-britannique aujourd’hui ?

Nous sommes aujourd’hui plus proches que nous ne l’avons été au cours des dernières années, voire décennies. Les résultats du récent sommet entre nos deux pays à Londres peuvent en témoigner : nous avons conclu un nouvel accord sur les questions de défense et de sécurité, renouvelé ceux de Lancaster House, et en avons trouvé un autre sur la lutte contre l’immigration clandestine dans la Manche. Des annonces dans le domaine des affaires étrangères et sur des investissements mutuels dans les secteurs du nucléaire, avec EDF, et du spatial, avec Eutelsat, ont aussi été faites. C’est important pour montrer au monde que nous sommes ensemble pour faire face aux grands enjeux de l’époque.

La rancune post-Brexit appartient-elle vraiment au passé ?

Toutes les traces n’ont pas disparu, et c’est normal. Mais en même temps, le nouvel accord trouvé en mai dernier entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, tout comme celui entre Londres et Paris, a permis d’avancer. C’est pour moi un point clef. Il est nécessaire de passer outre cette amertume qui existait immédiatement après le Brexit. Je pense qu’aujourd’hui une grande partie du chemin a été faite et qu’il n’existe plus réellement de sujets de désaccord majeurs au niveau bilatéral. Si ce n’est peut-être la rivalité sportive, mais qui, elle, restera toujours amusante !

La guerre en Ukraine a-t-elle représenté un tournant dans ce rapprochement entre Paris et Londres ?

Oui, tout à fait. Cette guerre a brusquement remis en lumière l’importance de notre alliance sécuritaire et militaire. Même si cette dernière restait évidente de par notre coopération en Estonie pour protéger les frontières de l’Europe, le conflit en Ukraine a constitué un bon rappel du fait qu’on ne peut pas se permettre d’être complaisant lorsque l’avenir du continent est en jeu. Aujourd’hui, le Royaume-Uni et la France sont les deux dirigeants de la coalition des volontaires [qui prévoit notamment de déployer des troupes pour aider à sécuriser l’Ukraine une fois les hostilités terminées]. Nous partageons les mêmes objectifs : soutenir Kiev aussi longtemps que nécessaire, et montrer à la Russie que nous sommes déterminés à protéger la sécurité de l’Europe, et ses valeurs.

Est-ce à dire que la France et le Royaume-Uni finissent toujours par se retrouver face aux grands défis de l’Histoire ?

C’est ce que je crois, et nous le voyons depuis l’Entente Cordiale entre nos deux pays il y a plus d’un siècle. L’Histoire nous montre que lorsque de grandes menaces ont pesé sur notre continent, nous nous sommes toujours rassemblés. Bien sûr, nous avons parfois eu des désaccords, comme lors de la guerre en Irak par exemple, mais cela ne nous a pas empêchés de nous réunir lorsque c’était nécessaire. Nous partageons tous deux la même région d’Europe et avons une histoire et des valeurs communes, et c’est ce qui nous rassemble.

Quel rôle le couple franco-britannique peut-il jouer dans la défense du continent européen ?

Sur le plan bilatéral, nous avons annoncé une nouvelle force qui s’appellera « Combined Joint Force » et va multiplier par cinq le nombre de soldats présents en son sein par rapport au format actuel. Cela constitue un engagement très important. Ensuite, nous allons également coopérer plus étroitement en ce qui concerne la dissuasion nucléaire et partager davantage d’informations. Le fait de le signaler publiquement est en outre un pas important pour montrer à nos ennemis que nous sommes alignés dans ce domaine. Au-delà, nous coopérons également – et avec les Etats-Unis – au sein de l’Otan, pour défendre le continent européen, et il est essentiel de le rappeler dans le contexte actuel.

Le Royaume-Uni a toujours été très engagé dans le soutien à l’Ukraine. Pensez-vous que les autres européens en font assez ?

Depuis le début de la guerre, le Royaume-Uni a effectivement été très impliqué dans le soutien à l’Ukraine. Nous avons dépensé plus de 18 milliards de livres sterling [20,8 milliards d’euros] – dont 13 milliards pour le soutien militaire. Et nous nous sommes engagés à continuer : ce mois-ci nous avons par exemple annoncé augmenter la production de missiles franco-britanniques Scalp/Storm Shadows pour fournir l’armée ukrainienne. Pour répondre plus directement à votre question, je pense qu’il faut souligner que le soutien européen a été important jusqu’à présent. Toutefois, au vu de la situation actuelle du pays, il me semble aujourd’hui nécessaire d’accroître les efforts. De plus, cela permettra de montrer aux Etats-Unis que nous sommes déterminés à soutenir Kiev aussi longtemps que nécessaire.

Pour finir sur une note plus personnelle, quel souvenir vous a le plus marqué durant vos quatre années en France ?

Mon affectation ici a été marquée par de nombreux moments mémorables, qu’ils soient dramatiques, comme la guerre en Ukraine, ou plus heureux, comme les Jeux olympiques ou la réouverture de Notre-Dame. Néanmoins, celui qui a été le plus marquant pour moi est probablement la mort de la reine Elisabeth II. C’était une période très émouvante et difficile, mais la réponse de nos amis français a été incroyable. Je me souviens notamment des mots du président Emmanuel Macron qui a parlé en anglais à la population britannique pour dire : « To you she was your queen, to us she was the queen, she will live in our hearts forever. » Il me semble que cela a constitué un point d’inflexion dans la relation franco-britannique. Après des années très difficiles, cela a montré que la France était main dans la main avec nous dans ce moment de tristesse. Et c’était très important.

Si vous aviez un conseil à donner à votre successeur, quel serait-il ?

Généralement je ne donne pas de conseils à mes successeurs, mais je pourrais néanmoins lui suggérer deux choses. La première est qu’il est important de se rendre dans toutes les régions françaises, parce qu’il est impossible de vraiment comprendre la France en restant uniquement à Paris. Au moment de ma prise de fonctions, lorsqu’il y avait de la frilosité dans la relation entre nos deux pays, j’y ai trouvé beaucoup d’enthousiasme et cela était un bon rappel du fait que les connexions entre nos deux pays ne se font pas que dans la capitale. Le deuxième conseil serait : « keep calm and carry on » [« restez calme et continuez », slogan inventé par le gouvernement britannique en 1939]. Les relations franco-britanniques sont particulièrement intenses, et elles peuvent réserver de grandes joies mais inévitablement aussi leur lot de défis. Raison pour laquelle j’ai toujours pensé que le flegme britannique pouvait se révéler utile à ce poste.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2025-07-31 06:45:00

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