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Pablo Iglesias, ex-leader de Podemos : « Il est difficile d’imaginer LFI sans Mélenchon, et c’est tout le problème »

Pablo Iglesias, ex-leader de Podemos : « Il est difficile d’imaginer LFI sans Mélenchon, et c’est tout le problème »

Au début de l’année 2025, Jean-Luc Mélenchon était à Madrid pour rendre visite à Pablo Iglesias. L’occasion de lui déclarer toute sa reconnaissance, dans un entretien filmé : « Somos los hijos de América Latina y de Podemos ! » (« Nous sommes les enfants d’Amérique Latine et de Podemos », NDLR). Le mouvement politique, né de celui des Indignés, incarnation du moment populiste de gauche, n’est cependant plus ce qu’il était. Après avoir menacé d’extinction les sociaux-démocrates et le bipartisme espagnols, le voilà désormais très affaibli. Durablement ?

Pablo Iglesias connaît son Jean-Luc Mélenchon, dix ans de compagnonnage politique servent à nouer une étroite relation. Ne comptez donc pas sur l’ancien vice-président du gouvernement espagnol pour se désolidariser de son camarade, il le défendra dur comme fer, jusqu’au bout. Mais des écueils de Podemos naissent quelques leçons pour La France insoumise (LFI). Le professeur de sciences politiques en a une : la prochaine élection présidentielle sera « peut-être sa dernière danse ». Pour que LFI lui survive, Mélenchon doit préparer sa succession. Entretien.

L’Express : En Europe, vous êtes l’un des principaux acteurs – et inspirateurs – du « moment populiste » de la gauche européenne. Quel bilan dressez-vous de cette période qui, avec l’affaiblissement de votre parti ou de Syriza en Grèce, semble révolue ?

Pablo Iglesias : L’Europe est composée de systèmes de partis différents, il est donc difficile de résumer la situation de manière homogène. Nous pouvons néanmoins observer quelques éléments de continuité. Si en 2015, Podemos, Syriza ou même le Front de Gauche pouvaient représenter une alternative aux conséquences de la crise économique de 2008, nous vivons aujourd’hui un tournant réactionnaire. L’extrême droite néolibérale et pro-Otan est la grande force émergente sur le continent. Sans parler de la Hongrie ou de la Pologne, les post-fascistes gouvernent en Italie, les néonazis sont la deuxième force en Allemagne, Chega a explosé au Portugal, et malgré les déboires judiciaires de Marine Le Pen, le RN aspire à remplacer la droite française.

En Espagne aussi, tous les sondages prévoient un futur gouvernement de coalition entre la droite conservatrice et Vox. Il n’y a qu’à regarder la différence de traitement entre Syriza en Grèce et Giorgia Meloni : ces années ont permis de démontrer que l’ultra droite n’est pas un problème pour l’Union européenne, dont la construction politique réside dans la subordination aux États-Unis et à l’Otan. Dans ce contexte, les forces de gauche, affaiblies, continuent d’exister, mais sont victimes d’une très grande violence médiatique, de la justice et autres cloaques de l’État.

« La France insoumise est une exception européenne. »

Le populisme d’extrême droite, au récit homogène, a remplacé celui de la gauche radicale sur le continent, en quête d’un nouveau récit…

Les extrêmes droites européennes sont hétérogènes ! Le Rassemblement national est pro-Poutine, quand Giorgia Meloni rentre dans le rang quand sonne le clairon d’Ursula von der Leyen. En réalité, ce camp politique ne représente pas l’indignation sociale puisqu’elle est complice de l’establishment. Vox, par exemple, n’est pas une force politique d’outsider, c’est un parti dont les cadres, sociologiquement, sont issus de la fonction publique d’État, et politiquement du Parti populaire (la droite conservatrice, NDLR).

Sur le continent, La France Insoumise, toujours haute dans les sondages, fait donc figure d’exception ?

La France Insoumise est une exception européenne. C’est le mouvement de gauche radicale le plus puissant sur le continent. Ce constat est d’autant plus important qu’il s’agit de la France, l’un des deux seuls États avec l’Allemagne conservant, du fait de leur poids politique et économique, une forme de souveraineté. On pourrait donc supposer qu’un président de gauche, comme Mélenchon, pourrait s’opposer à la signature de traités, désobéir au conseil et à la commission européenne. En ce sens, imaginer Jean-Luc Mélenchon président de la République est difficile. Il aura face à lui, d’un côté toutes les droites, et de l’autre les sociaux-démocrates et le reste des gauches, capables de tout pour éviter son accession au pouvoir. Mais la simple possibilité qu’il soit candidat est un défi majeur lancé aux structures du pouvoir européen.

« Nous sommes les enfants de Podemos », affirmait Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à votre chaîne. Quelles leçons doit-il tirer de l’effondrement de Podemos ?

Nous sommes une preuve supplémentaire que la démocratie libérale est faussée. L’oligarchie s’est abattue sur nous pour amoindrir notre progression électorale. J’ai dû aller à la télévision pour démentir des allégations – un compte en banque au Venezuela de Nicolás Maduro – diffusées par des policiers et autres médias ! La gauche doit comprendre une chose fondamentale : la démocratie est une corrélation de forces, et non pas une idéologie, ni un dénominateur commun où droite et gauche se mettent d’accord pour dessiner l’institutionnalité libérale d’un système politique. Si les résultats vont dans le sens inverse des intérêts de l’élite, ils utiliseront tous les moyens pour restaurer leur pouvoir. La gauche doit donc challenger le pouvoir dans tous les secteurs. Il ne faut pas simplement gagner les élections. Il faut des policiers de gauche, des journalistes de gauche, des entrepreneurs de gauche, des juges de gauche, des hauts fonctionnaires de gauche…

Vous connaissez depuis longtemps Jean-Luc Mélenchon. Vous avez donc observé ses variations : l’homme de gauche a un temps refusé de s’en réclamer, « populiste » puis « populaire », il était laïcard et a bien changé depuis… Comment avez-vous apprécié ses revirements ?

C’est votre opinion. Jean-Luc Mélenchon est l’un des personnages les plus cohérents de la politique française. Il est lucide et possède une capacité de connexion émotionnelle avec tous les secteurs populaires du pays depuis si longtemps. Et il est attaqué de toute part – y compris par une gauche qui le jalouse – ce qui, pour moi, est sa meilleure carte de visite. Mais nous sommes des réalités biologiques limitées : Mélenchon a un certain âge, 2027 sera sûrement sa dernière danse. Il est difficile d’imaginer La France insoumise sans lui, et c’est tout le problème. Les forces politiques doivent survivre au-delà de leurs grands leaders.

Les gauches ont-elles une vocation naturelle à s’unir pour accéder au pouvoir ? Podemos a connu ce dilemme…

Intuitivement, l’union est géniale. Mais deux conditions fondamentales sont nécessaires : un accord programmatique minimum et des règles pour la protéger. En politique, selon la conjoncture, les acteurs sont parfois des alliés, des adversaires ou des ennemis. Par exemple, le gouvernement actuel espagnol, coalition de gauche, a certes reconnu symboliquement l’État de Palestine, mais il est pro-Otan et l’Espagne est le pays de l’UE qui a acheté le plus d’armes et de munitions à Israël entre février et mai 2025. Nous avons donc aujourd’hui des différences fondamentales avec le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol, à qui Podemos était allié par le passé, NDLR). Les relations changent en fonction du contexte. La gauche française est hypocrite : elle propose l’union à Mélenchon, mais ils adoreraient l’enterrer et danser sur sa tombe. En France, somme toute, il n’y a d’unité des gauches seulement quand le PS et ses alliés comprennent qui est la force majoritaire.

« Si tu ne souhaites pas exercer le pouvoir, ne fais pas de politique. »

Contrairement à La France insoumise, Podemos a connu une expérience gouvernementale. Le pouvoir abîme-t-il la gauche radicale ?

Au pouvoir, j’ai vécu dans la contradiction permanente. Gouverner en minorité avec les sociaux-démocrates, être témoin de décisions de politique intérieure ou extérieure avec lesquelles j’étais en désaccord, c’était vivre une contradiction permanente. Mais ça fait partie de la politique. C’est comme si je vous demandais : « Croyez-vous qu’écrire fait mal au journalisme ? » Sûrement. Mais si tu ne veux pas écrire, ne sois pas journaliste. Si tu ne souhaites pas exercer le pouvoir, ne fais pas de politique. Monte une ONG à la place.

La France insoumise affiche de grandes ambitions pour les prochaines élections municipales. Peut-on survivre longtemps sans maillage territorial ? Vous aviez connu un certain succès en 2015, avec des listes citoyennes. Cinq ans plus tard, les insoumis avaient imité la démarche… et ce fut un échec.

Non. Une force politique nationale, aussi puissante soit-elle, a besoin d’une implantation municipale. Pedro Sanchez m’a un jour recommandé la géniale série « Baron Noir ». J’ai compris que le président de la République devait disposer d’une fine connaissance de la politique locale. A Podemos, nous avons connu un certain succès dans les grandes villes, à travers nos listes citoyennes. Ce fut une expérience fondamentale, pleine de contradictions là aussi. Mais, avec du recul, c’était une erreur d’y participer avec ces listes citoyennes. Nous apportions 90 % du capital électoral de ces candidatures mais, par peur, nous avons renoncé à assumer l’exercice du pouvoir municipal en tant que parti. C’était une forme d’immaturité de notre part. Mais, à l’époque, nous avons grandi trop vite.

Vous avez ouvert un bar à Madrid, « La Taberna Garibaldi ». Vous êtes-vous définitivement retiré de la vie politique ?

Comme le disait le penseur marxiste Kautsky : « Les tavernes sont les derniers bastions de liberté du prolétariat. » Tout est bataille culturelle, même la gastronomie ! J’aime ce que je fais aujourd’hui, je dirige « Canal Red », je donne des cours de sciences politiques. Je ne reviendrai pas en politique. Je suis fier de faire ce que j’ai fait, mais ces sept ans en première ligne m’ont traumatisé. J’ai sombré dans l’amertume, c’était trop difficile, je n’étais pas heureux. Aujourd’hui, oui. Les gens me disent même que j’ai l’air plus jeune.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2025-08-01 10:00:00

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