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« Rendre la vie invivable » : en Ukraine, le fléau sans limite des frappes aériennes russes

« Rendre la vie invivable » : en Ukraine, le fléau sans limite des frappes aériennes russes

Au cœur de la république du Tatarstan, la plus grande usine de drones de Russie, sur la zone économique spéciale d’Alabuga, tourne sans discontinuer. A plus de 1200 kilomètres du front, c’est ici que sont produits les Geran-2, version russe des drones suicides Shahed-136 iraniens, utilisés en masse par Moscou pour frapper l’Ukraine. Afin d’accroître la production, plusieurs nouveaux bâtiments sont sortis de terre cette année. Un an plus tôt, dans la ville industrielle d’Ijevsk, à une centaine de kilomètres de là, un deuxième site de fabrication avait déjà ouvert ses portes. Le but : alimenter toujours plus la machine de guerre russe, qui les envoie désormais en salves de plusieurs centaines d’unités sur les villes ukrainiennes.

Le déluge de feu est quotidien. Ces mêmes modèles ont été employés par Moscou pour bombarder Kiev, dans la nuit du 31 juillet, faisant au moins 31 morts et 159 blessés. En quelques heures, un total de 309 drones et huit missiles se sont abattus sur le pays. A peine deux jours avant, de précédentes frappes sur la ville de Kharkiv et dans la région de Zaporijia avaient coûté la vie à une trentaine de personnes. « L’objectif des Russes est de rendre la vie invivable, pointe Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et expert aéronautique. En multipliant les attaques contre des cibles qui n’ont pas d’intérêt militaire, ils veulent faire pression sur les civils en espérant qu’ils cèdent. » Sans succès jusqu’à présent.

Drones, leurres, missiles…

Moscou ne lésine pourtant pas sur les moyens. En juin, un nouveau record a été franchi avec plus de 5300 drones envoyés contre l’Ukraine. Bien loin des quelques centaines d’unités lancées par mois il y a deux ans. Selon les renseignements militaires ukrainiens, les industries russes seraient aujourd’hui capables de produire 170 appareils de ce type par jour, et pourraient monter à 190 d’ici la fin de l’année. Leur principal avantage : un coût relativement modeste – autour de 50 000 dollars pour le plus connu d’entre eux, le Geran-2, capable d’emporter une cinquantaine de kilos d’explosifs à une distance de plus de 1700 kilomètres. En clair, un moyen de frappe bon marché pour exercer une pression constante sur la population ukrainienne.

Se développent en parallèle les drones leurres Gerbera, dépourvus, eux, de charge explosive. Ces imitations des Geran-2, encore moins chères à produire, sont utilisées par les Russes pour semer la confusion. L’effet recherché : forcer les Ukrainiens à épuiser leurs munitions pour les abattre en vol par crainte d’avoir affaire à leurs homologues dotés d’explosifs. « Ils peuvent ainsi prendre le feu aérien à la place des autres drones, confirme un expert de la guerre aérienne, bien au fait du dossier. In fine, l’objectif est de générer une saturation brutale des défenses antiaériennes pour permettre à certains drones ou missiles de passer entre les mailles du filet. » Et ainsi maximiser les dégâts occasionnés à chaque vague d’attaque.

Car l’arsenal de frappe russe ne se limite pas qu’aux drones. Chaque salve se double quasi systématiquement de missiles de croisière ou balistiques, autrement plus dévastateurs et difficiles à arrêter. Selon des informations du renseignement militaire publiées dans la presse ukrainienne en juin, Moscou serait aujourd’hui capable de produire au moins 195 projectiles de ce type chaque mois, dont 60 missiles balistiques Iskander-M et un nombre similaire de missiles de croisière Kh-101 – soit une augmentation de la cadence de fabrication de 10 à 20 % selon les modèles par rapport à l’an passé.

Au-delà du pilonnage intensif de l’Ukraine, cette mise en branle des industriels russes a permis à Moscou de regarnir ses stocks de missiles, largement mis à mal dans les premières années de la guerre. D’après les chiffres du renseignement ukrainien, ceux-ci compteraient aujourd’hui plus de 1950 missiles stratégiques. « Les Russes sont parvenus à contourner les sanctions occidentales et à accroître massivement leur production, relève Xavier Tytelman. Même si c’est plus difficile qu’avant, ils réussissent aujourd’hui à mettre la main sur certains composants critiques pour leurs missiles. »

Saturer les défenses

Plus qu’une simple question de nombre, les Russes ont aussi fait évoluer leur modus operandi au fil du conflit. Si pendant les deux premières années de la guerre les vagues de missiles et drones se répartissaient assez largement sur le territoire ukrainien, celles-ci se concentrent désormais sur quelques zones cibles par nuit afin de gagner en efficacité et submerger avec d’autant plus de facilité les défenses antiaériennes adverses.

Dans ce contexte d’intensification des bombardements, Berlin a annoncé le 1er août la livraison « dans les prochains jours » de deux batteries antiaériennes Patriot supplémentaires à Kiev. Problème, si ces systèmes coûteux sont particulièrement performants pour abattre les missiles russes, ils sont nettement moins adaptés pour contrer les vagues de centaines de drones low-cost. Résultat, les Ukrainiens ont mis au point des solutions à bas coût comme leur destruction en vol depuis un hélicoptère, ou le développement de drones intercepteurs, tels que le Sting, un engin peu onéreux et capable de voler jusqu’à 3000 mètres d’altitude pour détruire sa cible.

Suffiront-ils à alléger la pression ? La tendance pour les prochains mois ne pousse pas à l’optimisme. Alertant sur la hausse des moyens de frappe russe, le général allemand Christian Freuding, qui supervise le soutien à Kiev au sein de la Bundeswehr, a estimé mi-juillet que la Russie pourrait être en capacité de cibler l’Ukraine avec jusqu’à 2000 drones en une seule nuit d’ici l’automne prochain. Un volume excédant de loin les capacités d’interception du pays. « Personne n’est capable d’arrêter 2000 drones qui arriveraient en même temps, abonde le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. De telles salves se traduiraient quasi mécaniquement par davantage de morts et de destructions dans les zones touchées. »

A moins qu’une donnée de l’équation ne vienne perturber le calcul russe. Donald Trump, dont les efforts pour parvenir à un cessez-le-feu n’ont pour l’instant récolté qu’une fin de non-recevoir du Kremlin, a qualifié le 1er août d' »écœurante » la dernière vague d’attaques contre la capitale ukrainienne. D’ores et déjà échaudé par la poursuite des frappes en marge des pourparlers entamés ces dernières semaines, le locataire de la Maison-Blanche avait, le 29 juillet, réduit à 10 jours son ultimatum lancé au chef du Kremlin pour mettre fin à la guerre sous peine d’un durcissement des sanctions économiques. Entre autres moyens de pression envisagés, des mesures dites « secondaires » à l’encontre des pays qui continuent d’acheter du pétrole russe – une source de revenu essentielle du régime. Peut-être, in fine, la meilleure assurance contre les frappes.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2025-08-02 05:45:00

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