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French Gut, la cartographie de notre microbiote : « On pourra prédire qui risque de tomber malade »

French Gut, la cartographie de notre microbiote : « On pourra prédire qui risque de tomber malade »

Au sein de notre intestin se trouvent des milliards de bactéries. Loin d’être néfastes, elles vivent en symbiose avec nous, dans un échange de bons procédés bénéfiques pour elles et nous. En effet, les enzymes digestives humaines ne peuvent pas décomposer entièrement toutes les fibres végétales. Nos petits hôtes, eux, en sont capables. Mais pour fonctionner pleinement, ces bactéries hyperspécialisées doivent être nourries avec une grande variété de fibres : fruits, légumes, aliments complets (pain, pâtes, riz, céréales). En retour, elles produisent des molécules appelées acides gras à chaîne courte excellentes pour notre santé : l’acétate, le propionate et le butyrate, qui fournissent de l’énergie aux cellules, protègent contre certains cancers des voies digestives et ont des actions antimicrobiennes et anti-inflammatoires.

Si les avancées scientifiques des dernières années nous ont permis de mieux comprendre le rôle du microbiote sur notre santé, il reste encore beaucoup à découvrir. Les chercheurs et médecins du monde entier veulent le comprendre plus finement, afin de développer de nouveaux traitements, régimes, voire d’aboutir à une nutrition personnalisée. Raison pour laquelle un ambitieux projet international a été lancé : le « Million Microbiome of Humans Project » (MMHP). Cette immense banque de données – qui sera à disposition des chercheurs du monde entier – vise à recenser un million de microbiotes différents. La France, en tant que pays membre (aux côtés du Danemark, de la Suède, de la Lettonie et de la Chine), a prévu de récolter 100 000 échantillons de selles dans le cadre du programme French Gut. Le directeur scientifique du projet, Patrick Veiga, également directeur de recherche à l’Inrae, chercheur en microbiologie et expert de la nutrition, en dévoile les objectifs.

L’Express. Quel est le but du French Gut ?

Patrick Veiga. Nous voulons prendre des photographies du microbiote de la population française. Cela nous permettra de cartographier la répartition des différents microbes dans la population, car à l’image des groupes sanguins, il en existe différents types et sous-types. Nous allons également prendre une photo de leurs habitudes alimentaires et de leur mode de vie. Puis nous allons croiser toutes ces informations afin d’obtenir le film de la « trajectoire santé » des participants. Nous espérons que nous serons en mesure de mieux comprendre le microbiote et de l’utiliser un jour comme un moyen de prédire qui va rester en bonne santé et qui risque de tomber malade parmi nos participants. A terme, nous aimerions ouvrir la voie au développement de nouvelles thérapies visant à renforcer la prévention ou le traitement des maladies chroniques : diabète, obésité, cancer, syndrome de l’intestin irritable, Parkinson, dépression, etc.

Quelles technologies sont utilisées dans le cadre de vos analyses ?

Nous étudions le microbiote intestinal à l’aide du séquençage métagénomique, une méthode de pointe qui permet d’analyser l’ensemble du matériel génétique des bactéries présentes dans les échantillons de selles que nous recevons. Cette approche consiste à extraire l’ADN bactérien, puis à le séquencer afin d’identifier les différentes espèces et fonctions microbiennes. Nous nous appuyons sur des protocoles standardisés internationalement reconnus, ce qui garantit la qualité et la comparabilité des données. Cela nous permettra de mettre nos résultats en regard de ceux d’autres grandes cohortes internationales, et ainsi de contribuer à une meilleure compréhension globale du microbiote humain.

Pourquoi consacrer un projet si important à ces bactéries ?

Il a fallu quinzaine d’années pour aboutir à un consensus entre les chercheurs, médecins et cliniciens, mais aujourd’hui, nous savons que le microbiote joue un rôle majeur dans la santé. Nous avons également découvert que sa composition est tellement variable que les études sur une centaine d’individus ne sont pas suffisantes pour comprendre l’importance du rôle de l’alimentation sur l’équilibre du microbiote. Si l’on veut progresser, il est nécessaire de mener des études sur des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. D’où le French Gut. Il est particulièrement important d’identifier les différents microbiotes, parce que contrairement à nos gènes, il est possible de le modifier. Donc si on les connaît mieux, il sera possible de développer des thérapies préventives et des régimes ou des recommandations alimentaires personnalisées.

La nutrition personnalisée fait débat chez les spécialistes. Certains estiment qu’il y a plus urgent (éliminer la malbouffe, les aliments ultratransformés, etc.). Pourquoi y êtes-vous favorable ?

La personnalisation de la médecine existe déjà et peut sauver des vies. Elle est par exemple mise en pratique pour le cancer, où les traitements sont adaptés aux mutations identifiées dans les tumeurs des patients. Dans le domaine de la nutrition, nous savons que tous les individus ne réagissent pas de la même manière à certains aliments, notamment à cause de leur microbiote. Adapter les recommandations nutritionnelles aux individus et à leur microbiote est une piste prometteuse pour optimiser les effets bénéfiques de certains aliments.

Toutefois l’idée n’est pas de faire de l’ultra individualisation et dire à chaque personne ce qu’elle doit manger, mais plutôt d’arriver à classer les gens dans des grands groupes homogènes à qui on peut adresser des conseils. On appelle cela de la nutrition de précision ou « stratifiée ». Autrement dit, si nous arrivons à analyser le microbiote et identifier à quel groupe une personne appartient, il sera peut-être possible de dire, demain : « Vous êtes du groupe A, vous devez privilégier plutôt ces aliments et ce régime », ou de fournir des prescriptions alimentaires précises pour nourrir le microbiote afin de modérer les symptômes liés à certaines maladies.

La nutrition de précision peut également être un levier incitatif. Certaines études ont montré que lorsque des patients bénéficient d’une analyse ou de recommandations personnalisées, ils sont plus enclins à écouter les conseils des nutritionnistes et à suivre leurs recommandations.

Si la science a fait de grands progrès ces dernières années, le microbiote n’a pas encore révélé tous ses secrets. Que reste-t-il à découvrir ?

Nous savons qu’une mauvaise alimentation est néfaste pour notre santé et peut notamment entraîner des maladies inflammatoires chroniques. Mais nous devons encore comprendre si une mauvaise alimentation a un effet direct sur notre santé, ou plutôt sur le microbiote qui, une fois déréglé, ne nous protège plus, voire une combinaison des deux ? Par exemple, de nombreuses études ont montré qu’une mauvaise alimentation est un facteur de risque de la dégradation de la santé mentale, notamment de la dépression.

Mais existe-t-il un lien avec le microbiote ? La question n’est pas élucidée. Si c’est le cas, la recherche scientifique pourrait par exemple travailler sur la mise au point de nouveaux probiotiques qui pourraient traiter la dépression. Nous avons également découvert que pour que le microbiote fonctionne correctement, il faut manger au minimum 25 à 30 grammes de fibres par jour (dans les pays industrialisés, nous en consommons seulement 15 g par jour en moyenne). Mais nous ne connaissons pas le seuil optimum, ni ce qu’il se passe lorsqu’on en mange 40 g.

Plus généralement, les recommandations nutritionnelles actuelles ont été conçues pour répondre aux besoins de l’être humain en énergie et en nutriments essentiels. Cependant, elles ne tiennent pas compte de manière spécifique des besoins nutritionnels du microbiote intestinal. Certaines études indiquent que, dans les populations occidentales, le microbiote est appauvri et atrophié, avec une diversité bactérienne réduite, en comparaison avec celui de populations non exposées aux modes de vie modernes. Mieux comprendre les mécanismes qui régissent cet écosystème et identifier ses besoins propres permettrait de développer des stratégies nutritionnelles ciblées, afin de moduler le microbiote dans une optique de prévention ou de traitement de certaines maladies.

Concrètement, qui peut participer au French Gut et comment s’inscrire ?

Pour intégrer l’étude, tout se passe à domicile. Il suffit de s’inscrire sur notre site LeFrenchGut.fr et de remplir un formulaire de consentement, puis de répondre à une soixantaine de questions. Ensuite, nous envoyons un kit de prélèvement à l’adresse du participant contenant un écouvillon qu’il faut tremper dans la selle, avant de renvoyer le tout à notre laboratoire. Tout est évidemment gratuit. Il y a plusieurs questionnaires optionnels (une centaine de questions) qui sont très importants pour nous, puisqu’ils permettent de préciser les habitudes alimentaires – le nombre de fibres, de viandes, de poissons, de plats préparés que chaque participant mange, son activité physique, etc.

Les microbiotes peuvent également évoluer avec le temps, par exemple en cas de maladie ou de changement de régime alimentaire, comment allez-vous suivre ces changements ?

A l’âge adulte, le microbiote est relativement stable. Si l’on veut le modifier naturellement, cela demande des changements importants et à long terme des habitudes alimentaires, de l’activité physique, du mode de vie. Il peut également changer en cas de maladie ou de traitements antibiotique ou anticancer (comme la chimiothérapie).

Pour suivre ces changements, nous comptons poser régulièrement des questions sur les habitudes alimentaires des participants qui ont accepté d’être recontacté. Nous allons également les suivre grâce au numéro de sécurité sociale qu’ils fournissent lors de l’inscription, grâce auquel nous pourrons avoir accès à certaines informations médicales pour les 20 prochaines années et savoir s’ils ont subi des opérations, des hospitalisations, ou souffert de maladies susceptibles de modifier leur microbiote. Le processus est expliqué en détail, notamment le règlement en matière de protection des données.

En attendant que votre projet livre ses découvertes, quels sont les conseils à suivre si l’on veut prendre soin de son microbiote ?

Voici les conseils que je donne souvent lors de mes conférences et qui peuvent être facilement adoptés sans changer radicalement son régime alimentaire. Choisissez des pains, pâtes et riz complets aussi souvent que possible. Pour les plus audacieux, introduisez des légumineuses (haricots, lentilles, pois chiches) au moins une fois par jour. Vous doublerez ainsi vos apports en fibres, un carburant essentiel du microbiote.

Bien sûr, n’oubliez pas de consommer cinq fruits et légumes par jour, en misant sur la diversité. Une astuce simple : variez les couleurs dans votre assiette ! Cela vous apportera une grande richesse en polyphénols, des composés bénéfiques pour votre microbiote [NDLR, les polyphénols sont des antioxydants qui donnent la couleur aux fruits et légumes qui peuvent prévenir les inflammations chroniques et diminuer les risques de cancer]. Consommez des aliments fermentés, notamment ceux qui contiennent des bactéries vivantes, comme les yaourts ou le kéfir, au moins une fois par jour. Enfin, limitez les aliments ultratransformés, souvent riches en additifs, qui peuvent perturber l’équilibre du microbiote.



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Author : Victor Garcia

Publish date : 2025-08-03 15:00:00

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