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Benyamin Netanyahou continue de conduire Israël dans l’impasse, par Marc Knobel

Benyamin Netanyahou continue de conduire Israël dans l’impasse, par Marc Knobel

Dans la nuit du 7 au 8 août 2025, le cabinet de sécurité israélien, réuni à Jérusalem, a approuvé à la majorité un plan visant à prendre le contrôle total de la ville de Gaza, ouvrant la voie à une occupation sécuritaire de l’ensemble de la bande. Fait marquant, le gouvernement place officiellement parmi ses priorités le retour de tous les otages, qu’ils soient vivants ou morts – une annonce qui frappe autant par son aplomb que par le cynisme qu’elle révèle.

Il faut mesurer l’audace d’afficher le « retour des otages » comme un objectif central, alors même que, contre l’avis du chef d’état-major et à rebours de nombre d’analyses, le Premier ministre israélien poursuit l’occupation du territoire. Or, Benjamin Netanyahou n’ignore pas qu’une telle initiative expose de façon quasi certaine les derniers otages à l’exécution par leurs ravisseurs, dans la dynamique d’escalade militaire. D’ailleurs, les familles d’otages partagent la crainte que l’escalade militaire pousse le Hamas à exécuter les captifs, ce qui rend la mention du « retour des otages » fortement contestable d’un point de vue stratégique et humanitaire.

Malgré cela, dans la volonté de se maintenir au pouvoir et d’échapper au jugement d’une société israélienne qui viendra immanquablement questionner ses choix, le Premier ministre semble prêt à faire passer sa survie politique avant la vie des otages.

Les civils palestiniens pris au piège

Au-delà de ce choix tragique, Netanyahou fait aussi peser une menace accrue sur la vie des soldats israéliens, déjà durement éprouvés par une guerre interminable. Il met également gravement en danger la population civile palestinienne, dont la sécurité est reléguée au second plan. L’offensive décidée exposera les civils à des dangers supplémentaires : de nouvelles évacuations massives seront imposées, l’accès aux ressources vitales deviendra encore plus précaire, et les pertes humaines iront croissant dans des zones déjà surpeuplées.

Pris au piège d’une confrontation dont ils ne maîtrisent rien, les civils palestiniens voient leur sort relégué à l’arrière-plan : exposés aux attaques, privés de garanties humanitaires concrètes, ils se retrouveront coincés entre, d’une part, les exigences du Hamas – qui recourt à l’usage de boucliers humains, entrave l’accès à l’aide humanitaire ou empêche l’évacuation de certains habitants à des fins de propagande – et, d’autre part, la stratégie israélienne, guidée principalement par des objectifs sécuritaires sans réelle prise en compte de leur vulnérabilité. Ainsi, les Gazaouis sont pris en étau, otages d’une logique implacable, où leur sécurité et leur avenir sont sacrifiés sur l’autel d’intérêts politiques, militaires ou idéologiques.

L’emprise grandissante d’une vision extrême

Mais, il faut souligner que cette orientation extrême du gouvernement Netanyahou ne procède pas seulement d’un calcul personnel : elle s’inscrit aussi sous la pression manifeste des éléments les plus radicalisés de son cabinet, notamment les ministres Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Animées par une idéologie à forte composante millénariste, ces figures extrémistes affichent sans détour leur objectif ultime : annexer Gaza et expulser sa population palestinienne, dans la logique d’une transformation irréversible de la réalité démographique et politique du territoire. Leur influence pèse lourdement sur la doctrine du gouvernement, alimentant une surenchère où la logique sécuritaire se mêle à une rhétorique pseudo-religieuse et messianique. Ce basculement inquiète non seulement l’opposition israélienne mais aussi nombre d’experts et d’acteurs internationaux, qui voient là le spectre d’un projet d’annexion et de déplacement massif.

La décision du cabinet dépasse donc la seule dimension militaire : elle exprime l’emprise grandissante d’une vision extrême, où l’idée d’un compromis avec la population palestinienne est remplacée par la violence de l’annexion et du déplacement. Cette marginalisation des civils aggraverait la crise humanitaire déjà profonde et, selon de nombreuses organisations internationales, entretiendrait un cycle de souffrances dont les conséquences s’étendent bien au-delà du champ strictement militaire, compromettant durablement toute perspective de paix ou d’apaisement avec les Palestiniens.

Cependant, les décisions prises par le gouvernement israélien auront des répercussions bien au-delà du seul conflit local. Elles pèseront lourdement sur les communautés juives de la diaspora, déjà soumises à une pression considérable et à une montée inquiétante de l’antisémitisme. Les amalgames, trop souvent faits entre Juifs et Israéliens, nourrissent un climat délétère, exposant les Juifs du monde entier à des accusations injustes et à une hostilité croissante. Or, ce risque majeur semble laisser le gouvernement Netanyahou indifférent : il paraît oublier que les Juifs de la diaspora demeurent particulièrement vulnérables, trop souvent pris pour cibles au gré des tensions internationales et des préjugés persistants, dans des sociétés où l’antisémitisme retrouve, sous des formes diverses, une inquiétante vigueur.

Pour toutes ces raisons, il me paraît indispensable, aujourd’hui, d’assumer une position lucide : tout en continuant à affirmer ma solidarité à l’égard d’Israël et plus particulièrement des otages, et tout en condamnant sans ambiguïté la violence et le terrorisme du Hamas, j’estime qu’il est nécessaire de critiquer les orientations actuelles de ce gouvernement. Refuser la parole – céder à ceux qui souhaitent voir les Juifs de la diaspora se taire – serait céder à une injonction contraire à toute expérience démocratique et à tout devoir de vigilance. Au contraire, il importe d’alerter nos amis israéliens sur les dangers encourus, et d’exprimer un soutien sans faille aux forces démocratiques et à l’opposition, pour lesquelles l’avenir d’Israël et le respect de la vie humaine restent des valeurs non négociables.

Sacrifier la vie humaine sur l’autel d’une rhétorique nationaliste et d’objectifs politiques à courte vue est, au regard de l’histoire, une posture irresponsable. Au final, il appartiendra à l’histoire de juger ceux qui, dans ce gouvernement, par aveuglement ou calcul, auront ignoré les principes fondamentaux de justice et d’humanité.

*Marc Knobel est historien. Il a publié plusieurs ouvrages dont Haine et violences antisémites en 2013 (Berg International, 350 pages) puis Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet, en 2021 (Hermann, 231 pages).



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Publish date : 2025-08-09 05:45:00

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