« Les doutes concernant quelque activité de votre part au profit des services américains ont été totalement levés. » La lettre, datée du 13 février 2001, est signée de Jean-Jacques Pascal, à l’époque à la tête de la DST (Direction de la sécurité du territoire). François Heisbourg la conserve soigneusement dans une pochette jaune. Ce courrier est une rareté. « Dans ce milieu, c’est très rare, ce genre de bafouille », commente-t-il.
En décembre 1993, François Heisbourg est convoqué dans le bureau de Raymond Nart, chargé du contre-espionnage. Le maître-espion lui reproche une liaison « terminée depuis huit ans », avec une Américaine : Mary-Ann Baumgartner, espionne de la CIA. Personne ne le sait encore, mais, dans deux ans, ses activités entraîneront son expulsion et celles de quatre autres agents secrets de l’agence. L’histoire créera un incident diplomatique, brisera des carrières, et lancera une remise en question au QG de Langley, en Virginie.
Officiellement, Baumgartner n’est qu’une femme d’affaires. Mais la DST sait qu’elle est en réalité une NOC, un agent non déclaré. Sa couverture : une Américaine distinguée, passionnée de culture française. François Heisbourg l’a rencontrée à la fin des années 1970 à un cocktail de l’ambassade finlandaise, à New York. Elle explique être originaire du Wisconsin et travailler dans l’import-export. Une femme grande, « type scandinave, modérément blonde », au charme discret. Ils démarrent une liaison. Celle-ci est interrompue quand Heisbourg revient en France en 1981.
Cible de la CIA
Un an plus tard, Baumgartner arrive à Paris après l’élection de Mitterrand. Le chercheur est à l’époque conseiller du ministre de la Défense, il la revoit. Elle se présente comme cadre chez Neiman Marcus, une enseigne parfois utilisée comme couverture, selon Heisbourg. Il ne s’en émeut pas. « J’étais célibataire, elle pouvait difficilement me faire chanter ou me manipuler », assure-t-il. Leur histoire prend fin en 1985, lorsque Heisbourg rencontre sa future épouse.
Baumgartner a l’habitude d’user de ses charmes pour recueillir des informations. En 1990, l’administration Bush négocie avec l’Union européenne le GATT, l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Baumgartner a la mission de recruter des sources potentielles. En mai 1992, lors d’un cocktail à l’Unesco, elle approche Henri Plagnol, haut fonctionnaire et enseignant à Sciences Po. Elle dit être à la tête du Dallas Market Center, société liée au lobby céréalier. « Elle est très intéressée non pas par ce que je fais au Conseil d’Etat mais par mon enseignement des relations internationales », raconte-t-il dans le documentaire Paris, secrets d’espions. Le 29 mars 1993, Edouard Balladur est nommé à Matignon. Plagnol devient un de ses conseillers techniques et… une cible de la CIA.
D’autres recrutements
Mais la DST surveille Mary-Ann Baumgartner. Le service secret demande à Plagnol de quitter son poste et lui propose de jouer les agents doubles. A mesure que les négociations s’intensifient, Baumgartner lui présente des prétendus céréaliers du Minnesota aux questions de plus en plus ciblées : état de la relation Mitterrand-Kohl, ligne Mitterrand/Balladur… Et elle le paye, 5 000 francs pour chaque information, une transaction vouée à piéger le haut fonctionnaire, puisqu’il sera aisé de le menacer de révéler qu’il est un espion rémunéré de la CIA si les choses tournent mal.
Le jeu dure neuf mois, jusqu’à ce que, en décembre 1993, la France parvienne à ses fins dans les négociations du GATT. La DST a découvert entre-temps deux autres cibles françaises de la CIA : un proche du ministre de la Communication Alain Carignon, polytechnicien, et un technicien dans un centre d’écoutes parisien. Ces recrutements viendraient de Baumgartner.
A la veille de l’élection présidentielle de mai 1995, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, fait expulser Baumgartner et quatre agents sous couverture diplomatique, dont Dick Holm, chef de poste de la CIA à Paris, et son supérieur, Joseph DeTrani. Un an plus tard, un rapport au vitriol de la CIA fuite dans le New York Times. Baumgartner y apparaît comme un agent instable, prompte à tomber amoureuse de ses cibles. Detrani aurait tenté de la « débrancher », en vain. Depuis la débâcle, plus aucune trace. « La DST m’a parlé d’une seconde identité qu’elle aurait utilisée : Jeanne Harris », glisse François Heisbourg. Une autre légende ?
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Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2025-08-09 06:45:00
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