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Occupation totale de Gaza : le dangereux pari de Benyamin Netanyahou

Occupation totale de Gaza : le dangereux pari de Benyamin Netanyahou


Le scénario circulait depuis plusieurs jours dans la presse israélienne, il a finalement été confirmé sans grande surprise dans la nuit du 7 au 8 août. Vingt-deux mois après le début de l’offensive dans la bande de Gaza, et à l’issue d’une réunion du cabinet de sécurité de Benyamin Netanyahou, l’Etat hébreu a annoncé son intention de « prendre le contrôle » de l’intégralité de l’enclave palestinienne. Quelques heures avant l’officialisation de la décision, le Premier ministre israélien avait, depuis son bureau, mis fin au suspens lors d’une interview à Fox News, en dressant les grandes lignes de son plan, qui, assure-t-il, ne vise pas à « gouverner » ou « garder » Gaza.

A l’heure où l’armée israélienne occupe déjà près de 75 % de cette bande de terre d’une quarantaine de kilomètres de long pour dix de large, cet élargissement du conflit précipite l’Etat hébreu dans une opération aux multiples inconnues. Et annonce, dès les prochains jours, l’intervention de Tsahal dans les derniers bastions encore aux mains du Hamas – principalement dans la ville de Gaza et dans le centre de l’enclave. Une offensive à haut risque qui, a prévenu le groupe terroriste responsable des massacres du 7-Octobre, « ne sera pas une promenade de santé ».

Fatigue de Tsahal

Militairement, l’opération n’en demeure pas moins à la portée de l’armée israélienne, dont les forces ont décimé les combattants du Hamas au fil du conflit. « Sur le plan purement opérationnel, c’est un objectif réalisable, explique David Khalfa, cofondateur de l’Atlantic Middle East Forum (Amef). Mais il faudra tout de même mobiliser a minima une nouvelle division et au moins deux brigades de réservistes. » Au risque d’accroître une fatigue croissante au sein des militaires israéliens, déjà épuisés par deux ans de guerre – et pour certains durablement traumatisés. Selon des informations publiées dans la presse israélienne, près d’une cinquantaine de soldats auraient ainsi mis fin à leurs jours depuis le début des opérations à Gaza en 2023.

« On recense une explosion des troubles post-traumatiques chez ceux qui servent en situation de combat. En particulier chez les réservistes qui en sont pour certains à leur sixième ou septième tour de service armé depuis l’attaque du 7-Octobre », pointe David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). Ce phénomène est à mettre en relation avec les dissensions croissantes au sein de l’appareil de sécurité. Dans une lettre ouverte publiée le 4 août, 550 anciens chefs espions, militaires, policiers et diplomates, avaient appelé – sans succès – à faire pression sur le gouvernement pour mettre fin à la guerre. Dans le même temps, la presse israélienne s’était fait l’écho des réserves du chef de l’armée, Eyal Zamir, à une extension des opérations à Gaza.

Pour l’armée israélienne, dont les troupes n’ont aujourd’hui plus d’autre choix que de se mettre en ordre de bataille, le principal défi résidera moins dans la conquête des zones détenues par le Hamas que dans leur sécurisation dans la durée. Avec, en toile de fond, le danger d’une guérilla meurtrière menée par les combattants adverses. « Dans les zones conquises, on constate la résurgence de groupuscules armés grâce à un renouvellement relatif des recrues, reprend le chercheur David Rigoulet-Roze. Cette résistance résiduelle est un cauchemar pour toutes les armées conventionnelles : les risques de dommages collatéraux augmentent fortement en raison de la forte imbrication du civil et du militaire. » Dès le 7 août, de premiers ordres d’évacuation appelant les habitants à se diriger vers le sud de l’enclave ont été émis dans certains quartiers de la ville de Gaza – où continuent actuellement de vivre plus d’un million de Palestiniens.

Désastre humanitaire

L’administration de l’enclave pose elle aussi question. Bien que Benyamin Netanyahou ait indiqué vouloir « passer le relais à des forces arabes qui gouverneront correctement sans nous menacer », le calendrier reste incertain. En vertu du droit international, une occupation, même temporaire, s’accompagnera pour Israël de toute une série d’obligations comprenant la prise en charge des approvisionnements en eau et nourriture, des services de soins, de la sécurité publique, ou encore de l’alimentation en énergie sur ce territoire dévasté par d’intenses bombardements.

Des Palestiniens rassemblés près d’un point de distribution d’aide de la GHF, le 4 août 2025 dans le centre de la bande de Gaza

La tâche s’annonce d’autant plus complexe que la situation humanitaire à Gaza est d’ores et déjà catastrophique. « Tout porte à penser que cette nouvelle escalade entraînera des déplacements forcés encore plus massifs, plus de meurtres, plus de souffrances insoutenables, des destructions insensées et des crimes atroces », a dénoncé le Haut-Commissaire aux droits de l’homme Volker Türk ce vendredi 8 août. La veille, l’Organisation mondiale de la santé avait rapporté la mort, en raison des pénuries alimentaires, d’au moins 99 personnes depuis le début de l’année – un « chiffre probablement sous-estimé » selon l’agence onusienne. D’après cette même source, près de 12 000 enfants de moins de cinq ans seraient en outre identifiés comme souffrant de malnutrition aiguë.

Risques diplomatiques

Dans ce contexte plus qu’alarmant, les civils palestiniens pourraient être les premiers à payer le prix de cette nouvelle offensive. En corollaire, le risque d’un isolement croissant d’Israël sur la scène internationale, à l’heure où plusieurs pays, dont la France, le Royaume-Uni ou le Canada, ont annoncé leur intention de reconnaître un Etat palestinien. « Sur le plan de l’image, cela présente le risque d’être potentiellement désastreux, estime David Rigoulet-Roze, de l’IFAS. La détérioration des relations diplomatiques pourrait atteindre un niveau sans précédent. » A ce stade, Londres, Ankara, et même Pékin, ont exhorté l’Etat hébreu à « reconsidérer immédiatement » son plan d’occupation. L’ONU lui a demandé de le « stopper ». Et Berlin, pourtant fidèle soutien d’Israël, a dans la foulée annoncée la suspension des exportations d’armes vers le pays.

L’échec des négociations et la reprise de l’offensive font par ailleurs planer de lourdes incertitudes sur le sort des otages détenus par le Hamas – qui en retient toujours 49, dont 27 sont présumés morts. « Le Hamas a déjà menacé de les assassiner, relève le chercheur David Khalfa. Dans le passé, ses miliciens ont tué de sang-froid certains d’entre eux lorsque l’armée israélienne était sur le point de les libérer lors d’opérations de sauvetage. »

Un enjeu explosif pour le gouvernement israélien. La diffusion la semaine dernière de vidéos glaçantes montrant deux captifs, le corps émacié, avait suscité la colère de la société israélienne. Conscient des risques de cette nouvelle intensification du conflit, le Forum des familles, une organisation qui rassemble des proches d’otages israéliens, a fait part de son indignation : cette offensive « signifie abandonner les otages, tout en ignorant complètement les avertissements répétés de la direction militaire et la volonté claire de la majorité du public israélien ». Le gouvernement israélien a fait son choix.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2025-08-08 12:59:00

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