L’Express

Pourquoi la Syrie retombe dans le giron de Vladimir Poutine, par Omar Youssef Souleimane

Pourquoi la Syrie retombe dans le giron de Vladimir Poutine, par Omar Youssef Souleimane

Le 8 décembre 2024, Bachar el-Assad a embarqué à bord d’un avion russe depuis la base militaire de Hmeimim, sur la côte syrienne, escorté par plusieurs officiers, pour s’envoler vers Moscou. C’était la fin d’une dictature qui, depuis cinquante-quatre ans, maintenait la Syrie sous sa férule. Cette nuit-là, il semblait impensable que le nouveau régime syrien puisse un jour renouer avec la Russie : l’intervention militaire de Moscou en Syrie avait provoqué des bombardements massifs, rasé des quartiers entiers et déplacé des centaines de milliers de civils, contraints à l’exil ou tués.

Et pourtant, sept mois plus tard, le 31 juillet, une délégation politique du nouveau pouvoir de Damas s’est rendue à Moscou pour annoncer la reprise des relations bilatérales. Une visite surprenante pour de nombreux Syriens, mais explicable à la lumière des intérêts communs qui unissent désormais les deux régimes autoritaires.

Créée en 1971 dans le cadre d’un accord entre Hafez el-Assad et l’Union soviétique, la base aérienne de Hmeimim constitue le cœur battant de la présence militaire russe en Syrie. Ses 1 700 soldats et ses infrastructures en font un point névralgique pour Moscou, qui contrôle également la base navale de Tartous. Sans ces deux positions, la Russie perdrait tout accès stratégique à la Méditerranée, un scénario que Vladimir Poutine entend éviter à tout prix. Selon le Réseau syrien pour les droits de l’homme, Moscou a exercé à seize reprises son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU sur des résolutions concernant la Syrie, bloquant notamment celles visant à sanctionner Bachar el-Assad. Encore aujourd’hui, la Russie reste prête à tout pour maintenir son implantation sur la côte syrienne. Il y a quelques années, Assad al-Chaibani, islamiste syrien membre de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), menait le djihad contre les forces russes. Devenu, après la chute de Bachar el-Assad, ministre des Affaires étrangères, il serre désormais la main de son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Protection face à Israël

Le deuxième intérêt qui pousse Moscou vers le nouveau pouvoir syrien est économique. En 2020, lors de sa visite à Damas, Vladimir Poutine avait signé avec l’ancien régime plusieurs contrats d’investissements russes dans les secteurs du gaz, de l’exploration minière et pétrolière. La Russie avait déjà engagé plusieurs milliards de dollars pour protéger Bachar el-Assad et consolider sa présence en Syrie. Après la fuite de ce dernier en 2024, ces investissements sont restés en suspens. Al-Chaibani a annoncé qu’un accord avait été conclu avec Moscou pour réexaminer toutes les ententes précédentes.

Le nouveau président syrien, Ahmed el-Charaa, a, en mars, réclamé à la Russie 400 milliards de dollars pour compenser les destructions qu’elle a infligées à la Syrie. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, déclarait alors : « Nous poursuivons nos contacts avec les autorités syriennes. Disons simplement que le processus de travail est en cours. » Lors de la récente visite à Moscou, rien n’a progressé sur ce dossier. En revanche, les Russes se sont montrés plus réceptifs à une autre requête d’el-Charaa : obtenir leur protection face aux frappes israéliennes. Juste après cette rencontre, Poutine a appelé Benyamin Netanyahou, affirmant sa volonté de « renforcer la stabilité politique interne de la Syrie en tenant compte des droits et des intérêts légitimes de toutes les communautés ethniques et religieuses ». Pour tenter de convaincre Israël de cesser ses frappes, Poutine a exprimé sa volonté de tout faire pour faciliter la recherche de solutions négociées sur le programme nucléaire iranien.

Le nouveau régime syrien a un besoin vital du soutien russe, notamment après le soulèvement de Soueïda. Cette ville majoritairement druze, soutenue par Tsahal, échappe désormais au contrôle d’el-Charaa. Plusieurs appels à son indépendance ont été lancés à la suite des massacres commis par les forces au pouvoir, qui ont coûté la vie à 720 habitants, selon le Réseau syrien pour les droits de l’homme. La fracture entre druzes et sunnites est aujourd’hui si profonde que le retour de Soueïda sous l’autorité de Damas semble illusoire sans intervention militaire. Seule la présence militaire russe dans la région peut encadrer les avions israéliens qui survolent le ciel syrien pour protéger les druzes.

Moscou, refuge des dictateurs déchus

En 2013, Viktor Ianoukovytch, alors président de l’Ukraine, a refusé de signer un accord d’association avec l’Union européenne, déclenchant de vastes manifestations dans tout le pays. Ce mouvement, véritable révolution citoyenne, s’est soldé par la chute du régime. La répression fit 108 morts parmi les manifestants. L’année suivante, alerté par le Kremlin de l’impossibilité de se maintenir au pouvoir, l’ancien président ukrainien a fui en pleine nuit vers la Russie, une échappée qui rappelle celle de Bachar el-Assad. Plus tard, Ianoukovytch a été jugé en Ukraine pour haute trahison, puis condamné par contumace à treize ans de prison en janvier 2019. Malgré les demandes formulées par Kiev, Moscou a refusé de le livrer.

Cette protection accordée aux dirigeants déchus est une constante de la politique russe : offrir un refuge sûr aux anciens chefs d’État alliés. La Russie a ainsi accueilli Erich Honecker, ancien dirigeant de l’Allemagne de l’Est (1971-1989), Askar Akaïev, premier président du Kirghizistan (1990-2005), et Aslan Abachidze, dirigeant de la République autonome d’Adjarie, dans le sud-ouest de la Géorgie (1991-2004).

Dans ce contexte, l’extradition de Bachar el-Assad vers la Syrie apparaît improbable, malgré les appels répétés des nouvelles autorités de Damas. Moscou n’a offert qu’une seule garantie : Assad ne réapparaîtra jamais dans les médias et ne jouera plus aucun rôle politique à l’avenir, condition imposée durant son séjour en tant que réfugié en Russie.

À l’issue de la rencontre à Moscou, le nouveau drapeau syrien a été hissé à Hmeimim, symbole d’une nouvelle page s’ouvrant entre les deux pays. Pourtant, pour des millions de Syriens, il reste impossible d’oublier les massacres perpétrés par les forces russes, les bombardements ciblant hôpitaux et écoles, ou encore les vétos répétés qui ont assuré la survie du « boucher de Damas » Bachar el-Assad. Quoi qu’il en soit, la relation entre el-Charaa et Poutine ne répond pas aux aspirations du peuple syrien, mais aux intérêts d’un pouvoir autoritaire. Éloigné de toute perspective démocratique, le nouveau régime poursuit inlassablement la stratégie héritée de Bachar el-Assad : s’appuyer sur Moscou pour assurer sa protection et se maintenir au pouvoir, au prix de la douleur et du sacrifice de ses propres citoyens. Cette alliance scelle une réalité tragique et implacable : en Syrie, le pouvoir l’emporte sur le peuple, et la liberté reste l’ultime victime d’une coalition dévastatrice.

*Ecrivain et poète né près de Damas en 1987, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais a dû fuir la Syrie en 2012. Il a récemment publié L’Arabe qui sourit (Flammarion).



Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/pourquoi-la-syrie-retombe-dans-le-giron-de-vladimir-poutine-par-omar-youssef-souleimane-KNB4PQ4H6BBXNNTYIJR5A5BFQ4/

Author :

Publish date : 2025-08-08 10:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express