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Donald Trump victime d’un kompromat russe ? « Vladimir Poutine aurait pu démentir, mais… »

Donald Trump victime d’un kompromat russe ? « Vladimir Poutine aurait pu démentir, mais… »

En 2017, Christopher Steele, ancien agent du MI6, évoque l’existence d’une vidéo de Trump avec des prostituées dans une suite de l’hôtel Ritz-Carlton de Moscou en novembre 2013. Ses révélations sur le site américain BuzzFeed font l’effet d’une bombe. Elles vont coller au nouveau président américain comme le sparadrap du capitaine Haddock dans les aventures de Tintin. Huit ans plus tard, personne n’a pu démontrer ni prouver que Donald Trump a été l’objet d’un kompromat par les services russes.

Cette piste a été explorée en profondeur par le réalisateur Antoine Vitkine dans son passionnant documentaire « Opération Trump : les espions russes à la conquête de l’Amérique », que l’on peut encore voir sur la plateforme de France Télévisions. Le journaliste, qui travaille à une nouvelle enquête sur Trump et la mafia, a interrogé des figures de premier plan des renseignements russes et américains. « Il ne faut pas exclure que cette histoire de kompromat pourrait être un ‘fake’, que les Russes auraient laissé se propager à dessein pour semer le chaos », estime-t-il. Selon le documentariste, qui vient de publier Triades : la mafia chinoise à la conquête du monde (Tallandier), en se focalisant sur une hypothétique affaire d’espionnage, on occulte la véritable raison de la connivence entre Trump et Poutine : l’idéologie.

L’Express : La rumeur d’un kompromat russe visant Donald Trump naît-elle avec les révélations de l’ancien espion britannique Christopher Steele, en 2017 ?

Antoine Vitkine : En effet, c’est la première fois que l’on évoque publiquement l’existence d’un kompromat qui aurait visé Donald Trump. Christopher Steele bénéficie d’une réputation assez solide. On lui prête un bon réseau d’informateurs en Russie, et après son départ du MI6, il a créé une société de renseignement privée.

Ses révélations, publiées par le site BuzzFeed, quelques jours avant l’investiture de Trump en janvier 2017, ont mis le feu aux poudres et constitué le point de départ de la rumeur sur l’existence d’un kompromat. Les informations de Steele n’ont jamais pu être démontrées avec certitude, ce qui paraît logique, étant donné leur nature, et les trumpistes ont eu beau jeu de dire que Steele avait été mandaté par les démocrates durant la campagne présidentielle.

Dans votre film « Opération Trump », vous explorez la piste de ce kompromat. A quelle conclusion êtes-vous parvenu ?

Bien qu’il existe quelques présomptions et indices, on ne peut ni démontrer ni prouver que Donald Trump a été l’objet d’un kompromat par les services soviétiques ou russes. En toute hypothèse, ce kompromat pourrait être de plusieurs ordres : Trump pourrait avoir été compromis sexuellement, via des enregistrements vidéo, au cours sinon de son voyage en Russie en 1987, du moins de son séjour à Moscou en 2013 à l’occasion du concours Miss Univers.

Autre hypothèse, il pourrait avoir été compromis financièrement, à l’occasion de « deals » immobiliers avec la mafia russe et des oligarques, opérations qu’il a régulièrement réalisées entre 1982 et 2015. Ou bien encore, il pourrait avoir fourni des informations à ses interlocuteurs soviétiques et/ou russes, anodines mais relevant d’une forme de trahison. Dans ce cas, ce serait plus dangereux pour lui. Mais il ne s’agit que d’hypothèses. Il ne faut pas exclure que cette histoire de kompromat pourrait être un « fake », que les Russes auraient laissé se propager à dessein pour semer le chaos.

Lorsqu’un journaliste interroge Vladimir Poutine sur l’existence d’un kompromat, en présence de Donald Trump, au cours de leur conférence de presse commune pendant le sommet d’Helsinki, en juillet 2018, la réponse du président russe est pour le moins équivoque…

Poutine aurait pu sèchement et rapidement démentir ces accusations, et c’est qu’il aurait fait s’il avait voulu envoyer un signal clair. Au lieu de cela, il dit en substance, en prenant son temps : « J’ai entendu ces rumeurs selon lesquelles nous disposerions d’enregistrements vidéo sur Donald Trump, laissez-moi vous dire que c’est absurde. » En manipulateur expérimenté, Poutine a volontairement mentionné cette notion de « vidéo ». En ajoutant ce détail, il met son interlocuteur sous pression, participe à faire vivre la rumeur. A côté de lui, Donald Trump devient blême, marquant visiblement le coup.

Certains des témoins que vous avez interrogés donnent crédit à la thèse d’un chantage organisé. Sur quoi se fondent-ils ?

Le général Kalouguine, qui a été le chef de l’espionnage soviétique aux Etats-Unis puis l’un des dirigeants du KGB, entre 1974 et 1990, et qui a eu Poutine sous ses ordres, s’est montré allusif devant ma caméra. Il laisse entendre que le KGB savait des choses sur Trump, en esquissant un sourire entendu.

« J’aimerais voir le dossier que les Russes ont sur Trump », vous dit l’ancien patron de la CIA, John Brennan. Ses accusations, à peine voilées, sont lourdes de sens.

Entre les lignes, John Brennan accuse Trump d’être tenu et d’avoir trahi. Il n’est pas le seul, parmi les personnes qui ont enquêté sur les relations de Trump avec la Russie, à privilégier ce scénario. A l’occasion de mon prochain film, qui portera sur les relations de Trump avec la mafia, j’ai rencontré une enquêtrice qui a travaillé au côté du procureur Robert Mueller. Elle m’a dit que son « intime conviction » était que Trump était « tenu » par les Russes. D’autres personnalités du renseignement américain, en revanche, m’ont dit être plus circonspectes.

Si l’on prend au sérieux la piste du piège organisé, quand aurait bien pu avoir été monté le « coup » ?

Donald Trump a effectué son premier voyage en Russie, en 1987, à l’invitation de l’ambassade soviétique aux Etats-Unis. Il rêvait alors de construire une Trump Tower à Moscou. Dès son retour, il achète des pages de publicité dans les grands journaux américains pour critiquer l’Otan, ce qui ne pouvait que plaire à ses interlocuteurs. Il est retourné à Moscou en 2013 dans le cadre du concours de Miss Univers…

Dans quelle mesure ce supposé kompromat pourrait encore influencer la politique de Trump en Ukraine ?

Hormis dans de rares cas, je ne pense pas que ce soient les espions qui écrivent l’Histoire. S’agissant de la complaisance de Trump envers la Russie de Poutine, imaginer que des kompromats ou autres opérations clandestines en soient l’explication me paraît trop simple et trop réducteur. Cela fait fi de son rapprochement idéologique et géopolitique avec Vladimir Poutine. Avant même la réélection de Trump, Fiona Hill, son ancienne conseillère devenue une opposante farouche, dénonçait un risque de « poutinisation » de la politique américaine, sans avoir besoin de poser l’hypothèse d’un kompromat. Trump est clairement sous une forme d’influence vis-à-vis de son homologue russe, ce qui me semble plus notable que la question d’un kompromat.

Au-delà de l’admiration que Trump semble vouer à Poutine, les deux hommes ont une vision et une stratégie communes qu’il convient de comprendre. Tous les deux détestent l’Europe et ont une même vision du monde et du pouvoir, brutale, faisant fi du droit. Trump n’a jamais condamné l’agression de l’Ukraine par la Russie. En outre, depuis les années 1980, comme je le montre dans mon film, les Russes se sont intéressés à la droite américaine et se sont employés à faire bouger sa ligne sur les questions internationales et sociétales. Nul besoin de kompromats pour cela : le soft power et la propagande suffisent, tout comme le carnet de chèques. 182 millions de dollars auraient été dépensés par la Russie entre 2016 et 2022 en lobbying et autres financements de think tanks à Washington.

Il vous paraît donc peu vraisemblable que Trump change d’attitude vis-à-vis de l’Ukraine ? Pourtant, le 14 juillet dernier, le président américain a donné cinquante jours à Poutine pour mettre fin à la guerre sous peine de sanctions sévères…

Nous assistons à une inflexion, teintée d’ambiguïtés, d’arrière-pensées voire de manœuvres cyniques. S’agissant de ces cinquante jours donnés à Poutine avant d’hypothétiques sanctions : le site Axios, très bien informé, nous apprenait, quelques jours avant cette prise de position, que Poutine avait indiqué à Trump, au cours d’un appel téléphonique le 3 juillet, se donner soixante jours avant de négocier. Dix jours après cet appel, Trump en laissait donc cinquante à Poutine, comme un blanc-seing pour continuer ses massacres et son invasion, avant d’éventuelles négociations.

Quant aux droits de douane à 100 % évoqués par Trump, Vladimir Poutine ne les craint pas, le commerce entre les deux pays étant quasi nul. En revanche, si Donald Trump décidait de sanctionner secondairement tous les pays qui commercent avec la Russie, on pourrait alors parler d’un revirement de sa part. Mais nous en sommes loin.

Vous avez consacré certains de vos documentaires à des dictateurs, notamment Bachar el-Assad. Les régimes autoritaires ont-ils le monopole du kompromat ?

Il est intéressant de noter que dans la Syrie des Assad, historiquement proche de la Russie et dont les services de renseignement ont été formés par le KGB, on pratiquait aussi le kompromat. Au moins un membre du régime, suspecté de déloyauté à la suite de la révolte de 2011, s’est vu filmé à son insu en compagnie de prostituées. La vidéo a ensuite été diffusée sur les réseaux sociaux, pour le décrédibiliser. Ce sont les mêmes méthodes qu’en Russie. Effectivement, les régimes autoritaires ont le monopole de ces pratiques, je ne connais pas de démocratie qui aurait utilisé publiquement un kompromat. En revanche, compromettre pour obtenir des informations fait partie de l’arsenal de tous les services de renseignement. Il faut toutefois mettre un bémol : les espions expliquent que la compromission est le pire moyen d’obtenir le concours d’une source, dans la mesure où c’est beaucoup moins efficace que la conviction ou l’idéologie.



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Author : Sébastien Le Fol

Publish date : 2025-08-07 15:15:00

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