Le Royaume-Uni voulait être pionnier, il est devenu cobaye. Depuis fin juillet, avec l’entrée en vigueur de l’Online Safety Act, le pays impose des mécanismes de vérification de l’âge sur les sites pornographiques, les réseaux sociaux, et tout espace numérique susceptible d’exposer des mineurs à des contenus jugés « nocifs ». L’intention est louable. Des actions similaires sont d’ailleurs en cours partout dans le monde y compris dans l’Union européenne. L’accès à Internet se fait de plus en plus tôt — autour de 8 ans et demi en France pour l’inscription à un réseau social selon la CNIL, le gendarme des données personnelles. Et facilement : avec un simple smartphone dans la poche. L’exécution au Royaume-Uni s’avère cependant chaotique.
Certains internautes l’avaient peut-être mal compris : impossible en ligne, comme chez le buraliste, de jauger la tête du client avant de lui réclamer une pièce d’identité. Sur Internet, pour interdire un accès aux moins de 18 ans, tout le monde doit être examiné. Alors, les tentatives de contournement explosent. Les inscriptions sur ProtonVPN, un fournisseur populaire de réseau privé virtuel, un outil permettant de faire croire que l’on se connecte depuis un autre pays, ont augmenté de 1400 % depuis l’entrée en vigueur de la loi au Royaume-Uni. Des députés eux-mêmes seraient clients, comme l’a rapporté Politico.
Le Web regorge d’astuces, parfois artisanales, comme publier en guise de preuve de majorité la photo d’un héros du jeu Death Stranding. Une pétition réclamant l’abrogation de la loi et publiée sur le site du gouvernement, atteint 500 000 signatures. Inquiétant, sachant que dans le creux de l’été, au 31 juillet, seulement 26 % des Britanniques avaient été exposés à une demande de vérification d’âge, selon l’institut YouGov. Le soutien à la loi a déjà baissé de 11 points, passant de 80 % avant son implémentation à 69 %.
Nouveau péage
Deux problèmes se posent : les contrôles brassent large. Pornographie, suicide, automutilation, troubles de l’alimentation, mais aussi violence (y compris fictive) sur des personnes ou des animaux, cascades ou défis susceptibles d’entraîner des blessures, consommation de substances nocives, brimades… Le nombre de sites concernés pourrait être plus important qu’anticipé. Résultat : des communautés Reddit d’entraide sur le sevrage alcoolique ou la santé menstruelle se retrouvent inaccessibles sans preuve d’âge. Même l’encyclopédie Wikipédia craint d’être ciblée.
Ce qui devait être une mesure d’inspection ponctuelle devient un nouveau péage du Web. Le service de streaming musical Spotify a mis en place un contrôle de l’âge. Les détenteurs de compte sur la console de jeux vidéo Xbox devront également passer par un processus de vérification d’âge. D’après le site spécialisé The Verge, un bon nombre d’espaces à première vue inoffensifs — un forum de propriétaires de véhicules électriques, des blogs sur la technologie — ont fermé leurs portes par précaution. Par crainte de devoir mettre en place un système coûteux de contrôle. Ou, si un contenu nocif était malencontreusement repéré, d’être exposés à une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros. De quoi donner à la loi un aspect orwellien.
L’Europe doit faire mieux
L’autre problème réside dans la mise en œuvre technique de ces contrôles, largement privatisée. Le contrôle de l’âge est déjà un business exploité par des entreprises comme Yoti. Pour prouver sa majorité, il faut désormais partager à ces entités carte bancaire, photo, passeport, selfie biométrique… « Il n’y a aucun moyen pour les gens de savoir comment elles vont être conservées ou utilisées par cette société, y compris si elles seront vendues ou partagées avec encore plus de tiers comme les courtiers de données », pointe l’Electronic Frontier Foundation (EFF). Une forme de cauchemar pour la vie privée, et la cybersécurité.
Le cas britannique est en tout cas intéressant pour l’UE, où la question de l’âge en ligne devient aussi centrale. Pour le moment, une autre approche centrée sur les risques est privilégiée, à la fois plus flexible, et axée sur la pornographie et les jeux de hasard. Ne pas s’éparpiller semble être une règle avisée. Ne pas laisser l’outil de contrôle à n’importe qui, une autre. L’Europe a annoncé début juillet le test d’un système reposant sur le double anonymat. L’internaute prouve son âge grâce à une identité en ligne, qui ignore pourquoi elle est convoquée. Le site cible, un site pornographique par exemple, n’obtient ni l’âge ni l’identité de la personne. Un standard crédible, encore à peaufiner.
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Author : Maxime Recoquillé
Publish date : 2025-08-08 06:45:00
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