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François Mitterrand : en décembre 1987, son échappée secrète au mont Sinaï

François Mitterrand : en décembre 1987, son échappée secrète au mont Sinaï

Il arrive que la Ve République donne lieu à des parties de cache-cache mémorables. Parce que la politique et ses acteurs sont sans cesse épiés, décortiqués, analysés, certains éprouvent le besoin, quand vient l’heure de prendre une décision fondamentale, de se calfeutrer pour réfléchir en paix. Sans pression extérieure. Et avec la certitude que rien ni personne n’éventera une intention qui, peut-être, changera le cours des choses si l’effet de surprise est préservé. Tout le monde a droit à son Baden-Baden.

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Une visite officielle de quarante-huit heures à Djibouti, un passage sur le porte-avions Clemenceau, une interview à la télévision – « Je suis président de la République, j’ai des devoirs à l’égard du pays et cela va être une période un peu difficile entre le mois de janvier et le mois de mai. » Et puis, rideau : le 23 décembre 1987, François Mitterrand, en passe d’achever son septennat, qui laisse planer des doutes sur une nouvelle candidature l’année suivante, achève son année. L’Elysée précise seulement qu’il va désormais effectuer un séjour privé, et l’on n’en saura à l’époque guère plus. Blanc dans l’agenda. Tout juste apprendra-t-on, le 26 décembre, qu’il s’est entretenu avec le président égyptien Hosni Moubarak au palais de Qubbah.

La vérité ne surgira que beaucoup plus tard. Où est passé François Mitterrand ? Dans un endroit où on ne l’attend pas forcément, le monastère Sainte-Catherine, en plein Sinaï. C’est là qu’au XIXe siècle, un écrivain qu’appréciait le socialiste venu de Saintonge, Pierre Loti, pris dans une tempête, avait trouvé refuge. Là, aussi, que se trouve le fameux Buisson ardent, la révélation de Dieu à Moïse selon la tradition biblique.

Oublié, le cancer

Il a toujours cru à la force des lieux et, même s’il ne l’a alors pas encore dit, aux « forces de l’esprit » – sans doute plus qu’à la rupture avec le capitalisme et autres billevesées. Un matin, à l’aube, il entreprend, comme le font souvent les touristes passant dans la région, de gravir le mont Sinaï. L’escalade est assez sportive, 3 000 marches, le chemin escarpé. Le froid transperce les anoraks. Autour du président, le scepticisme est de mise, mais ce n’est pas cela qui le fera reculer. « Nous prendrons notre temps. On s’arrêtera pour souffler. Si c’est trop dur, on redescendra. »

Après l’ascension, l’illumination. Au sommet, là où le prophète reçut de Dieu les tables de la loi, François Mitterrand s’isole. La vue est à couper le souffle. Robert Badinter, l’un des rares à participer à l’expédition, racontera : « Il regardait le jour se lever avec une intensité, je me demandais ce qu’il regardait, c’est très beau, il y avait autre chose. Ça a duré un certain nombre de minutes, on est redescendus, il est guilleret, il plaisante. Et on est retourné au monastère. » A sa femme Elisabeth, il glisse aussitôt : « Il a fait son test. Il a tenu le coup. Il sera candidat. »

A cette époque, nul ne sait que François Mitterrand souffre d’un cancer, détecté à la fin de 1981, et qui doit le condamner assez vite, trois mois à trois ans, selon les médecins. En 1984 sonne l’heure d’une inattendue rémission. Il faudra attendre 1992 pour que l’information soit divulguée. Secret d’Etat, mensonge d’Etat – les bulletins de santé officiels de la présidence étaient falsifiés.

La présence d’Anne Pingeot

On vous parle d’un temps où les téléphones portables n’existent pas, les réseaux sociaux encore moins. Pierre Favier et Michel Martin-Rolland relateront, dans La Décennie Mitterrand, que le chef de l’Etat croise au sommet des touristes espagnols qui le reconnaissent : « Anda ! Arriba Mitterrand ! » Et l’information restera sur la cime. De même que l’on ne saura jamais qu’une certaine Anne Pingeot, la mère de Mazarine dont tout le monde ignore alors l’existence, se trouve aussi au monastère Sainte-Catherine.

C’est donc loin des regards, et même loin de tout, que le président sortant est tombé du côté où il penchait déjà sans le dire publiquement : une nouvelle candidature à l’Elysée, la quatrième de sa vie. De retour à Paris, pour ses vœux du 31 décembre, il continue de jouer les cachottiers, se contentant de glisser à la fin de son allocution : « Pendant les mois qui viennent, et dont on peut prévoir qu’ils connaîtront des turbulences, votre confiance m’aidera. » Mais à compter du début de l’année, de janvier à mars, il réunit secrètement chaque lundi après sa partie de golf – quand on vous disait que c’était une autre époque – Pierre Bérégovoy, Edith Cresson, Roland Dumas, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Pierre Joxe, Jack Lang et Louis Mermaz pour un déjeuner au pavillon de chasse de Marly.

On retrouvera Moïse le 22 mars 1988. François Mitterrand est l’invité du journal télévisé d’Antenne 2. « Oui », il est candidat, fin du suspense. Le journaliste Paul Amar cite la Bible et Moïse « passant le relais » à Josué. Le Charentais, 71 ans, s’amuse : « Dites-moi, vous êtes très prometteur, il avait au moins 100 ans, Moïse, à ce moment-là ! Josué, il arrivera de toute façon, je suis assez raisonnable pour en apprécier le moment. » « Le Sphynx », comme on l’appelait avant même son périple égyptien, sera largement réélu face à Jacques Chirac. On n’arrête pas le progrès : il y gagnera le surnom de « Dieu ».



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-08-05 13:57:00

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