À peine quelques lignes, et beaucoup d’incertitude : alors que les droits de douane imposés par Donald Trump commencent à prendre effet dans plusieurs pays, un secteur fondamental de l’économie mondiale a à peine été mentionné. Le doute a d’ailleurs plané pendant plusieurs heures après les annonces de l’accord entre l’UE et les Etats-Unis sur le devenir des semi-conducteurs européens et sur leur taux de taxation.
Les semi-conducteurs et les composants européens seront finalement soumis à des droits de douane de 15 %, tandis que les équipements nécessaires à leur production venant des pays de l’UE seront, eux, épargnés. Ces régimes différents s’expliquent par la position hégémonique de plusieurs acteurs européens dans le secteur, et par le rôle stratégique que les semi-conducteurs et les puces jouent dans l’économie mondiale.
Ces minuscules circuits électroniques contrôlent et modulent le flux d’électricité au sein des appareils, rendant possible le traitement et le stockage de l’information. On compte 3 puces dans une machine à café, une cinquantaine de puces hautement spécialisées dans les smartphones, des milliers dans les voitures électriques, des centaines de milliers dans les data centers. En fonction de leur finesse de gravure, les puces peuvent alimenter les appareils les plus simples comme les plus complexes, et sont essentielles à la révolution de l’intelligence artificielle. L’industrie des semi-conducteurs, qui pesait 681 milliards de dollars en 2024, est donc stratégique, et l’Europe joue un rôle crucial dans leur processus de fabrication, très complexe.
Les champions européens des puces frappés de droits de douane
La confection des puces se divise en plusieurs étapes : le design, la fabrication, l’encapsulation et l’assemblage. Toutes ces phases sont réalisées par des acteurs différents, à travers plusieurs pays. L’architecture des circuits est ainsi faite par des entreprises comme Nvidia, AMD ou Qualcomm. Les firmes américaines sont leader dans le design, même si quelques entreprises européennes arrivent à sortir leur épingle du jeu dans des secteurs spécifiques. « Les Franco-Italiens de STMicroelectronics sont très forts dans l’automobile, et ont des contrats importants avec Tesla et Apple », indique Jean-Christophe Eloy, CEO de Yole Group, spécialiste de l’analyse du secteur des puces. Les Allemands d’Infineon fournissent quant à eux des composants de puissance pour les data centers ou pour l’industrie automobile.
Si ces deux acteurs vont être touchés par les nouveaux droits de douane, il est encore très difficile de savoir exactement comment. « La fabrication des puces est d’une complexité redoutable. Un composant peut passer par une dizaine de pays sur trois continents différents avant d’être finalisé », illustre Jean-Christophe Eloy. Les puces d’Infineon sont ainsi dessinées en Allemagne, mais produites en Asie, dans les fonderies de Taïwan, et dans les ateliers de packaging aux Philippines, avant d’être assemblées dans les produits finaux, en Chine ou en Inde, et d’être envoyées aux consommateurs. Savoir quelle est la nationalité du produit, et donc, quel droit de douane doit s’appliquer, va être une tâche ardue.
« Personne ne sait encore comment mettre en œuvre les accords », regrette le patron de Yole Group, qui prévoit également une « importante bataille pour savoir comment calculer les droits ». Et derrière, une immense reconfiguration des chaînes d’approvisionnement afin d’assurer que les puces sont finalisées dans les pays bénéficiant des droits de douane les plus avantageux. C’est d’ailleurs le but de ces droits de douane : l’administration Trump, qui estime que Taïwan a « volé » l’industrie des puces, souhaite faire revenir leur production aux États-Unis.
Les chaînes d’approvisionnement ne sont cependant pas si flexibles que cela. S’il est possible de délocaliser une partie de la production d’un pays à l’autre, par exemple le packaging, il n’est pas envisageable de tout changer. La manufacture, notamment, est l’étape la plus délicate. L’entreprise leader du secteur, TSMC, est l’une des seules au monde à avoir le savoir-faire nécessaire pour graver les puces en 2nm, les plus fines du marché. Et malgré les promesses d’investissement aux États-Unis de 100 milliards de dollars dans plusieurs fonderies en Arizona, la production des modèles les plus avancés va rester à Taïwan pendant encore de nombreuses années.
Un retour de la production aux US ?
Un mouvement vers États-Unis s’est tout de même amorcé ces derniers mois. Samsung a annoncé des investissements supplémentaires dans ses usines aux États-Unis, qui fabriqueront les prochaines puces utilisées par Tesla, et Nvidia a révélé en avril qu’elle ferait bientôt faire certains modèles dans les fonderies TSMC d’Arizona.
« La question maintenant est de savoir si les acteurs européens vont faire des investissements industriels aux États-Unis au détriment de l’Europe », s’interroge Thomas Pebay-Peyroula. Le cofondateur de Silian Partners, cabinet de conseil en investissement dans les semi-conducteurs, pense notamment que les acteurs européens qui ont entrepris des investissements industriels aux Etats-Unis pourraient être mieux positionnés que leurs concurrents, par exemple les Allemands Infineon et Bosch.
L’installation de nombreux acteurs industriels aux États-Unis réussirait cependant à d’autres entreprises européennes : les producteurs d’équipements nécessaires à la production des semi-conducteurs, qui sont exemptés de droits de douane. Ce secteur, en amont du marché des puces, compte de nombreux champions européens dans les matériaux (Merck), les gaz (Air Liquide), les produits chimiques (BASF), les procédés (ASM International, EV Group), et les machines à lithographie (ASML). « Ces acteurs ont des positions de marché incontournables. Les États-Unis savent que s’ils veulent des usines sur leur territoire, les entreprises auront besoin de se fournir auprès des Européens », poursuit Thomas Pebay-Peyroula. Et hors de question pour eux de payer des droits de douane de 15 % sur des équipements coûtant des centaines de millions de dollars.
Malgré les incertitudes, le secteur des semi-conducteurs peut compter sur une tendance de fond : l’industrie bénéficie d’une dynamique extraordinaire avec les transformations technologiques, comme l’intelligence artificielle, la robotique ou la voiture autonome, qu’elle rend possible. « Il y a des vents contraires avec les droits de douane, mais il y a en même temps une très forte traction avec l’IA et d’autres grandes transformations technologiques qui atténuent l’effet pour l’industrie des semi-conducteurs », assure Thomas Pebay-Peyroula.
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Author : Aurore Gayte
Publish date : 2025-08-05 06:15:00
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