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Pourquoi Pierre-Edouard Stérin ne peut pas devenir un saint, par Gérald Bronner

Pourquoi Pierre-Edouard Stérin ne peut pas devenir un saint, par Gérald Bronner

On parle beaucoup de Pierre-Edouard Stérin. S’il occupe les Unes des journaux et fait l’objet de multiples commentaires, c’est qu’il a manifesté son intention de peser sur le débat public français (depuis la Belgique où il est exilé fiscal) en finançant diverses associations et actions orientées vers la pensée conservatrice.

Pour être plus clair encore, il suffit de rappeler que le vaisseau mère à partir duquel ce milliardaire veut changer la France par les idées se nomme Périclès, un acronyme aux intentions transparentes : « patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes ». Son but déclaré est de faire advenir au pouvoir quelqu’un qui porterait ces valeurs.

Ce qui retient mon attention ici, c’est que l’entrepreneur a déclaré publiquement, en fervent catholique, qu’il souhaitait, au terme de sa vie, devenir un saint… au sens littéral du terme, c’est-à-dire un individu qui sera distingué pour sa perfection spirituelle et donné en exemple aux autres croyants. Les saints sont des êtres à qui l’on attribue souvent des pouvoirs extraordinaires. Au terme de sa vie, car le processus de canonisation est accompagné d’une enquête scrupuleuse sur les mérites et la présence du merveilleux dans l’existence de l’impétrant – selon des normes en usage depuis 1659. La décision finale revient au pape. Ne devient pas saint qui veut donc, mais cela n’effraie pas Pierre-Edouard Stérin qui aime les défis, tellement qu’il organise sa vie comme un challenge en attribuant des notes à toutes les personnes qu’il rencontre (sa femme y compris). Lui-même prétend s’être évalué : rassurez-vous, il ne s’est pas octroyé la note maximum. L’humilité est une valeur importante pour tout apprenti saint et chacun se rappelle la célèbre phrase du compositeur Erik Satie : « Moi, pour la modestie, je ne crains personne ».

Pierre-Edouard Stérin est un homme méthodique. D’ailleurs, pour savoir comment s’y prendre pour devenir saint, il confesse à la presse s’être renseigné grâce à Google. Tant qu’à faire, il aurait peut-être dû chercher la définition d’un énoncé contre-performatif car c’est exactement ce qu’implique sa quête de la sainteté. La lecture du philosophe du langage John Langshaw Austin l’aurait instruit car c’est lui qui, dans les années 1950, a introduit la notion d' »énoncé performatif. » Ce type d’énoncé réalise une action par le fait même de son énonciation. Ainsi, lorsque dans une soirée vous dites : « Je vous présente untel », vous ne faites pas que dire, vous venez de le faire. L’énoncé contre-performatif produit l’effet inverse : le fait même de le mentionner invalide la réalisation de l’événement.

La sainteté est un appel universel

S’il connaissait mieux le catéchisme de l’Eglise catholique, repris dans le Compendium, Pierre-Edouard Stérin saurait que la sainteté est un appel universel, fruit de la grâce divine, et, en aucun cas, le résultat d’une planification humaine. Le dogme chrétien définit la grâce comme un don gratuit que Dieu accorde pour le salut et non une récompense proportionnelle aux œuvres ou à la richesse. La sainteté découle d’une coopération humble à cette grâce, pas d’un investissement philanthropique visant à instrumentaliser la reconnaissance post-mortem. Même l’Opus Dei rappelle à ce sujet que cette union au Christ ne peut jamais être le résultat d’un outil idéologique ou politique. L’intention même de devenir un saint est un obstacle à le devenir car elle foule aux pieds l’idée de gratuité qui est censée unir le croyant à Dieu : la théologie catholique enseigne que la grâce divine est un don, non un dû. Pour le dire autrement, la sainteté est attribuée au mérite mais on ne peut vouloir être méritant pour devenir un saint. C’est là tout l’infini dilemme de la possibilité même d’une action désintéressée.

Plutôt que de disserter sur ce point épineux, je me permettrai de citer, ce qui ne devrait pas déplaire à Pierre-Edouard Stérin, La Bible, Actes des Apôtres (VIII, 9-13) : « Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s’acquérait à prix d’argent ! Il n’y a pour toi ni part ni lot dans cette affaire, car ton cœur n’est pas droit devant Dieu. »

Chacun comprendra de ce qui précède qu’on ne peut pas financer son auréole.

Gérald Bronner est sociologue et professeur à la Sorbonne Université



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Author : Gérald Bronner

Publish date : 2025-08-05 05:36:00

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