Pourquoi y a-t-il eu tant d’écrits sur une supposée homosexualité d’Hitler ne reposant sur aucun fait historique ? Comment Mao a-t-il pu à ce point abuser de jeunes femmes tout en imposant le puritanisme aux Chinois ? De Catherine II à Vladimir Poutine en passant par Bachar el-Assad, L’Express se penche cet été sur la vie sexuelle des dictateurs, et montre comme celle-ci a pu influencer leurs décisions politiques, tout en étant l’objet de nombreux fantasmes.
EPISODE 1 – « Hitler était-il homosexuel ? » : la vie privée du Führer, objet de tous les fantasmes
EPISODE 2 –Vladimir Poutine et le sexe : du « mâle alpha » obscène au patriarche conservateur
EPISODE 3 – Mao, le libertin rouge : quatre épouses et bien des concubines
Combien a-t-elle eu d’amants ? Une douzaine selon ses biographes, une broutille en comparaison d’autocrates portés sur la chose tels Louis XV, Mussolini ou Mao. Cela a pourtant suffi pour faire de Catherine II (1729-1796) la cible d’incessants ragots et de légendes tenaces. Dans leurs dépêches, les diplomates ironisaient sur la supposée voracité sexuelle de la souveraine russe. La prude Marie-Thérèse d’Autriche considérait sa consœur comme une nymphomane.
La mort à l’âge de 26 ans de son favori Alexandre Lanskoï a alimenté des rumeurs sur une overdose d’aphrodisiaques pris pour satisfaire sa vieille maîtresse. Un cabinet érotique secret aurait été retrouvé durant la Seconde Guerre mondiale. Un mythe persistant évoque même un coït fatal avec un cheval… Tout au long du XIXe siècle, la dynastie des Romanov a célébré sa gloire politique tout en se montrant gênée par sa vie privée. Plus tard, ce goujat de Staline affirmera que le génie de la Grande Catherine tenait entièrement dans ses amants.
Pouvoir féminin dans un milieu masculin
Monarque absolue, Catherine II a correspondu avec les philosophes des Lumières, mais n’a pas rechigné à éliminer de potentiels rivaux. « L’âme de César avec les séductions de Cléopâtre », résuma Diderot. « Bien que n’étant pas belle, elle était sûre de plaire par sa douceur, son affabilité et son intelligence, dont elle faisait très bon usage pour paraître sans aucune prétention », décrit ce connaisseur de Casanova. Aujourd’hui, cette fine politicienne est devenue une figure étonnement moderne.
Bien avant les réseaux sociaux, la souveraine russe a passé l’essentiel de son existence devant une cour impitoyable où tous ses gestes étaient scrutés. Elle s’est emparée du pouvoir dans un milieu masculin, sans avoir le droit de se remarier et en restant dépendante des hommes sur le plan militaire. Cougar avant l’heure, Catherine II a accueilli des mignons dans ses draps comme elle a collectionné les œuvres d’art à L’Ermitage. Mais cette amoureuse de l’amour (« le problème, c’est que mon cœur ne peut supporter de passer une heure sans amour ») a toujours mêlé sentiments et sexe. Nul hasard, donc, si deux séries télé, The Great et Catherine the Great, se sont récemment penchées sur sa vie.
Un mariage difficilement consommé
Au départ, Catherine n’était ni russe, ni grande. Née princesse Sophie d’Anhalt-Zerbst dans une maison germanique mineure, elle rejoint la cour russe à l’âge de 14 ans, destinée par l’impératrice Elisabeth I à épouser l’héritier qu’elle venait de désigner, son neveu Pierre, petit-fils de Pierre le Grand. L’union avec cet obsédé de manœuvres militaires, qui déteste la Russie et ne jure que par la Prusse, s’avère désastreuse. Durant la nuit de noces, Catherine l’attend deux heures dans le lit double. Le mariage sera longtemps non consommé, le grand-duc Pierre préférant jouer aux soldats avec ses valets. « Après les chiens, j’étais la créature la plus misérable de la Terre », écrit-elle.
Le premier amant, ce sera l’officier Serge Saltykov, sous le regard bienveillant d’Elisabeth, qui veut une succession pour la lignée, peu importe le géniteur. En 1754, Catherine accouche de Paul. En l’absence de test ADN, on ne saura jamais qui est le père, même si la laideur du rejeton fait pencher la balance du côté de Pierre.
En 1755, Catherine rencontre Stanislas Poniatowski, futur roi de Pologne, un partenaire idéaliste et sentimental. La guerre de Sept Ans rend cette liaison impossible, mais Catherine II attend une fille. « Dieu seul sait comment ma femme a pu devenir enceinte », s’étonne Pierre. Catherine change de registre avec le soudard Grigori Orlov, lieutenant et membre d’une fratrie de cinq géants. À nouveau enceinte d’un amant, elle dissimule son état alors que l’impératrice Elisabeth agonise. A sa mort en 1761, Pierre III ne règne que six mois, un temps suffisant pour se faire détester de tout le monde. Catherine II le renverse en 1762 avec l’aide des frères Orlov, avant de le laisser assassiner, annonçant aux chancelleries que son pauvre époux a succombé à une colique hémorroïdale.
Le « Cosaque » Potemkine
La toute fraîche « impératrice de toutes les Russies » croise pour la première fois le garde Grigori Potemkine, de dix ans son cadet. L’ambitieux prend plusieurs années pour conquérir le cœur de la souveraine, mais l’excentrique Potemkine sera l’amour de sa vie, son meilleur ami et son partenaire politique. La relation est tumultueuse. En dépit des enjeux, les deux personnes les plus puissantes de Russie se chamaillent et se réconcilient comme des adolescents. Il nous reste une correspondance débridée, équivalent des SMS actuels. Elle l’appelle « mon tigre », « mon colosse » ou « le Cosaque », ce qui dit tout de l’intensité de leurs échanges intimes. Lui la nomme « petite mère » ou « Dame Souveraine ».
Pour un Russe typique comme Potemkine, en dépit de son propre mode de vie sybarite, il est difficile d’entretenir une relation avec une femme puissante et indépendante sur le plan sexuel. Le « Cosaque » se montre d’abord d’une jalousie maladive. Puis, constatant que leur relation est trop dévorante, Catherine et Potemkine passent au ménage à trois. La souveraine s’entiche régulièrement d’un favori officiel, qu’elle promeut aide de camp. Celui-ci est toujours jeune et certain de ne pas faire d’ombre à Potemkine. Il y a d’abord le modeste mais ardent Zavadovski. « Vous êtes le Vésuve incarné », complimente Catherine. Lui succéderont le viril hussard Zoritch, considéré comme un « vrai sauvage » par les dames de la cour, le vaniteux Rimski-Korsakov à la beauté antique, le doux Lanskoï, Yermolov, Mamonov et le dernier, le cupide Zoubov, âgé de 22 ans.
Le sexe joue un rôle important, mais l’impératrice se croit à chaque fois amoureuse. Elle se montre généreuse avec ses éphèbes, encore plus au moment de les congédier, les récompensant avec des rentes, des propriétés et des titres. De son côté, Potemkine mène une vie de patachon et couche avec ses nièces. Pour citer un autre couple ouvert, Sartre et de Beauvoir, la relation entre Catherine et Potemkine est « nécessaire », alors que les autres qu’ils entretiennent chacun de leur côté sont « contingentes ».
Au fil des années, la monarque grossit et souffre de flatulences. Alors que l’écart d’âge se compte en décennies, les favoris se sentent de plus en plus étouffés par les instincts maternels que Catherine II n’a pas témoignés à son aîné Paul. « Je suis grosse et joyeuse, je reviens à la vie comme une mouche en été », confie-t-elle à Potemkine à propos de sa passion sexuelle pour Zoubov, près de quarante ans plus jeune qu’elle. Surtout, les mignons doivent accepter la présence envahissante de Potemkine, seul homme de Russie qui peut débarquer dans ses appartements privés sans s’annoncer.
La Crimée, « paradis » russe
Sur le plan politique, Catherine II et Potemkine réalisent leurs fantasmes impérialistes avec la « Nouvelle Russie ». Ce que Pierre le Grand avait réussi dans le Nord, le duo le poursuit dans le Sud. Potemkine colonise le sud de l’actuelle Ukraine, s’empare de la Crimée et fonde Sébastopol, Kherson ou Nikolaïev. La Crimée devient un « paradis » russe. L’héritage du couple est pour beaucoup dans les névroses territorialistes de la Russie de Vladimir Poutine. Si les fameux « villages Potemkine » relèvent de la légende noire, l’homme est un metteur en scène de génie du pouvoir de sa maîtresse. Quand il meurt en 1791, l’impératrice est inconsolable. « Aucune des grandes histoires d’amour entrées dans la légende ne peut se prévaloir de succès politiques si nombreux et si éclatants », assure l’historien Simon Sebag Montefiore, auteur de La Grande Catherine et Potemkine (Calmann-Lévy).
Horrifiée par la Révolution française, Catherine disparaît en 1796. Son fils qu’elle a songé à déshériter, Paul Ier, la fait enterrer à côté de Pierre III, ce mari qu’elle détestait, et salit la mémoire de Potemkine. Impopulaire, le tsar est assassiné au bout de cinq ans. Parmi les comploteurs figure le dernier amant de sa mère, Platon Zoubov. Mais le falot Paul aura eu le temps de rétablir le droit d’aînesse masculine. Jusqu’à aujourd’hui, Catherine II reste la dernière femme forte russe.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-08-17 15:00:00
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