Yvan Audouard le martelait : « Les boules sont aussi un sport. Un sport péremptoire. Un carreau, ça ne se discute pas… » De son vivant, l’écrivain et chroniqueur satirique a été un pilier du Mondial La Marseillaise à pétanque, l’une des plus importantes compétitions internationales, qui rassemble chaque année 12 000 joueurs, issus de tous les continents. Lorsque ce concours est lancé en 1962, à l’initiative de Paul Ricard et du quotidien La Marseillaise, la Fédération française de pétanque et de jeu provençal (FFPJP) n’a qu’une quinzaine d’années d’existence. Elle s’est imposée en 1945 face à l’immense succès populaire remporté, au cours de l’entre-deux-guerres, par le jeu de boules « à pieds tanqués », une variante simplifiée de la « longue », elle-même héritière du « jeu de mail », cousin du croquet en vogue au XVIIe siècle.
Créée dans la cité phocéenne entre 1900 et 1910, la pétanque a été particulièrement prisée par les mutilés de 1914-1918 pour son accessibilité. Au Musée d’histoire de Marseille, qui consacre une exposition à cette composante majeure de la sociabilité urbaine depuis plus de cent ans, la commissaire Carole Gragez a réuni une vaste iconographie autour de la naissance et des mutations de la pratique, dont un important fond d’images du photographe allemand Hans Silvester, qui a mitraillé les boulistes phocéens au cours des années 1960. Il a ainsi capté, au-delà du simple folklore, une activité empreinte de « philosophie, de poésie et de fantaisie », dans une ville encore vierge de béton.
« Portrait de Claudine Spaak avec boules de pétanque », (vers 1940-1944).
Les ethnologues qui se sont penchés sur la pratique, à l’instar de Kristell Amellal, soulignent l’identité fortement sexuée de la pétanque, qui demeure, en ce début de IIIe millénaire, un haut lieu de construction de la masculinité. Tirer ou pointer restent des postures jalonnant les apprentissages et les phases de la virilité, voire du machisme. Pourtant, depuis cinq décennies, les femmes sont nombreuses à s’être approprié le cochonnet, qui leur a permis de « renégocier leur place dans l’espace public ». Elles représentent désormais 16 % des 300 000 licenciés à travers le monde et participent en équipes mixtes aux championnats. « A l’heure où l’on déconstruit les marqueurs de genre, explorer le sens et les enjeux sous-jacents de la pratique féminine aujourd’hui serait un complément nécessaire », plaide Kristell Ametall. Ainsi, pour la petite histoire, à ce jour, aucune version féminine du « baise Fanny » – le traditionnel baiser qu’un adversaire battu 13-0 doit déposer sur le postérieur d’une statuette de femme – n’a été évoquée par l’un ou l’autre camp.
« Sans les mots, les boules ne seraient qu’un jeu. Avec eux, elles deviennent un humanisme », écrivait Claude Martel. La linguiste spécialiste du parler provençal, qui consacra un ouvrage aux pétanquistes en 1998, a dû déchanter en 2015 quand le règlement s’est radicalisé. Dans la perspective d’une reconnaissance olympique que la FFPJP et son équivalent international la FIPJP appellent de leurs vœux, les joueurs n’ont désormais plus le droit de s’exprimer au cours des matchs. Ce durcissement, qui rebat les cartes de la cordialité, mais fait gagner le jeu en tension dramatique, va de pair avec un arbitrage vidéo au millimètre et l’ouverture des compétitions aux paris en ligne. Pétanque, jeu ou sport ? La question n’a pas fini d’être débattue.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2025-08-23 09:00:00
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