18 mars 2025. Face au refus du Hamas de libérer les otages, le gouvernement de Benyamin Netanyahou décide de reprendre, après deux mois de trêve, ses frappes sur Gaza. Pourtant, ce jour-là, la guerre n’a pas le monopole de l’attention médiatique locale. A Tel-Aviv, on se passionne pour l’annonce du rachat par Alphabet de la pépite israélienne de la cybersécurité Wiz pour 32 milliards de dollars – la plus grosse transaction de l’histoire de la maison mère de Google.
Le conflit qui sévit depuis près de 700 jours aurait pu plonger Israël dans la récession. Certes, l’économie a vacillé à la suite de l’attaque du 7-Octobre : le PIB s’était effondré de 21 % au quatrième trimestre 2023. Cette année, l’affrontement éclair avec l’Iran a, lui aussi, pesé sur l’activité du deuxième trimestre. Malgré tout, la croissance pourrait atteindre 3,2 % en 2025, selon le FMI, après 0,9 % l’an passé. L’inflation, elle, reste maîtrisée à 3,1 %. Le chômage est au plus bas. Quant au shekel, il s’est même apprécié depuis fin 2023, tendance inhabituelle en temps de guerre. Même la Bourse de Tel-Aviv prospère – elle s’est envolée à un nouveau record historique en juillet.
Comment expliquer cette résilience ? Par des fondamentaux solides, d’abord : les substantielles réserves de change et la responsabilité budgétaire qu’Israël affichait avant la guerre lui ont assuré un matelas pour absorber le choc. Mais surtout, par la structure de son économie. « Moins dépendante de facteurs cycliques, comme les matières premières ou l’immobilier, que d’autres pays développés, elle repose sur des actifs intangibles – l’innovation et le capital humain – ce qui diminue son risque d’entrer en récession en cas de chocs externes », explique Christopher Dembik, directeur de la stratégie d’investissement à Pictet AM.
L’habile intervention de la Banque d’Israël a aussi permis de limiter les dégâts. Conformément à la stratégie qu’elle mène depuis une dizaine d’années, « elle est intervenue davantage sur les taux de change que sur les taux directeurs, poursuit Christopher Dembik. Dans le contexte actuel, cela a contribué à contenir l’inflation et empêcher l’effondrement de la devise ». Les fonds de pension israéliens, alimentés par une épargne abondante, soutiennent aussi l’effort de guerre en achetant la dette publique, émise à des taux préférentiels pour les investisseurs domestiques par rapport aux marchés internationaux.
Technologie et défense
Ce sont surtout ses champions de la high-tech qui permettent au pays de se maintenir à flot. Le secteur emploie près de 12 % de la main-d’œuvre israélienne et compte pour un cinquième de son PIB. Une vraie « start-up nation ». Les investisseurs, en grande majorité internationaux, ont l’habitude des secousses locales et continuent d’y voir une valeur sûre. « Ils savent que, malgré la guerre, les start-ups de la tech continuent d’afficher des résultats supérieurs aux attentes et que les risques liés à leurs performances ne sont pas si élevés », observe Ian Rostowsky, directeur du pôle high-tech au cabinet d’avocats israélien Amit, Pollak, Matalon & Co.
En 2024, la part des produits et services technologiques dans les exportations israéliennes a progressé. Des mastodontes américains, comme Nvidia et Salesforce, ont annoncé ces deux dernières années des investissements dans le pays ou ont mis la main sur des fleurons locaux. De son côté, Google s’est engagé à louer 20 étages dans un nouveau gratte-ciel à Tel-Aviv pour une durée de dix ans. « C’est un signal fort pour les autres entreprises, qui montre qu’il est possible de croire en l’économie israélienne sur le long terme », commente Zvi Eckstein, directeur de l’Aaron Institute for Economic Policy à l’université Reichman, près de Tel Aviv. Dans cet écosystème, où se côtoient talents universitaires et entrepreneuriaux, les idées bouillonnent. Le pays consacre 6 % de son PIB à la recherche et au développement – un taux parmi les plus élevés dans le monde.
La guerre nourrit cette dynamique d’innovation : sous la pression de l’instabilité régionale, Israël a historiquement multiplié les prouesses technologiques au service de la défense. Le Dôme de fer, qui a intercepté des missiles iraniens, en est un exemple éloquent. « Chez nous, la maxime « la nécessité est mère de l’invention » prend tout son sens, plaide Aviva Steinberger, directrice de cabinet à l’ONG Start-Up Nation Central. Notre économie ne fait pas que se relever après chaque conflit, elle s’adapte et se renforce ». En 2024, les entreprises de la cybersécurité ont dominé les levées de fonds, tandis que les exportations de matériel de défense ont atteint un record. Fin juillet, le producteur national d’armement Elbit Systems a annoncé avoir remporté un contrat pour fournir des systèmes de défense antimissiles à l’Allemagne. Et l’élan pourrait se poursuivre grâce aux velléités de réarmement de l’Europe ces derniers mois.
Malgré sa solidité, la high-tech n’est pas à l’abri des risques. Le missile qui a frappé la tour de Microsoft à Beer-Sheva en juin en a été un rappel brutal. Les effectifs de la filière sont aussi affectés par la mobilisation de réservistes. Mais d’autres pans de l’économie, comme la construction et l’agriculture, souffrent encore davantage. « Les chantiers ont été gelés à cause de l’incertitude économique et les coûts de production ont augmenté, souligne Seltem Iyigun, économiste à Coface. Ces deux secteurs font face à un problème de main-d’œuvre dû à la conscription mais aussi l’interdiction du recours aux travailleurs palestiniens ».
Les coûts de la guerre
Depuis le début du conflit, la situation des finances publiques s’est tendue. Fin 2023, la Banque d’Israël chiffrait l’impact budgétaire brut de la guerre à plus de 50 milliards de dollars d’ici 2025, dont plus de la moitié liée aux dépenses dans la défense. « Le gouvernement devra augmenter les impôts l’année prochaine et emprunter davantage en émettant des obligations d’État, alerte Tomer Fadlon, chercheur à l’université de Tel-Aviv et à l’Institute for National Security Studies. Cela entraîne un risque de dégradation de la notation de crédit ».
Plusieurs agences de notation ont déjà abaissé la note des obligations souveraines depuis le début de la guerre, avec des perspectives négatives. De fait, le déficit public s’est creusé ces deux dernières années et, selon Moody’s, la dette publique devrait représenter près de 75 % du PIB à moyen terme, contre environ 60 % en 2023.
Risque réputationnel
Si l’OCDE reste optimiste, prévoyant un taux de croissance de 5,5 % en 2026 et une reprise des exportations, après un net repli en 2024, en réalité, le sort de l’économie israélienne reste suspendu à l’évolution du conflit. Les plans du gouvernement pour s’emparer de la ville de Gaza, récemment validés, risquent d’alourdir la facture. « Une prise de contrôle de la bande de Gaza aurait un coût direct d’au moins 6 milliards de dollars par an pour Israël, estime Tomer Fadlon. Cela prend en compte les rémunérations des réservistes, la prise en charge de plus de 2 millions de civils… Mais le coût indirect, qui intègre l’impact économique d’une réputation dégradée – notamment une baisse des investissements étrangers – pourrait dépasser les 15 milliards ». Ce risque commence déjà à prendre forme, bien que son effet soit encore limité. Après le boycott de la Turquie, c’est le fonds souverain de la Norvège – le plus grand au monde – qui s’est récemment retiré du capital de plusieurs entreprises israéliennes.
Plus le conflit s’enlise, plus les problèmes conjoncturels risquent de laisser des cicatrices. « Les investisseurs tolèrent l’incertitude, mais ils souhaitent voir une stabilité institutionnelle, explique Seltem Iyigun. Ce qui implique d’éviter les crises internes, comme celle sur la réforme judiciaire controversée en 2023, et d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Une façon de montrer que l’État ne sacrifie pas les fondamentaux de long terme au prix du court terme militaire ». En 1973, la guerre du Kippour avait donné lieu à une période de stagnation économique, la « décennie perdue ». Reste à voir si le gouvernement en a tiré des leçons.
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Author : Tatiana Serova
Publish date : 2025-08-25 03:45:00
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