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Victor Le Masne, créateur de l’hymne des JO : « Mozart aurait fait des choses incroyables avec l’IA »

Victor Le Masne, créateur de l’hymne des JO : « Mozart aurait fait des choses incroyables avec l’IA »

Les Jeux olympiques ont changé sa vie. Le compositeur et arrangeur Victor Le Masne était le grand ordonnateur de la musique qui a rythmé les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux de Paris 2024. Parade, l’hymne officiel de l’événement, est même devenu un succès planétaire. Une année s’est écoulée, et Victor Le Masne s’est de nouveau assis devant son clavier pour réinventer Ravel dans un album qui sort cet automne, enregistré avec l’orchestre philharmonique de Berlin. Celui qui a fait danser la planète il y a un an revient pour L’Express sur les révolutions technologiques qui secouent le secteur de l’industrie musicale, du streaming à l’intelligence artificielle (IA).

L’Express : Il y a un an presque jour pour jour, des millions d’individus partout sur la planète chantaient, dansaient sur Parade, la musique d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Ce succès planétaire a-t-il changé la vision du monde sur la création musicale française ?

Victor Le Masne : Je l’espère, car c’était le but ! Et ce n’est pas seulement la musique française qui en a bénéficié, parce que bien d’autres domaines artistiques étaient représentés lors de cette cérémonie d’ouverture. Mais si on ne parle que de ma chapelle, mon rôle en tant que compositeur et directeur musical était de mettre en avant le répertoire français. Chaque artiste, de Lady Gaga à Céline Dion, avait cette feuille de route. Même lors de la cérémonie de clôture, où la musique électronique a été mise à l’honneur, les artistes français ont joué des productions françaises. Ma mission était de braquer les projecteurs sur le « songwriting » tricolore. Car si peu d’artistes français sont connus hors des frontières de l’Hexagone, beaucoup de chansons françaises, elles, le sont mondialement.

L’industrie de la musique est très concurrentielle. Quelle place la France occupe-t-elle aujourd’hui ?

Une place à part. Pour revenir à la cérémonie d’ouverture, c’est son aspect pluriel qui a participé à son succès : le mariage d’un événement sportif avec un événement culturel et musical. Cette imbrication, entre musique et mode notamment, joue aujourd’hui à plein en France et contribue à donner à Paris une place singulière. Quand vous voyez Pharrell Williams, un musicien connu dans le monde entier, s’installer en France pour occuper le poste de designer en chef de Vuitton, une marque iconique, cela fait forcément ressortir Paris sur l’échiquier mondial de la musique. Je le remarque lors de la Fashion Week. Toutes les stars mondiales sont alors à Paris et les studios d’enregistrement sont bondés, avec des sessions qui peuvent se dérouler au milieu de la nuit entre 2 heures et 4 heures du matin ! Des studios qui étaient en train de fermer leurs portes réouvrent et c’est extrêmement positif.

Le soft power français en sort-il renforcé ?

La musique française s’exporte très bien. Je pense évidemment à la musique électronique et à la fameuse French Touch de la fin des années 1990, ou bien à des artistes comme Justice, Aya Nakamura ou Gojira, qui tournent dans le monde entier en 2025. Mais je m’interroge : les spectateurs qui vont les voir savent-ils vraiment qu’ils sont français ? Prenons les Daft Punk : je ne crois pas que leur succès s’explique par le fait qu’ils étaient français.

Assiste-t-on aujourd’hui à l’émergence d’une Europe de la musique ?

Je vais vous donner un exemple très concret. Je viens de terminer pour le label allemand Deutsche Grammophon un disque sur Maurice Ravel, Ravel Recomposed, qui sortira cet automne. Pour cela, j’ai enregistré d’abord en studio à Paris, puis à Berlin avec des musiciens du Berliner Philharmoniker. J’y ai pris beaucoup de plaisir. Parce que ce disque est le mariage de mon système, qui est intrinsèquement très français, avec celui du Berliner et d’un label allemand de grande qualité. Donc, c’est un vrai échange européen. Mais cette initiative reste très personnelle. Il n’y a pas de politique européenne qui favorise ça. Les échanges, il faut aller les chercher, les inventer. Je travaille avec beaucoup d’orchestres. Or un orchestre allemand va sonner différemment d’un orchestre français ou anglais. Aujourd’hui, on trouve de très bons ensembles de cordes en Macédoine, par exemple. En Bulgarie, c’est le pays des grandes chorales. J’adore aussi aller à Rome ou à Naples, pour découvrir de vieux studios des années 1960-1970. Il y a une qualité, un son, une patine, qui sont particuliers. Si on est un peu curieux, c’est passionnant d’aller chercher la richesse partout en Europe.

Le streaming est la grande révolution de ces vingt dernières années dans l’industrie musicale. Est-elle bénéfique pour la création musicale ?

Le streaming permet d’abord une formidable démocratisation de la musique. Accéder à la musique du monde entier en quelques clics et pour une dizaine d’euros seulement par mois… En termes culturels, c’est passionnant de pouvoir aller chercher et fouiller.

Mais ça autoresponsabilise l’auditeur : il faut avoir la curiosité d’aller chercher les musiques du monde entier, de sortir de sa zone de confort. Or avec les algorithmes des plateformes, si j’écoute Led Zeppelin, on va me proposer tout ce qui se rapproche de Led Zeppelin, mais jamais un morceau de musique classique ou de la Motown. Il faut que la curiosité des jeunes gens continue d’être titillée. Moi, j’ai grandi dans les années 1980 et je suis un fan de musique depuis toujours. Mon père est musicien et compositeur. Je suis né dans une famille d’artistes. Donc j’ai grandi avec cette curiosité. Lorsque j’écoutais un titre à la radio, je me précipitais pour l’acheter, puis je lisais les crédits et enfin j’écoutais le disque. Tous ces rituels-là ont disparu. On est perdu dans un océan d’informations à tous les niveaux, même au-delà de la musique, pour le pire et pour le meilleur. L’auditeur comme le créateur sont noyés et la seule issue, c’est la responsabilisation de soi-même : avoir l’envie d’écouter autre chose.

Quand je vois toutes les playlists disponibles, ce sont souvent des playlists relax, utilitaires, pour « bien dormir » ou « boire un bon café ». C’est une consommation de la musique, à mon sens, un peu fade. Ce n’est pas une consommation de passionné. Et c’est ce qui me manque sur les grandes plateformes.

Les artistes sont-ils tous perdants de ce big bang technologique ?

Le système de rémunération de ces grandes plateformes reste finalement assez opaque. On a tous, artistes, de plus en plus d’écoutes, même des millions. Mais ça ne se transforme pas en millions d’euros de rémunération. La prédominance de Spotify commence à poser question et une forme de « Spotify bashing » est en train de se répandre. Sans artistes, sans créateurs, sans créatrices, il n’y a pas de Spotify. Donc, je pense que la plateforme devrait davantage communiquer sur la répartition de la valeur.

En restant sur le thème de l’innovation, l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la musique est-elle une menace pour les créateurs comme vous ?

L’intelligence artificielle, c’est à la fois passionnant et terrible. Tant que l’IA reste un outil d’aide à la création, il n’y a rien de mal à l’utiliser. Qu’aurait fait Mozart avec l’IA, qu’aurait fait Prince ? Certainement des choses incroyables. Personnellement, je m’en sers peu. Et à chaque fois que je l’ai utilisée, ça m’a plutôt ennuyé. Mais je ne suis pas contre. Quand les synthétiseurs sont arrivés, tous les musiciens d’orchestre criaient au scandale, redoutant de se faire remplacer. Ça n’est pas arrivé. Avec l’IA, je pense que c’est pareil. En revanche, je m’interroge sur la responsabilité de tous ceux qui l’utilisent et ne sont pas des artistes. Des agences de publicité, par exemple, qui veulent se « payer » une musique un peu lambda. Ils n’ont qu’à appuyer sur un bouton et l’IA leur produit un « truc » sans âme. Là, je pense qu’il faut vraiment réguler.

Réguler, mais quoi et comment ?

Par exemple, il ne faudrait pas qu’on puisse déposer une œuvre créée entièrement par l’IA à la Sacem ou dans n’importe quelle société de collecte des droits d’auteur. Ça n’a pas de sens. C’est la même chose pour un scénariste, ou un graphiste. Quand je crée une musique, j’y mets tout mon bagage – et ce n’est pas un jugement de valeur ! – alors qu’une mélodie créée par de l’IA, c’est juste une donnée algorithmique. Pour l’heure, j’entends très bien la différence. Mais en 2030, quand les IA auront été suffisamment entraînées, je ne sais pas…

Une IA aurait-elle pu créer Mozart ?

Non, je ne le pense pas. L’IA va être parfaite. Mais l’art, ce n’est pas la perfection. C’est toute la différence. L’art, c’est savoir exactement quand créer la rupture, la surprise, au bon endroit. Et c’est cette rupture qui va créer une émotion.

L’IA peut-elle entraîner l’apparition de nouvelles esthétiques musicales, de nouveaux genres musicaux ?

L’IA ne fait pas de rupture. En tout cas, pas encore. Mais sur TikTok, par exemple, de nouveaux formats musicaux de moins de dix secondes se développent. Je trouve ça passionnant. J’ai pu découvrir de nouvelles musiques technos appelées « Phonk » terriblement dures, faites pour l’immédiat, et j’ai trouvé ce phénomène très intéressant. L’art se faufile dans tous les trous de souris, se dépêtre de toutes les contraintes. Ceux qui créent ces formats musicaux TikTok n’ont souvent jamais touché un instrument. Ils font ça sur ordinateur et le résultat est bluffant.

Il ne faut jamais oublier que, dans l’art, celui qui ose casser les règles – que ce soit Picasso en peinture ou Jimi Hendrix en musique – sera toujours celui qui définira la prochaine règle.

Ces révolutions technologiques peuvent-elles concurrencer le spectacle vivant à un moment ?

Bien au contraire, les salles de concert sont pleines. Et c’est une espèce de contrecoup plutôt positif à cet océan d’informations et à cette solitude un peu globalisée dans laquelle on vit tous. Nous sommes tous sur nos téléphones à streamer ou à regarder des choses qui n’ont pas toujours d’intérêt. C’est vrai que les concerts, comme les événements sportifs d’ailleurs, sont des endroits où les gens se retrouvent et vivent au même moment une expérience commune avec une convergence du regard. Les gens sont en quête de cette forme de communion. Et les artistes aussi. Tout le monde fait des concerts. Ce qui est étonnant d’ailleurs, c’est que même les groupes des années 1970, 1980 ou 1990 se reforment. Regardez Oasis, les places de leurs concerts se sont arrachées ! Le spectacle vivant sort renforcé de ces révolutions technologiques, c’est le grand enseignement.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-08-25 18:00:00

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