C’est un homme qui a surpris son monde et un Premier ministre en sursis qui nous reçoit en ce début de soirée, lundi 25 août, à l’hôtel Matignon. Trois heures avant, François Bayrou a annoncé en conférence de presse qu’il solliciterait un vote de confiance lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale, convoquée le 8 septembre prochain. Il nous reçoit dans son bureau du premier étage d’où est sorti quelques minutes plus tôt un ballet d’hommes et de femmes en costume, le pas pressé, la mine affairée. Le Premier ministre, lui, paraît groggy. « Je me battrai comme un chien », assure-t-il pourtant. Et il répète : « Comme un chien ». Pendant tout le temps que dure l’entretien, son téléphone tintinnabule. Messages ; appels ; pushs. Sur TF1, Olivier Faure vient d’annoncer que le PS ne voterait pas la confiance. Ce qui laisse la porte ouverte à une abstention, laisse entendre le Premier ministre [NDLR : le lendemain, le même Faure annoncera que le PS votera contre]. Avant de se raviser : « Je ne suis pas dans le marchandage ; je crois que nous sommes devant l’Histoire, vraiment. »
François Bayrou l’a martelé durant sa conférence de presse, il considère que la France fait désormais face au danger immédiat du surendettement, et c’est donc sur cette double question de la gravité de la situation et de l’ampleur des efforts à consentir qu’il entend solliciter le vote de l’Assemblée sur fond, espère-t-il, de prise de conscience de l’opinion. « Nous avons quinze jours. Quinze jours pour créer un débat national sur le sujet, et mettre chacun devant ses responsabilités », explicite-t-il pour L’Express. Pourquoi ne pas avoir plutôt demandé à Emmanuel Macron d’organiser un référendum ? » Un référendum, je suis pour ! Je l’ai clairement dit. Mais je comprends les réserves du président de la République. Ses arguments sont recevables, au reste : que faire, après, comme politique si l’on échoue sur une telle question ? ».
François Bayrou dit avoir évoqué avec Emmanuel Macron cette possibilité d’un vote de confiance en session extraordinaire dès le mois de juillet. Avant le 15, même, date à laquelle il a présenté les grandes lignes de son projet de budget. « Je n’ai pas ‘choisi’ cette voie du vote de confiance. J’ai seulement conclu qu’il n’y en avait pas d’autre. Car je ne voulais pas d’un projet dépecé centimètre carré par centimètre carré, avec des gens qui vous enjoignent d’abandonner un milliard par-ci, deux milliards par-là, qui réduisent de moitié le chiffre des économies à réaliser et prétendent qu’il faut créer des impôts pour compenser tout cela. Et des mouvements de rue qui se multiplient en même temps. Le danger serait extrême. L’heure est trop grave. » Un œil sur son téléphone, il continue de regarder les messages qui bipent et éclairent son écran. Deux fois, il se retire, pour répondre à un appel. Revient. Se rassied. Préoccupé. « Nous avons quinze jours. Quinze jours pour que la conscience se forme, et que les calculs politiques décantent », reprend-il. Sur une feuille de papier posée devant lui, une liste semble décompter des voix qui pourraient lui aller et celles qui pourraient lui manquer le 8 septembre. Pour l’instant, le compte n’y est pas.
« Les peuples ont le droit de se tromper, mais… »
D’ici-là, le Premier ministre veut également mobiliser contre La France insoumise et ses proches alliés, qu’il a clairement désignés dans sa conférence de presse comme l’alternative épouvantail en cas d’échec, rappelant les pulsions de chaos de Jean-Luc Mélenchon et les récents propos de Sandrine Rousseau (Les Ecologistes), laquelle a déclaré en marge des débats sur la loi Duplomb qu’elle n’en avait « rien à péter » de « la rentabilité des agriculteurs ». « Si le gouvernement tombe, ce sera par la coalition de LFI et du RN, la coalition d’oppositions strictement antagonistes entre elles, ajoute-t-il pour L’Express. Est-ce cela que les Français veulent ? » On lui fait remarquer que c’est ainsi, déjà, que le gouvernement de Michel Barnier a été censuré… « Certains veulent imposer le chaos en rejetant la lucidité. Est-ce cela l’intérêt de notre pays ? «
Depuis qu’aux législatives de 2022, les citoyens n’ont pas donné de majorité au président qu’ils venaient d’élire, l’exécutif semble se cogner aux murs en cherchant une issue à la crise politique dans laquelle nous nous trouvons. La dissolution n’a pas permis la clarification escomptée. Que faire après, si ce vote de confiance échouait ? Comment sortir de l’impasse politique où nous sommes acculés, et tenir, encore, jusqu’à 2027 ? « Les Français se sont relevés de deux guerres mondiales, on sortira de cette situation-là », répond François Bayrou.
Quant à lui, il assure ne pas craindre de tomber, citant à plusieurs reprises sa Sainte Trinité du moment : de Gaulle, Mendès, Churchill. Le premier, fait-il valoir, a passé deux fois dix ans sans que personne ne l’écoute, le second, au moins quinze ans, et le troisième a été rejeté par les Britanniques quand il leur a dit qu’il fallait réarmer face à Hitler. « Les peuples ont le droit de se tromper, mais les hommes d’Etat n’ont pas le droit de leur mentir », tonne-t-il, sacrificiel. Plus tard, néanmoins, il pointe que certains commentateurs jugent qu’il y a là, politiquement, pour lui, un « trou de souris ». « Et moi, toute ma vie j’ai réussi à passer par les trous de souris. » Le téléphone tintinnabule toujours. François Bayrou se lève, dos aux platanes du jardin de Matignon où le soleil se couche désormais. C’est l’heure où le jour finit et où la lumière donne tout ce qu’elle a ; cet instant que Paul Valéry nomme « le point doré de périr ». « On verra dans quinze jours », répète le Premier ministre en nous raccompagnant.
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Author : Anne Rosencher, Eric Chol, Arnaud Bouillin
Publish date : 2025-08-26 12:10:00
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