Ce n’est un secret pour personne, François Bayrou a pour idole historique son compatriote palois Henri IV. Lors de sa nomination en décembre, le Premier ministre a immédiatement cité ce « roi libre », en qui il voit un « grand réconciliateur ». Mais après huit mois à Matignon, Bayrou doit se dire que pacifier une guerre des religions est une mince affaire comparée à l’assainissement des finances publiques dans une France post-dissolution. A défaut de pouvoir troquer une messe contre 44 milliards d’euros d’économie, le centriste se réfère de plus en plus à trois figures de gauche comme de droite : Pierre Mendès France, Winston Churchill et Georges Clemenceau.
Du trio, Mendès France est celui qui permet les comparaisons les plus évidentes, même si, quand on est un Premier ministre menacé par la censure et s’apprêtant à se soumettre à un vote de confiance, il peut sembler cocasse de prendre pour modèle un homme qui, entre 1954 et 1955, a gouverné sept mois à peine. « Mendès, c’est un mythe, mais un échec politique », résume Eric Roussel, auteur de Pierre Mendès France (Gallimard, 2007). Tous les biographes rappellent d’emblée que François Bayrou, entré en politique aux côtés de Jean Lecanuet, est issu du courant politique qui, sous l’étiquette MRP, a fini par faire chuter le gouvernement de Mendès France. « Qu’il se réclame de lui a de quoi étonner. Bayrou a toujours été un champion du centre, dans la tradition de la démocratie chrétienne, alors que le radical-socialiste Mendès a toujours été de gauche, profondément laïque », remarque Michel Winock, lui aussi auteur d’un Pierre Mendès France (Bayard, 2005).
Les historiens reconnaissent à François Bayrou une constante dans la ligne de son modèle : avoir depuis des années porté le sujet de la rigueur budgétaire, associé à un souci de dire la vérité aux Français. « Après la Libération, Mendès a été écarté du pouvoir, car il s’est opposé à la politique moins rigoureuse que voulait mener de Gaulle tout au long de la IVe République. Il avait l’obsession de l’inflation, et a toujours soutenu que la gauche devait être attentive à ce sujet, d’où ses rapports souvent problématiques avec sa famille d’origine », souligne Eric Roussel. Pour ce biographe émérite, ce qui rapproche également les deux hommes, c’est qu’ils n’auraient jamais pu former leur gouvernement sans des circonstances très particulières. « Mendès France est arrivé en 1954 après le désastre Diên Biên Phu, alors que le Parlement ne l’aimait pas et l’avait rejeté un an. Bayrou s’est imposé au président Macron par la force du poignet. » Dans une configuration tripartite, Mendès France avait, lui aussi, dû se reposer sur une coalition disparate au centre, et faire face à une forte opposition parlementaire sur sa gauche comme sur sa droite.
Un pur littéraire
Mais les différences sont nombreuses. Agrégé de lettres classiques, François Bayrou est un pur littéraire, alors que l’économie a été la grande affaire de Pierre Mendès France. Si ce dernier a une formation de juriste, sa thèse portait sur le redressement des finances par Raymond Poincaré en 1924. « Mendès a donné un cours de finances publiques à l’ENA, a représenté la France à Bretton Woods, a siégé à la Banque mondiale et au FMI. Il a même écrit un manuel d’économie. Bayrou est un amoureux de la littérature. On peut lui reconnaître le mérite d’avoir parlé de la dette, mais sans avancer de remède, là où Mendès avait, dès les années 1930, un programme de gouvernement », observe le préfet Frédéric Potier, auteur d’un passionnant Pierre Mendès France la foi démocratique (Bouquins, 2021).
Surtout, celui qu’on surnommait « PMF » bénéficiait d’une immense popularité, là où la cote de confiance de Bayrou atteint des abysses historiques. « Non seulement L’Express a été créé pour Mendès mais Le Nouvel Observateur également. Ce qui donne une idée de son aura intellectuelle. Mendès avait noué un rapport direct avec l’opinion. Il faisait des causeries par radio, chose alors inédite en France », rappelle Eric Roussel. Dans un même souci de pédagogie, François Bayrou a lancé en août la chaîne YouTube « FB Direct », mais les dernières vidéos ne dépassent pas les 30 000 vues, loin, très loin des audiences d’une RTF monopolistique.
Pierre Mendès France, qui a laissé à François Mitterrand le soin de former son gouvernement, n’aimait pas les manœuvres politiciennes. « Il est devenu un chef de parti à son corps défendant. Il s’appuyait sur l’opinion plutôt que sur la vie parlementaire. Alors que Bayrou est un chef de parti depuis des années. N’oublions pas qu’il est devenu Premier ministre parce qu’il a refusé que Sébastien Lecornu le devienne », pointe Frédéric Potier. Enfin, le Palois a toujours eu la conviction d’avoir un destin présidentiel et n’a pas abandonné ses ambitions élyséennes, ce en quoi il est bien plus proche de De Gaulle que de Mendès France, qui détestait la notion d’homme providentiel et ne voulait même pas qu’on parle de « mendésisme ».
Dans la France de 2025, le péril économique paraît bien moins sérieux qu’une menace d’invasion militaire immédiate
Passons vite sur le parallèle avec Georges Clemenceau, qui laisse perplexe nos historiens et biographes. « Clemenceau est un mangeur de curés radical, on est loin de Bétharram », ironise Frédéric Potier. Et venons-en à une question plus brûlante : la France est-elle prête à vivre un moment « churchillien » ? Autrement dit, un dirigeant actuel qui promet de la sueur peut-il encore espérer galvaniser ses compatriotes ? L’historien François Kersaudy a consacré plusieurs ouvrages à Winston Churchill et voit d’un œil favorable le fait que le président du MoDem cite le « vieux lion » comme modèle depuis plusieurs années. « Churchill, comme de Gaulle, espérait que son exemple encouragerait ses successeurs à faire preuve de courage, d’initiative et d’abnégation au service du pays. Ce que François Bayrou semble admirer surtout chez lui, c’est le courage de dire au peuple ce qu’il doit savoir plutôt que ce qu’il a envie d’entendre. » Certes, Churchill était bien plus calé en politique étrangère qu’en économie. « On a dit que j’ai été le pire chancelier de l’Echiquier que l’Angleterre ait jamais eu… et on a eu raison ! » admettait-il, non sans exagération. Mais le Premier ministre britannique reste celui qui a averti sur la montée d’un péril mortel, au risque de l’impopularité. « Jusqu’au début de 1939, Churchill était le politicien le plus impopulaire du Royaume-Uni. C’était dû principalement à ses multiples interventions en faveur du réarmement et à son opposition déclarée aux accords de Munich – ce qui le faisait passer pour un belliciste. Mais lorsque Hitler a commencé à menacer la Pologne, les Britanniques ont compris le caractère prophétique de ses avertissements passés, et ils ont estimé que si l’on ne pouvait plus éviter la guerre, il valait mieux avoir au gouvernement un homme qui sache la mener », explique François Kersaudy.
Le modèle est-il réplicable ? La différence de contexte semble flagrante. « En 1940, il était impossible de nier l’existence des bombes qui tombaient sur les têtes, et le Premier ministre n’avait guère de concurrents, car pour la tâche herculéenne qui l’attendait, les candidats ne se pressaient pas au portillon. Dans la France de 2025, le péril économique paraît bien moins sérieux qu’une menace d’invasion militaire immédiate, et avec un peu d’aveuglement ou de mauvaise foi, il est possible de le minimiser et même de le nier. » Le biographe de Churchill et De Gaulle se montre ainsi pessimiste sur les possibilités de réformer tant que notre pays ne sera pas frappé par une crise de grande ampleur. « De Gaulle disait que les Français ne consentaient à le suivre que lorsqu’ils avaient peur, comme en 1944, 1958 et 1968. Mais il y a surtout une question de contexte – et de moyens : en 1940, Churchill était à la tête d’un gouvernement de coalition regroupant les trois principaux partis, les oppositions politiques étaient insignifiantes, il avait le concours des fonctionnaires, des syndicats, des médias, des magistrats. « On ne gouverne bien qu’en temps de guerre », confirmait le général de Gaulle. A notre époque, le Premier ministre français se heurte à l’opposition résolue d’une douzaine de partis concurrents, à celle des syndicats, des médias, des réseaux sociaux – tout cela sous la menace permanente de censure, de grèves et d’émeute. » Si La Poste va, en octobre, présenter le tout premier timbre français à l’effigie de Churchill, l’historien doute que Churchill lui-même aurait réussi, sans même aller jusqu’au sang et aux larmes, à priver les Français de deux jours fériés…
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-08-26 10:00:00
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