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Budget 2026 : comment en finir avec les enfumages économiques

Budget 2026 : comment en finir avec les enfumages économiques

Un médecin parlerait sans doute de déni. Ou de fuite en avant. Il dresserait le diagnostic d’un patient incapable d’appréhender le réel. Le réel, c’est celui d’une société française malade de sa dette publique et de ses déficits qui s’empilent méthodiquement depuis 1973 au gré des alternances politiques. Le réel, c’est 3 345 milliards d’euros d’endettement à la fin du premier trimestre de cette année, d’après l’Insee, soit près de 114 % du PIB – un niveau record – contre un ratio moyen de 87 % dans l’ensemble de la zone euro hors France. Un trou dans les comptes de 169 milliards en 2024, 17 milliards de plus en l’espace d’une année. Des prélèvements obligatoires absorbant 45,3 % des richesses produites, soit quasiment cinq points de plus que chez nos voisins, d’après l’OCDE. Et enfin des dépenses publiques qui culminent à 57,1 % du PIB, contre 49,6 % en moyenne dans la zone euro.

Dans un monde où le fétichisme du nombre a remplacé les grandes idéologies, la myopie française laisse pantois. Le 8 septembre, François Bayrou va jouer son avenir politique, et surtout celui de la France, à l’Assemblée nationale, sur un chiffre : 44 milliards d’euros, la facture nécessaire pour commencer à infléchir la tendance et permettre enfin au pays de respecter les engagements pris à Bruxelles.

Une « saignée », une « boucherie sociale », un programme d’une « austérité insupportable », a-t-on entendu à gauche et chez les principaux leaders syndicaux. Passant sous silence le fait que le plan Bayrou prévoit encore une progression de la dépense publique en volume. De façon presque insidieuse, l’idée selon laquelle le remède pourrait être bien moins amer fait son chemin. Dernièrement, un article du Monde parlait de « faux débat » à propos du surendettement. Du miel aux oreilles d’Olivier Faure, le chef de file des socialistes. Pour le patron du PS, le problème du déficit français ne serait pas celui d’une dépense publique obèse mais de recettes faméliques en raison des cadeaux fiscaux accordés depuis 2017. Pire, au cœur des revendications du nébuleux mouvement « Bloquons tout », cette phrase, reprise par Jean-Luc Mélenchon : « Cette dette n’est pas la nôtre ». Une déresponsabilisation collective tellement douce à entendre.

« Ce contre-budget est une impasse »

Le contre-projet budgétaire présenté le dernier week-end d’août par le Parti socialiste est coulé dans ce ciment-là. Pas besoin de trouver 44 milliards, la moitié suffisent. D’autant que le PS entend prélever 26,9 milliards d’impôts et taxes nouvelles. Et tant pis si la pression fiscale est déjà la plus élevée du continent. Quant à la promesse de ramener le déficit sous le seuil des 3 % du PIB, elle est encore repoussée… à 2032. « Ce contre-budget est une impasse », avertit François Ecalle, fin spécialiste des finances publiques et fondateur du site Fipeco. « Le prix de l’inaction risque de coûter à l’économie française bien plus cher que les mesures de rétablissement du plan Bayrou », renchérit l’économiste et professeur au collège de France, Philippe Aghion.

En réalité, il ne faut pas piocher dans le lexique médical pour expliquer cette dérive mais dans celui de la magie, du mentalisme. De l’enfumage.

Le terrain de jeu préféré de ces prestidigitateurs du réel ? Les finances publiques, où les concepts arides sont noyés sous une pluie de milliards. Lors des dernières élections législatives, en juin 2024, près de 300 économistes signent une tribune dans Le Nouvel Obs pour défendre le programme du Nouveau Front populaire, un catalogue de mesures coûteuses et inapplicables. Au premier rang des soutiens, Eric Berr, professeur à l’université de Bordeaux et animateur du think tank La Boétie, machine à penser de LFI. On y retrouve aussi Thomas Piketty ou Gabriel Zucman, professeurs à Paris School of Economics. En coulisses, certains signataires reconnaissent que des mesures comme le blocage des prix sont économiquement contestables, mais qu’importe puisqu’il s’agit de faire de la politique. Et donc de convaincre l’opinion. En février 2021, à la sortie du Covid, dans une tribune publiée cette fois-ci dans Le Monde, les économistes Thomas Piketty, Gaël Giraud et Nicolas Dufrêne plaidaient, avec une centaine de condisciples, pour une annulation pure et simple d‘une partie des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne. Un simple jeu d’écriture, à les entendre.

Le succès de cette pensée magique réside en partie dans l’inculture économique du pays. « Beaucoup de Français ne maîtrisent pas les concepts de base », déplore l’économiste et maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille Pierre Bentata. La confusion entre chiffre d’affaires et rentabilité dans le débat public est encore courante. Il n’y a aucun problème qu’une augmentation d’impôts ou de taxes ne peut résoudre, à l’instar du vieillissement démographique ou du financement des retraites. La compétitivité est un vilain mot. L’actionnaire et ses fameux dividendes sont mal vus. Le marché est forcément déficient, la réussite suspecte. Sur ce terreau-là, Sandrine Rousseau peut allègrement affirmer qu’elle « n’en a rien à péter de la rentabilité de l’agrobusiness » ou l’économiste Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS, asséner sur la chaîne YouTube de Blast : « Les riches peuvent s’en aller, ils ne nous manqueront pas. » « Aux Etats-Unis dans toutes les facultés d’économie, le libéral français de la fin du XIXe siècle, Frédéric Bastiat, est enseigné. Quels étudiants français l’ont déjà lu ? », s’interroge Pierre Bentata.

« Enfumages économiques »

« Si les contre-vérités ont toujours existé, au tournant des années 2000, deux enfumages économiques vont connaître un succès retentissant : la fin du travail et la fin des usines », décortique l’économiste Christian Saint-Etienne. La France en paie toujours le prix. Dans un essai publié en 1995 et traduit en français deux ans plus tard, le britannique Jeremy Rifkin décrit un monde où le déclin mondial du travail deviendrait la norme pour cause de révolution Internet. Un paradis technologique qui impose de repenser la semaine de boulot. « Le succès de ce livre a été incroyable auprès d’une grande partie de l’élite française », reconnaît Bertrand Martinot, l’un des meilleurs spécialistes du chômage. Le bréviaire de Rifkin sert de livre de chevet à tous ceux qui plaident pour les 35 heures. La mode est alors au partage du travail, on met l’accent sur les préretraites.

« Le problème, c’est que la mise en place des lois Aubry en France en 2001 s’est faite à contre-courant, alors qu’on assistait à un affaissement des gains de productivité et que partout ailleurs, on arrêtait de diminuer la durée du travail », poursuit Bertrand Martinot. En Allemagne, dès 2003, les réformes Hartz mises en place par Gerhard Schröder assouplissent le marché de l’emploi, tandis que les 35 heures se transforment en autant de boulets aux pieds des industriels et des exportateurs tricolores. Pas très grave, pense-t-on alors, puisque l’industrie à la papa n’a plus d’avenir. Car au même moment, une autre contre-vérité fait fureur. Pour justifier le dépeçage d’Alcatel, son patron, Serge Tchuruk, défend le concept d’entreprise sans usine. La France se rêve sans fumée de cheminée. Là encore, l’élite et les médias vont applaudir, ne levant pas un sourcil face à la désindustrialisation massive qui désertifie des territoires entiers durant les décennies 2000 et 2010.

Vingt-cinq ans après, la France ne travaille collectivement plus assez et court après une hypothétique réindustrialisation. « On ne peut pas avoir les 35 heures, la retraite à 62 ans, la santé et l’éducation gratuites et le pouvoir d’achat des Suisses », conclut Bertrand Martinot. Nos créanciers et nos partenaires européens, eux, le savent.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-09-02 10:10:00

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