C’est resté l’un des secrets les mieux gardés de l’histoire de l’art : il n’y a pas eu un Vasarely artiste, mais deux. Quand Victor, le père de l’art optique et cinétique célébré à l’international, est entré dans la lumière, Claire, sa femme, a délibérément choisi l’obscurité. Aux yeux de tous, elle est devenue la muse, la gardienne, la compagne tout entière vouée à la promotion de l’œuvre de son mari. Elle a méthodiquement verrouillé l’accès à sa propre production pour endosser le rôle de superviseuse, dans lequel elle a d’ailleurs excellé.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après sa mort, une rétrospective lui est dédiée à la Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, le centre architectonique érigé par Victor entre 1971 et 1976, dont elle fut la discrète cheville ouvrière. Réalisée en partenariat avec le musée Vasarely de Pecs, en Hongrie, l’exposition exhume trente ans de création intense que la plupart d’entre nous ignoraient, jusqu’à la commissaire Valérie da Costa, qui n’a découvert ce foisonnant corpus qu’en se penchant sur le sujet il y a trois ans.
Claire Vasarely, « Lo-La », 1952. Tapisserie de laine d’Aubusson éditée par l’atelier Tabard Frères et Sœurs.
Elle se passionne pour la tapisserie
Klara Spinner et Gyozo Vasarhelyi se rencontrent en 1929 au Muhely, le pendant à Budapest du Bauhaus de Weimar. Elle a 20 ans, lui 23. A Paris, dès 1931, puis à Arcueil, à partir de 1935, Klara devenue Claire travaille intensément : graphiste publicitaire puis dessinatrice de motifs textiles pour les soieries de Lyon, elle peint aussi pour son compte des portraits. Contrainte de quitter la France pendant la guerre, elle est journaliste de mode à Budapest, colorant ses carnets de scènes de la vie hongroise et parisienne. De retour dans l’Hexagone, Claire Vasarely se passionne pour la tapisserie et initie une longue collaboration avec les ateliers Tabard d’Aubusson. Avant de tirer le rideau sur ses activités artistiques à la fin des années 1950. De cette diversité des techniques abordées au fil de ces trois décennies par l’artiste, demeurent heureusement nombre de travaux, qui révèlent un sens inouï de la couleur et une évidente perméabilité créative entre les deux époux. Elle fut ainsi l’inspiratrice des fameuses « filles-fleurs » de Victor Vasarely.
Claire Vasarely, « Autoportrait », 1934.
Tout cela n’a été que récemment mis au jour, tant Claire, de son vivant, s’est évertuée à étouffer ses aspirations pour servir celles de Victor. Même Pierre Vasarely, le petit-fils du couple et l’actuel directeur de la Fondation, n’en revient toujours pas. Enfant, adolescent puis jeune homme, il a maintes fois séjourné chez eux à Gordes ou à Annet-sur-Marne, sans rien soupçonner du passé artistique de « Bonzi », sa grand-mère. « Dans mes souvenirs, elle se tient toujours en retrait, dans l’ombre d’un mari qu’elle admirait et qui occupait seul le devant de la scène. Bonzi vivait pour lui, le déchargeant des tâches usantes du quotidien, le protégeant de tout ce qui aurait pu le détourner de son œuvre. »
Ce rôle en apparence ingrat a longtemps masqué l’influence réelle que Claire Vasarely, jeune femme immensément cultivée, eut sur le travail de son époux. Pierre, lui, n’en finit plus de méditer la singularité d’une telle abnégation : « L’effacement des femmes dans les couples d’artistes était certes un schéma courant à l’époque de mes grands-parents, mais la détermination avec laquelle Claire Spinner s’est appliquée à disparaître derrière Victor Vasarely est infiniment plus rare et le choix délibéré du sacrifice de sa personnalité me déconcerte encore aujourd’hui. »
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2025-09-02 08:00:00
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