L’Express

Le fiasco de cette mission américaine top secrète en Corée du Nord, qui aurait pu déclencher une guerre

Le fiasco de cette mission américaine top secrète en Corée du Nord, qui aurait pu déclencher une guerre

La meilleure équipe de SEALs au monde, des mini-sous-marins, un dispositif d’écoute inédit… Et un fiasco total, qui aurait pu déclencher une guerre nucléaire. « Je ne sais rien à ce sujet. C’est la première fois que j’en entends parler », a réagi publiquement Donald Trump vendredi 5 septembre, interrogé au sujet de cette mission top secrète des forces spéciales américaines en Corée du Nord remontant à 2019, révélée par le journal américain New York Times (NYT) le même jour. Cette opération, qui avait mal tourné, avait alors mené à la mort de plusieurs Nord-Coréens non armés.

Le journal, à l’origine de ce récit reconstitué grâce à une vingtaine d’entretiens avec des sources anonymes accréditées à très haut niveau, relate dans un article de 13 pages comment par une nuit de l’hiver 2019, un groupe de Navy Seal (les forces spéciales de la marine de guerre américaine) a accosté une côte rocheuse de Corée du Nord. « Ils étaient en mission top secrète, si complexe et si lourde de conséquences que tout aurait dû se dérouler parfaitement », résume l’auteur.

L’objectif américain : implanter un dispositif électronique qui permettrait aux États-Unis d’intercepter les communications du dictateur Nord-Coréen, Kim Jong-un, en pleines négociations sur le nucléaire avec le président américain Donald Trump. Une manière de combler un angle mort stratégique pour les Etats-Unis, qui avaient constaté au fil des années précédentes l’impossibilité de recruter des sources de renseignement au sein de l’appareil nord-coréen, ou d’intercepter des communications de l’État insulaire.

Alors que les décisions de Kim Jong-un et sa relation avec Donald Trump étaient devenues plus imprévisibles et dangereuses que jamais, comprendre la logique nord-coréenne apparaissait à cette période comme une priorité absolue pour le gouvernement Trump, en particulier durant ces négociations ultrasensibles. Si cette mission pouvait fournir aux Etats-Unis un avantage stratégique sans-précédent, la manœuvre, si elle était détectée, pouvait également résulter en une prise d’otage, voire en l’escalade d’un conflit avec un ennemi doté de l’arme nucléaire et hautement militarisé.

Selon l’illustre journal américain, très peu de personnes, hormis le président américain qui l’aurait approuvée lui-même malgré ses démentis, avaient jusqu’ici connaissance de cette mission. Car non seulement l’opération n’a jamais été publiquement reconnue ni évoquée par la Corée du Nord ou les Etats-Unis auparavant, mais « l’administration Trump n’a informé ni avant ni après la mission les principaux membres du Congrès qui supervisent les opérations de renseignement. Cette absence de notification pourrait constituer une violation de la loi », affirme le NYT.

Mini-sous-marins et commando d’élite

En 2018 pourtant, les relations entre les deux nations semblaient s’apaiser. La Corée du Nord venait de suspendre ses essais nucléaires et balistiques, et les deux pays avaient enfin entamé des négociations. Mais les intentions du dictateur restaient trop opaques insondables pour l’administration américaine. C’était sans compter sur l’ingénuité des agences de renseignement américaines, pour qui la solution était toute trouvée : installer un appareil électronique capable d’intercepter les communications directes de Kim Jong-un. Mais qui pour fonctionner, nécessitait d’être planté sur place par un agent américain. Le plan prévoyait donc l’entrée clandestine en Corée du Nord de deux petites équipes de SEALS via un sous-marin américain à propulsion nucléaire déployé en eaux territoriales nord-coréennes, puis à l’aide de deux mini-sous-marins silencieux de la taille d’une orque pour atteindre le rivage et la zone visée.

L’opération nécessitait les meilleurs. C’est donc l’escadron rouge de la SEAL Team 6, la même unité responsable de la mort d’Oussama ben Laden, qui fut choisie pour la mener. L’opération fut préparée durant des mois, mais les obstacles furent nombreux. Plus habitués aux raids éclair dans des pays comme l’Afghanistan et l’Irak, les SEALs devaient cette fois, avant même d’atteindre les terres nord-coréennes, survivre pendant près de deux heures immergés dans une eau à 4 °C grâce à des combinaisons de plongée chauffantes. Puis, le groupe de huit soldats largués près de la plage devait nager jusqu’à la plage, armés, se faufiler entre les forces de sécurité terrestres pour atteindre la cible, réaliser une installation technique précise de l’appareil et d’écoute, et enfin s’échapper sans être repérés.

Le tout sans aucune surveillance par drone de leur centre de commandement et aucune écoute déjà mise en place des militaires ennemis, et donc, quasiment à l’aveugle. « Les planificateurs de la mission avaient tenté de compenser l’absence de vidéo aérienne en direct en passant des mois à observer les allées et venues des habitants de la zone. Ils avaient étudié les habitudes de pêche et choisi une période où la circulation des bateaux serait faible. Les renseignements suggéraient que si les SEALs arrivaient silencieusement au bon endroit, au cœur de la nuit hivernale, ils auraient peu de chances de rencontrer qui que ce soit », raconte le NYT.

Un petit bateau dans l’obscurité

Ça, c’est ce qui était prévu, mais trois erreurs décisives se sont enchaînées. La première a eu lieu alors que les SEALs s’approchaient du rivage dans des eaux claires et peu profondes. Les deux mini sous-marins étaient censés se poser dans le fond de l’eau dans la même direction, mais l’un est allé trop loin et a dû faire demi-tour, se garant ainsi dans le sens opposé à l’autre. « Le temps étant compté, le groupe a décidé de libérer l’équipe à terre et de corriger le problème de stationnement plus tard », raconte le NYT.

Les SEALs, équipés d’armes intraçables, sont donc sorties et ont commencé à nager silencieusement. Malgré leurs lunettes de vision nocturne conçues pour détecter la chaleur, les membres de la Team 6 n’ont d’abord rien remarqué. C’est la deuxième erreur, car à quelques mètres de là, flottait dans l’obscurité un petit bateau nord-coréen, balayant l’eau à l’aide de torche pour scruter les environs.

Alors que les SEALs atteignaient le rivage, les pilotes des deux mini sous-marins en profitaient pour repositionner les appareils pour les orienter dans la même direction, comme il était convenu. Troisième erreur. Lors des débriefings menés après l’opération, certains SEALs ont spéculé que le sillage du moteur avait pu attirer l’attention du sous-marin nord-coréen. C’est à ce moment que les équipes à terre ont repéré l’embarcation nord-coréen, la voyant se diriger droit sur les deux sous-marins, où les pilotes attendaient le retour des commandos.

Les Nord-Coréens braquaient leurs lampes torches et parlaient comme s’ils avaient remarqué quelque chose. Sans aucun moyen de communication entre l’équipe à terre et les pilotes, impossible de les prévenir. Incapable d’identifier le bateau comme une embarcation de pêcheur ou un hors-bord militaire, le groupe à terre était confronté à un choix crucial, qui sauverait ou mettrait en péril le reste de cette mission ultrasensible. « Tandis que l’équipe à terre observait l’embarcation nord-coréenne dans l’eau, le chef de la mission ajusta son fusil sans un mot et tira. Les autres SEAL firent de même instinctivement », poursuit le NYT.

Plus le temps d’installer l’engin de surveillance : les forces de sécurité nord-coréennes pouvaient arriver à tout moment, et en les identifiant, faire remonter à leur hiérarchie une information capable de déclencher une guerre entre les Etats-Unis, et un adversaire disposant d’environ 8 000 pièces d’artillerie et de lance-roquettes pointés sur les quelque 28 000 soldats américains présents en Corée du Sud, ainsi que de missiles à capacité nucléaire pouvant atteindre les États-Unis. Le plan prévoyait donc qu’ils abandonnent immédiatement leur mission s’ils rencontraient le moindre obstacle.

Fin des négociations entre Pyongyang et Washington

L’équipe à terre décida de nager jusqu’au bateau pour s’assurer que tous ses passagers étaient morts. Ils n’y trouvèrent ni arme, ni uniforme, seulement quelques indices supposant que l’équipage, décimé à présent, devait être composé de civils pêchant des coquillages. Ils coulèrent les corps pour les dissimuler aux autorités nord-coréennes, avant de regagner à la nage les mini-sous-marins et de rejoindre le sous-marin nucléaire qui s’était approché pour les récupérer.

Si tous les militaires américains sont sortis indemnes de cette opération à haut risque, les satellites américains ont détecté immédiatement après la mission une recrudescence de l’activité militaire nord-coréenne dans la région, selon les déclarations issues de responsables américains auprès du New York Times. La Corée du Nord n’ayant jamais fait aucune déclaration publique à propos de ces décès, impossible de savoir si les Nord-Coréens ont pu reconstituer les faits et les responsabilités.

En 2019, Donald Trump a fait des avances personnelles à Kim Jong-un, poussant pour une avancée décisive des discussions. Mais ces négociations ont échoué et le programme nucléaire nord-coréen s’est accéléré. Le gouvernement américain estime que la Corée du Nord dispose désormais d’une cinquantaine d’armes nucléaires et du matériel pour en produire 40 autres, ainsi que de missiles capables d’atteindre la côte ouest des Etats-Unis. Kim Jong-un s’est engagé à poursuivre l’expansion « exponentielle » de son programme nucléaire afin de dissuader ce qu’il appelle « les provocations américaines ».

La première administration Trump n’a jamais informé les commissions parlementaires chargées de superviser les activités militaires et de renseignement de cette mission, ni avant, ni après, selon le New York Times. Des investigations militaires – classées top secret – sur l’opération ont conclu que les meurtres étaient justifiés et que son échec était lié à une succession d’événements malheureux qui n’auraient pas pu être prévus ou évités, précise le journal.



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/asie/le-fiasco-de-cette-mission-americaine-top-secrete-en-coree-du-nord-qui-aurait-pu-declencher-une-IUBVPEGIOZDOXHFHXLGNXRYEPM/

Author : Enola Richet

Publish date : 2025-09-06 11:47:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express