Mercredi 23 mai 1945. A l’extérieur de la citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan, le moment est poignant. Des soldats de la Wehrmacht prisonniers achèvent d’exhumer un à un les 69 corps découverts par les forces armées françaises cinq jours plus tôt. Abattus par une rafale de mitraillettes au cours de l’hiver et du printemps 1944 sur l’ordre du général Düvert, le chef des garnisons allemandes locales, ces jeunes résistants bretons – le plus vieux avait 25 ans – ont été retrouvés yeux bandés, membres liés par du fil de fer, entassés pêle-mêle dans trois fosses. Germaine Kanova mitraille la scène, puis immortalise policiers, médecins et familles qui procèdent aux premières identifications. Quelques heures plus tard, la photographe saisit les officiers allemands contraints de défiler devant les tranchées qui contenaient les cadavres, tandis que le chanoine Grill, l’aumônier divisionnaire, se recueille face aux cercueils fabriqués à la hâte pour accueillir dignement les dépouilles des suppliciés. Germaine l’ignore alors, en plus de constituer un témoignage exceptionnel sur la reddition de la Poche de Lorient, ses clichés feront office de preuves du charnier.
Quatre-vingts ans après l’exhumation des 69 fusillés, sur les lieux mêmes du massacre, la citadelle de Port-Louis (Morbihan), entité du musée national de la Marine, consacre une exposition à Germaine Kanova. Les commissaires Anne Belaud-de Saulce et Constance Lemans-Louvet y ont réuni une cinquantaine de clichés, dont nombre d’inédits révélés il y a peu, à l’instar de l’existence de cette pionnière de la photographie de guerre au féminin, dont les fils, complexes, laissent encore plusieurs zones d’ombre.
Des officiers allemands sont contraints de défiler devant le charnier de la citadelle de Port-Louis, photographie de Germaine Kanaova, 23 mai 1945.
Née Osttyn en 1902 dans un foyer modeste de Boulogne-sur-Mer, la fille de boulanger voit son destin basculer lorsqu’elle épouse, à 17 ans, un journaliste écossais avec lequel elle s’installe en Grande-Bretagne, ce qui lui vaut d’obtenir la nationalité franco-britannique. L’union, orageuse, ne dure pas, et c’est au côté de son deuxième époux, un Tchèque fortuné auprès duquel elle parcourt l’Europe, qu’elle se découvre une vocation pour la boîte noire. Dans son studio à Londres, Germaine photographie les célébrités de l’entre-deux-guerres : Romain Gary, Georges Bernard Shaw, Michèle Morgan… Elle participe aussi à la propagande de la France libre, jusqu’à tirer le portrait du général de Gaulle.
En novembre 1944, celle que ses amis qualifient « d’esprit libre et aventureux » s’engage au Service cinématographique des armées (SCA, futur Ecpad), où elle côtoie une autre recrue, Germaine Gros, la sœur de JJSS, le fondateur de L’Express. Front Atlantique, Alsace, Allemagne : Germaine Kanova prend des milliers de clichés, captant à tout va ce qu’elle saisit du conflit et des forces en présence. Le 13 avril 1945, elle est appelée outre-Rhin pour documenter la libération du camp de concentration de Vaihingen. Ses images, qui feront le tour du monde, témoignent sans fard des conditions de vie des déportés. Ce reportage, comme celui un mois après à la citadelle Port-Louis, la marque durablement. Elle quitte le SCA en septembre.
On perd ensuite sa trace, avant de la retrouver photographe de plateau pour la Nouvelle Vague, un univers qu’elle quitte à la fin des années 1950 pour prendre la gérance d’un troquet-cinéma en Bourgogne. L’âge venant, elle bourlingue sur la Côte d’Azur et, le 27 janvier 1975, la Lee Miller française s’éteint, clope au bec, dans son petit appartement d’Antibes avec vue sur la grande bleue. Libre et aventureuse, jusqu’au bout.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2025-09-06 08:00:00
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