La scène semble tirée d’un roman dystopique. En ce 3 septembre, trois dictateurs dotés de l’arme nucléaire marchent d’un même pas vers le balcon de la Cité interdite. A quelques minutes du coup d’envoi d’un immense défilé militaire en forme d’avertissement à Donald Trump, sur la place Tiananmen, au cœur de Pékin, le Chinois Xi Jinping, le Russe Vladimir Poutine et le Nord-Coréen Kim Jong-un paraissent d’excellente humeur.
« – Autrefois, les gens vivaient rarement jusqu’à 70 ans, mais aujourd’hui, à 70 ans, on est encore un enfant, lance Xi à Poutine, devant les caméras.
– Grâce aux progrès de la biotechnologie, les organes humains peuvent être transplantés à l’infini et les gens, vivre de plus en plus longtemps, voire atteindre l’immortalité, rebondit le Russe, âgé de 72 ans, comme son interlocuteur. »
Tout est dit. Au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle et affranchi de toute réelle échéance électorale, Poutine est persuadé qu’il va gagner la bataille du temps face à des dirigeants occidentaux éphémères – il a déjà eu affaire à cinq présidents américains. Lui qui a commencé la guerre d’Ukraine il y a onze ans en soutenant les séparatistes pro-russes du Donbass, compte l’emporter à l’usure, et tant pis s’il met onze années supplémentaires. N’a-t-il pas signé une loi qui l’autorise à rester au pouvoir jusqu’en 2036 ?
Pour l’instant, force est de constater qu’il mène le jeu. Malgré les menaces de Trump, jamais suivies d’effets à ce jour, les Russes continuent de pilonner l’Ukraine – ils ont lancé plus de 800 drones et 13 missiles dans la nuit du 6 septembre, un record, et touché pour la première fois le siège du gouvernement à Kiev. Ce qui n’empêche pas Poutine d’affirmer qu’il est prêt à négocier, mais que le processus est bloqué par les Européens. Un stratagème pour éviter que Trump ne déclenche des sanctions. Et gagner encore du temps.
Maître du temps
Jusqu’ici, il s’est montré maître en la matière. Après leur rencontre à Anchorage (Alaska) à la mi-août, le « président Maga » se voulait optimiste, face à des dirigeants européens venus épauler Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche. Il promettait une rencontre prochaine entre les présidents russe et ukrainien. À l’en croire, la résolution du conflit était en bonne voie car Poutine voulait un « deal ». Que s’est-il passé depuis ? Rien. Sinon des milliers de nouveaux morts en Ukraine.
En quelques semaines, Poutine s’est donné des marges de manœuvre. Prouesse diplomatique, les deux dirigeants les plus puissants de la planète lui ont littéralement déroulé le tapis rouge. En Alaska, Donald Trump, à qui il a imposé l’idée qu’un cessez-le-feu n’était nullement un préalable aux discussions de paix, lui a offert une légitimité inespérée en l’applaudissant comme un héros. Loin de se montrer plus conciliant, le chef du Kremlin s’est empressé de le narguer en s’affichant aux côtés de Xi, avec lequel il a signé un accord pour la construction d’un second gazoduc géant entre la Sibérie et la Chine ; tout en mettant en scène sa proximité avec le Premier ministre indien Narendra Modi. Isolé, Poutine ? Plus vraiment.
« Agitation vaine »
Malgré l’attitude martiale d’Emmanuel Macron, les Européens peinent à trouver la parade. Certes, la Coalition des volontaires a fièrement annoncé le 4 septembre s’être mise d’accord sur les garanties de sécurité à l’Ukraine. « Mais à Moscou, on considère cette agitation diplomatique comme vaine, purement politique et rhétorique, sans aucune chance d’aboutir », résume Tatiana Stanovaïa, fondatrice du cabinet d’analyse R. Politik. Quelques milliers d’hommes en plus sur le terrain ne changeront pas la donne. Surtout, ces garanties ne seraient déployées qu’une fois réunies deux conditions : un cessez-le-feu et un solide soutien américain. On en est loin. « Poutine sait très bien que les Européens n’entreront jamais en guerre contre lui », tranche la politologue. Qu’importe, il leur a rappelé une ligne rouge : tout soldat européen envoyé en Ukraine deviendrait une cible.
Menacer l’adversaire, exiger toujours plus sans jamais rien céder. La méthode, héritée de l’URSS, a beau être connue – les ministres des Affaires étrangères Molotov, puis Gromyko, la maîtrisaient à merveille -, elle fonctionne toujours. Récemment, on a pu apercevoir dans une vidéo le chef d’état-major russe Valeri Guerassimov s’adresser à ses généraux. Derrière lui, une carte de l’Ukraine indiquait les objectifs de guerre – Odessa, Kherson et Kharkiv -, qui échappent encore à son emprise. Un message clair envoyé aux Occidentaux : « Cédez à nos exigences (annexion totale du Donbass, démilitarisation de l’Ukraine) ou nous irons encore plus loin. »
Sauf qu’après trois ans et demi de guerre, l’armée russe est toujours embourbée. En août, elle a progressé de 5 kilomètres carrés… mais en a perdu cinq fois plus à un autre endroit du front, selon les Ukrainiens. En bon joueur de poker, Poutine fait croire à ses adversaires qu’il a une « bonne main ». Dans les faits, son armée perd 1 500 soldats par jour, d’après des sources militaires, et son économie envoie des signaux inquiétants, surtout depuis que les Ukrainiens ciblent les raffineries d’essence. Mais quelle importance quand on peut étouffer toute contestation ? « Aux yeux de Poutine, l’état de l’économie et la fatigue de la société russe ne constituent pas des obstacles, souligne Tatiana Kastouéva-Jean, de l’Institut français des relations internationales. D’autant que Moscou continue à vendre son pétrole et son gaz, y compris à l’Europe. »
Encore faut-il que Donald Trump, qui se dit « très déçu » par l’attitude du chef du Kremlin, ne brise pas son élan. En réalité, Poutine évolue sur une ligne de crête, en menant trois objectifs de front : diviser les Européens, briser le moral des Ukrainiens et, surtout, détacher les Etats-Unis de Kiev, en essayant de dissuader les Américains d’apporter des garanties de sécurité, même limitées, aux Ukrainiens, comme le partage de renseignements ou des systèmes de défense antimissiles.
« Made in KGB »
Pour cela, Poutine utilise deux méthodes « made in KGB » : flatter l’ego surdimensionné de Trump – que les Russes ont identifié dès les années 1980 – et lui promettre de juteux contrats. « Poutine reprend une recette léniniste : l’utilisation de l’instrument économique pour atteindre des buts politiques, en premier lieu casser le front uni des impérialistes (aujourd’hui « l’Occident collectif »), analyse l’historienne Françoise Thom. En mai 1918, Lénine fait miroiter aux Américains des concessions en Sibérie orientale, laissant entendre que les Etats-Unis remplaceraient le Reich comme partenaire économique de Moscou. Les Bolcheviks veulent alors inciter les Américains à se détacher de l’Entente (comprenant notamment la France et le Royaume-Uni). » Et la chercheuse d’ajouter : « Aujourd’hui, les négociations entre Steve Witkoff (l’envoyé spécial de Trump) et Kirill Dmitriev (directeur du fonds souverain russe) sont un calque de ce procédé, la Russie faisant miroiter à Trump une participation dans le commerce du gaz russe en échange de l’abandon de l’Ukraine. »
De quel côté le président américain va-t-il pencher ? « Beaucoup d’observateurs spéculent sur la manière dont Poutine manipule Trump. La réalité est plus compliquée : Trump défend ainsi le principe selon lequel l’Ukraine doit conserver son armée, à l’opposé des exigences de Moscou », note la politologue Tatiana Stanovaïa.
S’il se retire du jeu, les Européens seront confrontés à un choix cornélien : soit une paix indigne incluant de trop lourdes concessions ukrainiennes (avec le risque que le conflit redémarre) ; soit une guerre longue qu’ils ne pourront soutenir qu’un temps. A eux de convaincre les Américains d’infliger une nouvelle salve de sanctions à la Russie. Le monde comprendrait alors que Poutine n’est pas aussi fort qu’il veut le faire croire.
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Author : Charles Haquet, Cyrille Pluyette
Publish date : 2025-09-09 16:00:00
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