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Maladie d’Alzheimer : et si c’était à cause des virus ?

Maladie d’Alzheimer : et si c’était à cause des virus ?

Bien sûr, le doute est permis, il l’est toujours quand il s’agit de travaux scientifiques. Mais plus il pense à ses recherches sur la maladie d’Alzheimer, plus Pascal Geldsetzer frémit, enthousiaste. Celles-ci ont pris une tournure inattendue, quand, en épluchant les registres de santé de différents pays, ce chercheur à l’université de Stanford (Etats-Unis) a découvert d’étonnants liens, chez certains patients. Des observations qui, très vite, ont attiré l’attention des autres spécialistes.

Grâce à ses calculs, cet épidémiologiste réputé a remarqué que les personnes âgées qui n’étaient pas atteintes présentaient un point commun : une grande partie avait été vaccinée contre la varicelle quelques années après leur retraite. Un élément peu étayé jusqu’à présent, et dont le chercheur s’est aperçu en se plongeant dans les biobanques galloises et australiennes, de gigantesques bases de données de santé, récemment ouvertes à l’analyse.

La trouvaille a son importance : chez les personnes immunisées, les cas de dégénérescence (d’Alzheimer) se sont révélés jusqu’à 20 % moins fréquents. Un chiffre bien trop grand pour être le fruit du hasard, assure l’expert. Depuis avril, date à laquelle il a publié ses analyses dans les prestigieuses revues scientifiques Nature et JAMA, il ne peut s’empêcher d’y voir une véritable avancée dans la compréhension de la pathologie.

Vaccin, virus et Alzheimer

L’expert est loin d’être le seul à faire preuve d’autant d’optimisme : comme lui, les scientifiques sont de plus en plus nombreux à penser que certains vaccins pourraient devenir une nouvelle arme contre la maladie d’Alzheimer, ou qu’à l’inverse, lutter contre certains virus permettrait de diminuer les risques. Un nouveau souffle bienvenu, alors que les médicaments ne permettent toujours pas d’endiguer cette pathologie, qui fait chaque année plus de 290 000 cas supplémentaires en France.

En février 2024, un groupe de l’université d’Oxford avait trouvé des courbes similaires, sur des vaccinés américains. Sans pouvoir s’expliquer de telles associations statistiques : « C’est peut-être le fait de ne pas être infecté par ces virus ou de l’être moins souvent qui fait la différence », avance, prudent, Jean-Charles Lambert, directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Lille. « Il pourrait aussi s’agir de la réaction immunitaire générale suscitée par les vaccins. Celle-ci peut aider l’organisme dans certains processus de réparation », complète à son tour Benoît Delatour, neurologue à l’Institut du cerveau.

Reste que ces nouveaux éléments semblent robustes, et convergent dans un même sens. Tout comme certaines observations faites en laboratoire, ils laissent penser que, parfois, les virus et les bactéries « favorisent » la survenue de la démence. Une hypothèse connue de longue date, mais qui n’avait jamais été très populaire dans la communauté scientifique, faute d’être considérée comme assez étayée, ou à même de déboucher sur de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Des preuves plus solides qu’avant

Les travaux comme ceux de Pascal Geldsetzer semblent changer la donne : « Les scientifiques s’accordent désormais à dire que comprendre ces mécanismes pourrait avoir de grandes conséquences sur notre capacité à prévenir et traiter la maladie. A terme, on pourrait par exemple rechercher des traces d’infections pour adapter la prise en charge des malades, ou imaginer des nouveaux médicaments basés sur ces recherches », résume Elsa Suberbielle, spécialiste de ces sujets à l’Institut toulousain des maladies infectieuses, dont les travaux ont été financés de 2020 à 2024 par la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM).

Depuis la découverte de fragments de virus dans la cervelle endommagée des malades d’Alzheimer, il y a plusieurs dizaines d’années, quelques scientifiques avaient émis l’idée que les virus pouvaient interagir avec ce qui provoque la démence, sans vraiment convaincre autour d’eux. « Que des fragments de virus soient présents ne veut pas dire qu’ils jouent un rôle, pas plus qu’on retrouve une plus grande proportion de cas chez certains types de patients, car ce ne sont que des corrélations », résume Nicolas Villain, chercheur à l’Institut du cerveau.

Parmi les éléments bloquants figurait notamment le risque d’une mauvaise interprétation, particulièrement grand quand on parle d’études statistiques par exemple. « Avec ce type de données, il est facile de trouver des liens avec plein d’affection, c’est le cas avec le stress, le diabète, ou encore l’oxydation et bien d’autres. Mais qu’est-ce qui agit, exactement ? On ne peut pas exclure que ces éléments soient des facteurs connexes. Ils pourraient être présents en même temps que la maladie, mais ne pas intervenir directement dans ses processus », poursuit le spécialiste, autrefois sceptique, et désormais emballé.

Au cœur du lien, l’inflammation

La méthodologie employée par Pascal Geldsetzer change la donne. Particulièrement inventif, le scientifique s’est penché sur des campagnes de vaccination très spécifiques, de quoi fournir des observations bien plus solides que les données disponibles jusque-là : « Dans les pays étudiés, un âge limite a été fixé pour pouvoir prétendre au vaccin. Si bien qu’on s’est retrouvé avec des personnes qui ont pour seul critère distinctif leur date de naissance et le fait d’avoir ou de ne pas avoir été vaccinés », résume le spécialiste.

Le chercheur n’est pas le seul à explorer cette voie. Depuis quelques années, les preuves s’accumulent pour dire que la plaque amyloïde, cet agrégat qui, s’il est trop présent dans le cerveau, semble causer la maladie, a un rôle antiviral et antimicrobien. C’est notamment ce que montre une étude publiée dans la revue PLOS One en mars 2010. Par ailleurs, des expériences sur la souris ont également montré que le cerveau se mettait à produire une bien plus grande quantité de peptides amyloïde lors de certaines infections.

Ces études dites « mécanistiques », permettent de dresser un scénario type pour expliquer la survenue de la maladie. Pour se protéger contre les agressions et les dysfonctionnements, le cerveau se mettrait à produire des peptides amyloïdes en excès, qui vont alors s’accumuler et former ces fameuses « plaques ». Chez certaines personnes, ce fonctionnement pourrait s’emballer, et générer une surabondance toxique. Les virus, surtout ceux qui passent la barrière encéphalique et se nichent dans le cerveau, comme ceux de la varicelle ou de l’herpès, pourraient être la cause de cet emballement, tout comme l’inflammation, le mode de vie, le stress, ou encore la génétique.

Surveiller les virus jugés anodins

Si les chercheurs ne connaissent pas encore toutes les pièces de ce puzzle éminemment complexe, et ignorent la pondération de ces différents processus, de plus en plus d’études tendent à confirmer ce grand récit explicatif. Même si ces données sont moins robustes que celles de Pascal Geldsetzer, en 2018, une équipe taïwanaise a par exemple pu observer qu’avoir bénéficié d’un traitement contre l’herpès était associé à un risque réduit de développer une démence.

Motivés par ces résultats en cascade, en 2023, des chercheurs américains de l’Institut du vieillissement de Bethesda (National Institut on Aging) ont tenté de compiler tous les liens statistiques possibles entre virus, bactéries et dégénérescence. Publiés dans la revue Neuron, leurs travaux montrent qu’au moins 22 agents pathogènes différents pourraient être à risque. Parmi eux, les virus de la méningite, de la grippe, de certaines pneumonies, hépatites ou varioles, ou encore le virus d’Epstein-barr.

Plus récemment, des études ont également montré que les personnes atteintes du Covid-19, étaient plus souvent sujettes à des décompensations rapides de la maladie d’Alzheimer. Autant d’études qui font désormais de la piste des virus, autrefois un sentier escarpé, un boulevard sur lequel de plus en plus de scientifiques veulent s’engouffrer. Ces explorations montrent aussi que, même si attraper la grippe ou la variole ne « donne » pas Alzheimer – les liens sont plus tenus que cela – certaines infections considérées comme bénignes peuvent s’avérer plus néfastes qu’on le pense.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-09-14 10:00:00

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