Ce lundi 15 septembre, Santé publique France présentait les résultats de PestiRiv, la première étude d’ampleur sur l’exposition aux pesticides des riverains des cultures viticoles, considérées comme les plus consommatrices en la matière. Très attendue, l’étude confirme les craintes des opposants aux intrants chimiques : à cause du vent et des pluies, il arrive bien souvent que les épandages « dérivent » en dehors des cultures et qu’une partie des rejets finisse sur les tomates du jardin d’en face, ou, pire, au beau milieu de la table à manger.
Ces données, obtenues grâce à des relevés sur 256 zones en France, chez plusieurs milliers de personnes, font dire à l’agence de santé publique que les habitants à proximité sont « surexposés » à ces résidus par rapport à ceux qui vivent ailleurs, en ville ou en montagne. Selon les substances, ce différentiel peut-être important : la concentration de certaines molécules dans l’air peut s’avérer jusqu’à 45 fois plus forte dans les habitations à moins de 500 mètres des parcelles.
Des résultats à première vue impressionnants, mais qui pourtant ne semblent pas faire sourciller les représentants de l’agence. Pour Caroline Semaille, la directrice générale de Santé publique France, les « circonstances » ne sont pas réunies pour sonner « l’alerte », pas plus qu’il n’y a un « problème d’imprégnation » dans l’Hexagone. Même son de cloche du côté de l’Anses, le gendarme de l’alimentation, également impliqué dans l’étude.
Aucun « risque » lié à la surexposition des riverains n’est « avéré »
Pour expliquer cette analyse, les autorités indiquent notamment que cette étude n’avait pas vocation à tester la toxicité des rejets, un sujet bien plus complexe, et qui, selon elles, mériterait d’être examiné à part, ultérieurement. De fait, donc, il n’est pas possible de dire si ces différences d’expositions ont un effet sur le risque de développer certaines maladies, comme les cancers, ou les maladies infantiles, par exemple. Une réponse qui laissera certains sur leur faim, alors que de nombreuses études ont montré d’importants risques en cas de concentration trop forte dans l’organisme. Mais en extrapolant certaines mesures, puis en les comparant aux seuils fixés par l’Efsa, l’autorité européenne de l’alimentation, Santé publique France s’est rendu compte qu’aucun seuil réglementaire n’était dépassé.
Autrement dit, les résultats de l’étude collent avec les essais cliniques demandés par les autorités avant la mise sur le marché des différentes molécules. Les quantités de pesticides recensées correspondent à ce qu’il est considéré comme acceptable de retrouver, tout en écartant les risques de toxicité. De quoi faire dire à Santé publique France, qu’à ce stade, aucun « risque » lié à la surexposition des riverains n’est « avéré ». Et ce, d’autant plus que les seuils fixés par l’Efsa sont particulièrement bas, de façon à écarter les doutes.
Contrairement à cette idée d’une agriculture qui arrose massivement ses vignes mais aussi ses voisins de produits toxiques, la viticulture semble donc plutôt bonne élève. Ce qui a même étonné le représentant de la filière Thiébault Huber, porte-parole du Comité national des interprofessions du vin. « On est un peu surpris, vous comprenez, l’étude a coûté 11 millions d’euros. Avec autant d’argent investi, on s’attendait à ce que les scientifiques nous trouvent des problèmes sanitaires », souligne cet agriculteur, qui, de son côté, a choisi la production biologique.
Une relative bonne nouvelle qui s’explique en partie par les efforts de la filière pour se verdir ces dernières années, explique le professionnel : « Ces dernières années, on a beaucoup travaillé sur le matériel utilisé pour éviter que les rejets débordent. Désormais, les agriculteurs doivent installer des buses qui permettent de contenir les effusions. Et dès que le vent souffle à plus de 19 kilomètres par heure, on arrête tout », détaille l’agriculteur.
Si lui aussi considère que l’étude pestiRiv n’est pas alarmante, Thiébault Huber reconnaît tout de même que des améliorations sont possibles. « Il y a beaucoup d’outils mécaniques qui se développent pour réduire les pertes de liquide. Le frein, c’est le prix. Une pulvérisation traditionnelle, c’est 30 000 euros, si on confine avec des panneaux récupérateurs on passe à 75 000 euros de frais. Pour que toute l’agriculture s’y mette, on n’aurait pas d’autres choix qu’un plan d’aide », poursuit le représentant.
Plusieurs zones d’ombre
Si Santé publique France ne se déclare pas inquiète, elle appelle toutefois à la plus grande précaution, et encourage à s’en tenir au strict minimum nécessaire. L’agence appelle à une application ambitieuse d’Ecophyto 2030, cette stratégie qui visait à réduire les épandages, mais qui a été freinée par la mobilisation des agriculteurs et le vote de la loi Duplomb. De fait, plusieurs zones d’ombre persistent. L’étude montre que les plus jeunes sont très exposés, parfois bien plus que les adultes, en raison de leur proportion à toucher les surfaces et à mettre des objets à la bouche. Or elle ne dit rien des imprégnations chez les nourrissons, potentiellement plus sensibles. Aussi, les analyses ont été faites dans six régions, sur 2021 et 2022, ce qui n’exclut pas que la situation soit moins favorable ailleurs.
Qui plus est, les pesticides ne sont pas les seuls polluants. D’autres pourraient intervenir, et déclencher le tant redouté effet cocktail, sur lequel la littérature scientifique n’est pas très conclusive. Autant d’éléments, qui conjugués aux risques sanitaires que font peser les pesticides à de grandes doses, laissent sceptique les opposants aux intrants chimiques : « On parle de millions de personnes qui sont exposées à des taux plus élevés que les autres, or une partie de ces substances ont été interdites ou sont suspectées d’être cancérigènes. On voit quand même certains cas de cancers chez les enfants par exemple dans ces zones, donc ce n’est pas rassurant », résume François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, une des associations qui demandaient plus de données en la matière.
Autre regret de l’étude : si les agriculteurs doivent tenir des registres des achats et des épandages, jusqu’à présent ils n’étaient pas centralisés. Certaines déclarations sont encore faites sur papier. Pour les récupérer, il faudrait toquer à la porte des agriculteurs, ce qui n’est pas possible, même dans une étude scientifique de grande ampleur, au vu des frais et du temps qu’il faudrait y consacrer. Sur ce volet-là, les choses devraient évoluer : dès 2026, les agriculteurs auront l’obligation de faire leurs déclarations en ligne. Ce qui n’empêchera pas les fraudes, mais pourrait permettre d’alimenter plus finement les prochaines études sur le sujet. Santé publique France le souligne : tout n’a pas encore été dit. En attendant, l’agence a tenu à prodiguer quelques conseils aux riverains les plus exposés, de façon à écarter tout risque supplémentaire. Elle propose notamment d’élargir les concertations avec les agriculteurs, pour savoir à quel moment les épandages sont faits, et adapter ses habitudes. Se déchausser chez soi, nettoyer le sol, sécher le linge à l’intérieur, peut aider, dit-elle.
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Author : Antoine Beau
Publish date : 2025-09-15 18:18:00
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