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Nicolas Dufourcq (Bpifrance) : « L’alliance de Mistral et ASML, c’est notre bataille de Bir Hakeim »

Nicolas Dufourcq (Bpifrance) : « L’alliance de Mistral et ASML, c’est notre bataille de Bir Hakeim »

« C’était le meilleur et le pire des temps. » La formule de Charles Dickens résonne étrangement avec l’état de la French Tech cet automne. L’alliance surprise d’ASML avec Mistral est ce qui pouvait arriver de mieux à cet écosystème. Mais la « start-up nation » évolue sur un terrain politique inflammable, en France comme à l’international. Au milieu du brouillard, l’incisif patron de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, ferraille contre l’enfumage ambiant et pousse les entrepreneurs à faire front.

Le coup magistral de Mistral

« C’est notre bataille de Bir Hakeim », plaisante-t-il. La veille de notre entretien, le géant néerlandais des machines servant à fabriquer les semi-conducteurs, ASML, annonçait un investissement massif dans la start-up française Mistral AI. En versant 1,3 milliard d’euros, il en est devenu le premier actionnaire (11 %). « Une excellente nouvelle car c’est en s’intégrant verticalement sur de l’infrastructure que les créateurs de grands modèles de langage, tels que Mistral, peuvent bâtir un modèle économique pérenne », explique Nicolas Dufourcq.

Actionnaire de la pépite tricolore, Bpifrance finance d’ailleurs son projet de construire le plus grand campus IA d’Europe. « Avoir deux parrains industriels du poids d’ASML et de Nvidia, ainsi que le soutien énergique du géant allemand des logiciels d’entreprise SAP présage d’un bel avenir pour Mistral », salue Nicolas Dufourcq. Le récent tour de table – 1,7 milliard d’euros en tout – qui a transformé l’entreprise en décacorne éloigne fortement le risque qu’un Américain s’empare du champion français.

Le décrochage technologique du Vieux Continent

« L’Europe sous-estime le coup de vieux qu’elle a pris. Cela ne touche pas que la France. La Pologne perd également des habitants. Il faut impérativement aider nos jeunes entreprises dynamiques qui ont l’envie de nous replacer dans la course mondiale. Pas les freiner avec une « taxe Zucman ». Et nous devons nous unir. Tout le monde doit travailler avec Mistral, qui est l’une des plus belles chances de l’Europe. C’est le message que nous faisons passer à tous les patrons de l’UE. Il faut que cette start-up atteigne très vite 500 millions d’euros de revenus. Sinon, nous serons de nouveau distancés technologiquement par les Américains. »

Le diagnostic et les recommandations du rapport Draghi n’ont, hélas, pour l‘heure guère mis Bruxelles en action. « Tout semble bloqué, hormis peut-être l’idée d’une union des marchés de capitaux. Mais le vrai problème est que les family offices et les grands fonds européens n’investissent pas assez dans l’innovation. Tant qu’on ne change pas ces comportements, à quoi bon créer un immense terrain de jeu, sans clôture, chaluté par les investisseurs américains ? »

La baisse des levées de fonds

La « start-up nation » ne voit plus la vie en rose. Les pépites françaises n’ont levé que 2,8 milliards d’euros au premier semestre 2025, soit une chute de 35 % en valeur et 24 % en volume comparé à l’an denier, selon le baromètre de France Digitale. Le résultat des tensions géopolitiques ? « En réalité, c’est plutôt la conséquence du faible nombre d’exit (NLDR : les rachats ou les entrées en Bourse). Beaucoup de start-up ont été irrationnellement valorisées, notamment dans le web3. C’est une bulle qui nous vient, comme souvent des Etats-Unis. Les investisseurs doivent se résigner à l’idée que leurs poulains valent beaucoup moins que prévu. Mais tout cela va se résoudre », estime Nicolas Dufourcq, qui admet l’existence d’un phénomène similaire autour de l’IA. Cette technologie a un immense potentiel, convient-il, « mais comme souvent, les Américains sont en train de créer une bulle dans l’intelligence artificielle. Leur système a l’avantage de cicatriser plus vite que le nôtre. Donc, avançons nos pions avec intelligence, et faisons travailler les capitaux d’autres pays. »

Les entrepreneurs, soldats du réel

A l’heure où les Etats-Unis se complaisent dans les faits alternatifs, où les Européens rechignent à admettre et s’attaquer à leurs fragilités, la vérité est une espèce menacée. C’est à ce thème brûlant que Bpifrance consacre le Big 2025, sa grand-messe annuelle dont L’Express est partenaire. Sébastien Bazin, Hubert Védrine, Laura Chaubard, Slawomir Krupa, Elsa Zylberstein, Serge Papin… Des personnalités de tout bord se succéderont le 23 septembre à l’Accor Arena de Bercy. « Les entrepreneurs sont les professionnels du réel. Ils sont la solution à nos problèmes, assure Nicolas Dufourcq. Parce qu’ils ont le bon équilibre : le grain de folie dans la tête et le tableau Excel vissé au front. »



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Author : Anne Cagan

Publish date : 2025-09-17 06:00:00

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