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« Je n’en pouvais plus d’être enfermé dans un bureau » : ces Français qui changent de métier à tout âge

« Je n’en pouvais plus d’être enfermé dans un bureau » : ces Français qui changent de métier à tout âge


Il était directeur général de Compass Group ? Le voilà… boulanger. Après quinze ans passés dans de grandes entreprises, Pierre-Antoine Gallet, 39 ans, a radicalement changé de vie et de métier en 2024. « Je voulais entreprendre dans un secteur qui me passionne depuis longtemps », explique l’ancien dirigeant, aujourd’hui à la tête de deux boulangeries Feuillette, près de Bordeaux. Son cas n’a rien d’isolé. D’après une étude du Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Cereq), deux millions d’actifs se sont reconvertis au cours des cinq dernières années. Et le phénomène, attisé par la crise du Covid, ne faiblit pas : 84 % des Français considèrent désormais la reconversion comme une étape normale d’un parcours professionnel (1).

Finies donc, les carrières linéaires. La mobilité est vue comme une nouvelle norme et un moyen d’anticiper les ruptures de façon durable. « Le monde du travail ne correspond plus aux valeurs attendues. La quantité a pris le pas sur la qualité et les salariés sont confrontés à l’usure et à des conditions d’exercice difficiles. Aujourd’hui, seulement 30 % du temps de travail est consacré au cœur de métier, le reste étant affecté à des tâches périphériques, notamment administratives », analyse Jean-Denis Culié, professeur en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie et coauteur d’une étude intitulée « La Grande Démission », parue dans l’European Management Journal.

Ces évolutions incitent bon nombre de salariés à changer de cap. Ont-ils vraiment le choix quand, d’après l’OCDE, une compétence technique ne dure pas plus de deux ans contre… trente ans en 1987 ? Ce manque de visibilité invite à agir. « En Ile-de-France, nous avons financé 5 080 projets de transition professionnelle (PTP) en 2024 et observé une progression de 2 points des dépôts de dossiers chez les cadres », indique Anaïs Deleuil, directrice adjointe des partenariats et du développement chez Transitions Pro Ile-de-France. Ces chiffres devraient s’accentuer dans les décennies à venir puisque, d’après l’Insee, les jeunes qui entrent sur le marché du travail changeront 13 à 15 fois d’emploi d’ici à 2050. En cause, notamment : l’intelligence artificielle, qui va créer de nouveaux métiers et nécessiter de nouvelles compétences.

Désormais perçue comme un levier stratégique pour évoluer, la reconversion s’inscrit également dans une logique plus individuelle. Rejet du salariat, développement personnel, équilibre de vie… La quête de sens fait partie des principales motivations des Français désireux de changer d’emploi. « Je n’en pouvais plus d’être enfermé dans mon bureau, loin du terrain et de la réalité. J’avais besoin de renouer avec la vraie vie et de trouver une activité avec un résultat visible et concret », explique Damien Estève. Après un bilan de compétences, cet ancien ingénieur territorial a repris à 46 ans un commerce de restauration rapide à Ancenis (Loire-Atlantique) en juillet dernier.

Si l’entrepreneuriat fait partie des options envisageables, d’autres voies existent. « On peut changer de statut et d’activité en restant dans son entreprise, via des plans de mobilité interne ou des programmes de montée en compétences. Il est également possible de se former à un autre métier et de se faire recruter par un nouvel employeur », énumère Jean-Denis Culié de l’EM Normandie, qui observe un changement de profils chez les personnes en reconversion. « Aujourd’hui, ce phénomène concerne tous les âges, et pas seulement les cadres atteignant la quarantaine. Les jeunes, au bout de quelques années, ont souvent des désillusions. Quant aux seniors, avec la réforme des retraites, ils sont également nombreux à opérer des changements pour leur fin de carrière ». Une tendance confirmée par Transition Pro dont L’Express a obtenu en avant-première les résultats du prochain baromètre, à paraître en octobre. Avec une tendance nette : « L’année dernière, les dépôts de dossiers des plus de 50 ans ont augmenté de trois points », révèle Anaïs Deleuil.

Santé et artisanat sur le podium

Les secteurs les plus demandés sont, dans cet ordre, la santé (aide-soignant, auxiliaire de vie…), l’informatique/numérique, le conseil/gestion, le travail social et le transport/logistique. « La forte progression de la santé (+ 12 points depuis 2021) traduit une aspiration forte vers le sens, l’utilité sociale et la relation humaine », constate Anaïs Deleuil. Ainsi qu’un alignement sur les besoins croissants de la population.

Les métiers manuels de l’artisanat ont aussi la cote. D’après un sondage réalisé par OpinionWay (2), 37 % des salariés français aimeraient se réorienter vers les métiers « de la main ». Une tendance que l’on observe notamment chez les jeunes. Pierre, 25 ans, ancien salarié dans l’électroménager, s’est ainsi tourné vers la plomberie et le débouchage des canalisations. « L’activité est physique, mais on gagne bien sa vie. Et il y a peu de risque d’être menacé par l’intelligence artificielle », plaisante-t-il.

De nombreux dispositifs à disposition

Les passerelles favorisant les reconversions sont nombreuses. Les salariés du secteur privé en cours de CDI ou CDD peuvent sous conditions réaliser un projet de transition professionnelle (PTP). Ce dispositif, lancé en 2020, permet de suivre une formation certifiante tout en conservant sa rémunération. Avec ou en dehors de l’entreprise, il est également possible de mobiliser son compte personnel de formation (CPF) pour financer une formation de son choix ou de se faire accompagner par un conseil en évolution professionnelle (CEP). Ce dernier, gratuit et accessible à tous les actifs, permet de clarifier son projet, d’identifier les compétences nécessaires et de trouver des financements.

« Tous ces dispositifs sont bienvenus. Car un changement de cap, en interne ou en externe, se prépare. Il peut impacter les revenus, la vie de famille et ne pas fonctionner comme prévu », alerte Jean-Denis Culié. Plusieurs mois sont souvent nécessaires pour finaliser un projet et mettre toutes les chances de son côté. « 5 bénéficiaires sur 10 réussissent leur reconversion dans les six mois suivant la fin de leur formation. Ils sont 8 sur 10 entre vingt-quatre et trente-six mois. Cette courbe de progression révèle la maturité progressive des parcours, l’adaptation aux nouveaux environnements et l’épanouissement professionnel qui se construit », remarque Anaïs Deleuil.

Pour fluidifier davantage les parcours et rendre les dispositifs plus lisibles, l’association francilienne a inauguré en mars 2025 la toute première Maison de la reconversion. Un guichet unique entièrement dédié à la reconversion et aux nouvelles trajectoires professionnelles.

(1) « Reconversions et transitions professionnelles : comment les accompagner dans un monde du travail qui se transforme ? » Enquête Ifop menée pour la Fondation The Adecco Group, en partenariat avec l’ANDRH, juin 2025.

(2) « Les reconversions professionnelles vers les métiers manuels », août 2023.



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Publish date : 2025-09-18 07:00:00

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