Leur dernier congrès en juin à Nancy avait déjà mis en scène la question qui taraude les socialistes depuis des années à présent : faut-il rompre un peu ou totalement avec les insoumis ? Celle-ci a scintillé encore récemment lorsqu’ils ont pris l’initiative de faire savoir qu’ils offraient leur service pour gouverner le pays. L’offre, jugée méprisable par les mélenchonistes, n’a guère été suivie d’effet puisque le président de la République a préféré nommer à Matignon l’un de ses proches. Il reste qu’elle manifestait une volonté d’émancipation par rapport aux perturbateurs endoctrinés et traduisait leur volonté de s’affirmer du point de vue de leur identité politique.
Car c’est évidemment cela que traversent les socialistes : un trouble identitaire. Qui sont-ils vraiment ? Aussi longtemps qu’ils n’auront pas répondu à cette interrogation, ils ne peuvent susciter un désir électoral majoritaire. Pas de programme très clair, pas de leader qui s’imposerait naturellement, pas de stratégie très lisible non plus… Un plus petit dénominateur commun sans doute : ils savent qu’ils devront un jour rompre avec les insoumis. Mais le faut-il vraiment ? Après tout, François Mitterrand n’a-t-il pas montré qu’on pouvait peu à peu étouffer un parti communiste, alors majoritaire, en ouvrant un espace politique de centre gauche ? La comparaison me paraît douteuse car, aussi longtemps que le bloc central n’aura pas disparu (et rien ne prouve que cela adviendra), la proximité avec les furibonds insoumis leur fermera les portes de la respectabilité pour une partie de l’électorat. Une goutte d’insoumission rend votre eau trouble.
Mais alors, pour reprendre un proverbe afghan, puisque « la rose a l’épine comme amie » pourquoi paraît-elle sans cesse reporter une inéluctable rupture ? La raison en est bien connue : les socialistes ont besoin des insoumis à court terme, notamment pour les municipales et tout autant dans la perspective d’une éventuelle dissolution. Le socle de leur procrastination politique s’établit donc sur le classique problème de l’acceptation des coûts modérés à court terme pour obtenir des bénéfices plus importants à long terme. Ce type de structure de préférences a été révélé par nombre d’études expérimentales, parmi lesquelles celle des psychologues George Ainslie et Varda Haendel qui publièrent un papier remarqué sur ce sujet en 1983.
Ceux-ci proposaient dans leur expérience d’obtenir 50 euros immédiatement ou 100 euros un mois plus tard. Ils constataient que la majorité des individus optaient pour la première proposition contredisant leur intérêt rationnel (si l’on tient compte du fait que l’inflation n’était pas galopante). Ce résultat, qui est à la fois étonnant et compréhensible, a été reproduit bien des fois et permet d’expliquer nombre de phénomènes sociaux comme le fait que les possesseurs d’actions vendent souvent des titres qui perdent de leur valeur même lorsqu’ils savent qu’une hausse est attendue à long terme.
La paralysie des socialistes les dévitalise
De même, on a pu montrer qu’un groupe n’est jamais aussi actif et volontaire dans l’exécution d’une tâche fixée que lorsque la date limite pour la réaliser s’approche. Tout cela illustre le phénomène de dépréciation temporelle de la valeur : les bénéfices futurs sont affectés d’un coefficient psychologique qui les ternit à notre esprit quand les coûts immédiats brûlent notre pensée.
Que les socialistes procrastinent politiquement pourrait donc paraître banal mais ils perdent de vue que, dans l’esprit de beaucoup d’électeurs, leur paralysie les dévitalise. Car il reste un paramètre dans cette équation politique complexe : le temps qu’ils mettront à rompre est un temps perdu pour la reconstitution de leur identité en lambeaux. Il aura donc pesé lourd le ralliement de Boris Vallaud à Olivier Faure plutôt qu’au maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, qui désirait rompre ici et maintenant avec les insoumis lors du congrès de juin. Il aura permis aux socialistes de prolonger la malédiction de la procrastination. Leurs yeux sont rivés sur les avantages à court terme, absorbés par la tactique mais incapables de stratégie pour revitaliser leur identité politique à long terme.
Gérald Bronner est sociologue et professeur à la Sorbonne Université
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Author : Gérald Bronner
Publish date : 2025-09-19 11:00:00
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