L’Express

Christian Lequesne : « En reconnaissant l’Etat palestinien, Emmanuel Macron fait aussi un pari politique »

Christian Lequesne : « En reconnaissant l’Etat palestinien, Emmanuel Macron fait aussi un pari politique »


Le moment promet d’être historique. Ce 22 septembre, à New York, Emmanuel Macron va annoncer que la France reconnaît officiellement l’Etat de Palestine, aux côtés d’une dizaine d’autres pays occidentaux. L’aboutissement d’une longue réflexion diplomatique et un signal, aussi, envoyé à Israël pour qu’enfin cesse la guerre dans la bande de Gaza.

Christian Lequesne, professeur à Sciences-Po et spécialiste de la diplomatie française, évalue l’importance de cette reconnaissance de l’Etat de Palestine. Selon l’auteur d’Ethnographie du Quai d’Orsay (CNRS Editions, 2020), cette séquence s’inscrit à la fois dans la lignée de l’histoire diplomatique française et dans un élan de réconciliation avec le monde arabo-musulman.

L’Express : Deux mois après l’annonce d’Emmanuel Macron, une douzaine de pays vont reconnaître l’Etat de Palestine aux côtés de la France, ce 22 septembre : est-ce une victoire pour la diplomatie française ?

Christian Lequesne : La France n’a pas lancé ce mouvement, puisque l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie ont reconnu l’Etat de Palestine avant l’annonce d’Emmanuel Macron. En revanche, la France est le premier grand pays, c’est-à-dire membre du G7, à dire vouloir reconnaître cet Etat : c’est un grand acteur sur la scène internationale, sa décision constitue donc un geste important pour la diplomatie.

La Grande-Bretagne a suivi, avec des conditions mises par Keir Starmer, mais les Travaillistes se sont toujours montrés très favorables à l’idée de la solution à deux Etats, dont l’une des conditions consiste à reconnaître l’Etat de Palestine. Si le Premier ministre britannique se montre plus prudent que la France, c’est en raison du rapport de Londres avec les Etats-Unis et avec Donald Trump.

Était-ce risqué pour Emmanuel Macron de faire cette annonce seul, le 24 juillet ?

Emmanuel Macron pensait à cette reconnaissance depuis longtemps, il hésitait et s’interrogeait sur le bon moment pour l’annoncer. Je crois que la décision de Benyamin Netanyahou de mener à terme sa stratégie militaire dans la bande de Gaza a accéléré l’annonce française. D’ailleurs, les réponses sont arrivées immédiatement, avec la lettre du Premier ministre israélien puis la déclaration de l’ambassadeur américain Charles Kushner, reprenant les arguments de M. Netanyahou sur la montée de l’antisémitisme, avec une dose de mauvaise foi : l’antisémitisme est, hélas, une réalité en France, mais ce n’est pas la décision de reconnaître l’Etat de Palestine qui va l’encourager…

Les gouvernements israéliens et américains concentrent leurs critiques sur la France, accusée d’encourager le Hamas et de nuire aux négociations de paix. Nos relations avec Israël et les Etats-Unis sont-elles endommagées pour longtemps ?

Avec Israël, la relation est sans nul doute mauvaise. Le gouvernement Netanyahou n’a aucune bonne disposition à l’égard de la France et n’en aura pas à l’égard de tout pays qui reconnaîtra l’Etat de Palestine puisque l’extrême droite, qui participe à l’actuelle coalition, veut un « Grand Israël », ce qui implique l’annexion de la Cisjordanie. Cette coalition encourage la colonisation, augmente les avant-postes dans les territoires palestiniens, etc.

Avec les Etats-Unis, je serais moins catégorique. La France a d’autres enjeux importants à traiter avec l’administration américaine, et la reconnaissance de la Palestine n’est qu’un dossier parmi d’autres. Ce n’est pas fondamentalement un facteur de blocage de la relation diplomatique entre Paris et Washington.

A l’inverse, cette décision peut-elle renouveler le « prestige » diplomatique de la France dans le monde arabo-musulman ?

Oui, certainement. Les positions de politique étrangère se construisent aussi sur l’Histoire : la France du général de Gaulle, mais aussi les présidents qui ont suivi, en particulier Jacques Chirac, avaient beaucoup de compréhension pour le monde arabe. Très récemment, après l’attaque terroriste du 7-Octobre, la proposition par Emmanuel Macron de former une coalition internationale pour combattre le Hamas, sur le modèle de la coalition anti-Daech, avait été très mal perçue dans le monde arabo-musulman. Ceci avait amené les ambassadeurs français dans la région à rédiger une lettre commune pour avertir que le prestige de la France était en train d’être totalement écorné.

La reconnaissance de l’Etat de Palestine a aussi pour objectif de recréer ce lien de confiance. Même au sein des pays arabes qui ont signé les accords d’Abraham ou qui ont des relations diplomatiques avec Israël, la question palestinienne reste extrêmement symbolique pour les sociétés.

Cette reconnaissance de l’Etat palestinien se situe-t-elle dans la lignée de l’histoire diplomatique française ?

Oui, et cette reconnaissance se trouve d’ailleurs dans la lignée de la position européenne depuis les années 1970 et notre soutien à la solution à deux Etats. Emmanuel Macron fait aussi un pari politique : le président est certainement convaincu que cette décision n’arrêtera pas à court terme l’opération militaire absolument désastreuse à Gaza et que seule une intervention de Donald Trump pourrait y mettre un terme. Mais le calcul du côté français et européen consiste à se dire qu’un jour les hommes politiques vont changer et qu’il ne faut donc pas abandonner le principe de la solution à deux Etats. Cette reconnaissance de l’Etat palestinien vise le long terme : si nous ne voulons pas que la solution politique soit complètement enterrée, il faut faire ce geste.

Le président français Emmanuel Macron (d) et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le 24 octobre 2023 à Ramallah

Ce moment diplomatique peut-il avoir une influence réelle sur le terrain, en Israël et dans les territoires palestiniens ?

Seule une position américaine plus ferme vis-à-vis de Netanyahou pourrait avoir une influence sur le terrain. Ou alors un vrai changement politique en Israël avec un grand mouvement de la société israélienne qui conduirait Netanyahou à la démission. On ne se dirige ni vers l’un, ni vers l’autre.

Certains ministres israéliens d’extrême droite menacent d’annexer des parties de la Cisjordanie pour répondre à la reconnaissance française de l’Etat palestinien. Est-ce un risque à prendre au sérieux ?

C’est une position qu’il faut considérer sérieusement quand on entend le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, s’exprimer sur la Judée-Samarie, c’est-à-dire la Cisjordanie : le projet est d’affaiblir au maximum l’Autorité palestinienne pour aller vers une annexion pure et simple. Ce serait une catastrophe pour toute optique de paix. Le problème est que de plus en plus de citoyens en Israël souscrivent à ce scénario…

Sur les grands dossiers internationaux, que ce soit l’Ukraine ou Gaza, Emmanuel Macron donne le sentiment d’un revirement personnel progressif, qui entraîne avec lui toute la diplomatie française. Est-ce une spécificité française ?

Aux Etats-Unis aussi, il existe une forte présidentialisation de la politique étrangère. Mais en Europe, où les systèmes parlementaires dominent, cette personnalisation de la politique étrangère constitue effectivement une caractéristique française. C’est même une caractéristique de la Ve République, liée à la pratique dite du « domaine réservé » au chef de l’Etat. D’autant plus lorsque les présidents de la République effectuent un second mandat, comme M. Macron : ils s’investissent encore davantage en politique étrangère. Ce n’est pas un grand secret que la politique étrangère de la France est pilotée par l’Elysée, le président et sa cellule diplomatique, et donc notre diplomatie évolue beaucoup au gré des revirements du président.

Quel rôle reste-t-il pour les diplomates, auxquels vous avez consacré votre livre Ethnographie du Quai d’Orsay (CNRS Editions, 2020) ?

Ils sont les loyaux collaborateurs du président en matière de politique étrangère. Actuellement, le ministre des Affaires étrangères est là pour mettre en musique les grandes décisions qui sont prises à l’Élysée. Il a, pour cela, des collaborateurs ayant passé des concours sélectifs, qui s’appellent les diplomates.

D’une manière générale, les diplomates français sont-ils favorables à la reconnaissance de l’Etat de Palestine ?

Majoritairement oui, même si certains au sein du ministère, par exemple du côté des directions des affaires stratégiques, sont certainement moins convaincus, car une partie de leur travail reste axée sur la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient. Le ministère des Affaires étrangères n’est pas un monolithe : y cohabitent des groupes de pensée, des cartes mentales différentes. Mais sur la question de l’Etat palestinien, une majorité de diplomates comprend l’importance de la reconnaissance, précisément parce qu’ils sont sensibles au fait de conserver l’espoir de la solution politique.



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Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2025-09-21 05:45:00

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