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Emmanuel Macron et l’Etat de Palestine, l’histoire secrète : sa visite en Egypte, la colère d’Israël, le soutien britannique

Emmanuel Macron et l’Etat de Palestine, l’histoire secrète : sa visite en Egypte, la colère d’Israël, le soutien britannique


A l’idée de suivre le rythme effréné d’Emmanuel Macron dans les rues de New York, une quinte de toux le saisit. Jamais loin de sa bouteille d’oxygène, cet ancien gros fumeur ne raterait pourtant ce rendez-vous pour rien au monde. Ofer Bronchtein fait partie de ceux qui, la nuit, textotent à l’oreille du président français, qui lui glissent des idées « hors cadre » et, parfois, au réveil, l’ont convaincu de l’impossible. « Ça fait quatre ans que je lui écris, que je martèle pour la création de l’Etat palestinien, s’agite le chargé de mission (bénévole) du président pour le rapprochement israélo-palestinien. Il a enfin compris que Benyamin Netanyahou n’allait pas l’écouter et que, jusqu’ici, la France n’a eu aucun impact sur Israël. L’idée a fait son chemin, il est arrivé à la conclusion qu’il doit être du bon côté de l’histoire, et moi je suis ravi de l’avoir contaminé. »

Ce militant de la paix s’envole bientôt pour Tel-Aviv, Ramallah, sans doute un crochet par un pays arabe, avant de rejoindre le président à New York. Là, à l’ONU, il va assister au premier rang à la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France, ce 22 septembre. Sur sa table à manger, des monticules de papiers, son ordinateur portable, ses deux téléphones et ses trois passeports : français, israélien et palestinien. « Mon empire », se marre Ofer Bronchtein. Il est de ceux qui ont persuadé le président français de passer le cap, de reconnaître la Palestine tout en tendant la main aux Israéliens, de faire naître un espoir à partir de l’enfer de l’attaque terroriste du 7-Octobre et de la guerre dans la bande de Gaza. Un rayon de lumière, si mince soit-il. « Aujourd’hui, il s’agit de sauver la solution à deux États, alors que nous sommes à minuit moins 5 avant sa disparition », résume un diplomate français.

Dans sa conviction, le président français a entraîné une dizaine d’Etats occidentaux à reconnaître l’Etat palestinien, il a poussé le monde arabo-musulman à tendre une main fébrile à Israël et remis Paris au centre du jeu international. « Cette séquence consacrera une grande victoire diplomatique de la France, savoure le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avant de s’envoler pour New York. Elle démontrera que la France pèse, qu’elle entraîne, qu’elle fédère, qu’elle peut, lorsqu’elle s’en donne les moyens, influer sur les grandes questions de paix et de sécurité. » Récit d’un pari diplomatique français, semé de rebondissements et dont les effets pourraient peser sur l’avenir du Moyen-Orient. Et bien au-delà.

Chapitre I

7-Octobre : la guerre n’a pas commencé, Emmanuel Macron veut penser l’après

Ce samedi matin à l’Elysée, la journée promet pourtant d’être calme, l’agenda léger. Pourtant, dès l’aube, un silence de plomb envahit les couloirs : l’équipe diplomatique est scotchée sur les réseaux, abasourdie par le torrent d’images des massacres du Hamas en Israël. Réunion de crise avec le Quai d’Orsay, premier appel d’Emmanuel Macron pour le président israélien Isaac Herzog, à 12h30. Le deuxième pour Benyamin Netanyahou, à 14h15. Le Premier ministre israélien a la voix blanche, KO debout. « Dès le départ, Macron fait part à Netanyahou de sa très forte détermination à éradiquer le Hamas », explique à l’époque une source israélienne. En fin de journée, le président compose le numéro de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Ce n’est pas encore la guerre, mais le chef de l’Etat français pense déjà à l’après-guerre.

Emmanuel Macron se rend sur place deux semaines plus tard. D’abord pour voir les familles des victimes et des otages, dès la descente d’avion. Plus de trente Français ont été tués par le Hamas, neuf sont retenus par le mouvement terroriste. Rencontre presque chaleureuse avec Benyamin Netanyahou, puis direction Ramallah pour voir Mahmoud Abbas. Première question : « Est-ce que tu peux reprendre Gaza ? » Abbas hésite, du haut de ses 87 ans : « Tout seul, non, je ne peux pas. » Les Jordaniens répondent la même chose, l’Egypte aussi : Emmanuel Macron comprend que l’avenir de Gaza ne passera que par une entente régionale, un « deal » global.

Emmanuel Macron à l’aéroport Ben Gourion, près de Tel-Aviv, avec des familles de victimes des attaques du 7 octobre 2023.

Chapitre II

Le poids des bombes, le vide des mots

Très vite, Gaza envahit le quotidien. Les bombes, les morts, l’horreur. La haine pure, aussi, crachée par certains ministres israéliens. Début novembre, Emmanuel Macron invite une poignée de militants pacifistes palestiniens à l’Elysée. Nivine Sandouka réside à Jérusalem-Est, en territoire occupé, et doit se faufiler entre les barrages israéliens pour s’envoler vers Paris. Cette Palestinienne travaille sur des projets féministes en Cisjordanie au sein de l’Alliance for Middle East Peace, une organisation qui chapeaute 160 associations, à la fois israéliennes et palestiniennes.

Pendant une dizaine de minutes, elle discute en tête à tête avec le président : situation humanitaire à Gaza, otages israéliens, processus politique, urgence d’un cessez-le-feu… « Surtout, je mentionne la mise en place indispensable d’un passage humanitaire pour que les habitants de Gaza reçoivent de l’aide et je le sens inquiet, impliqué, se souvient Nivine Sandouka. Nous n’étions même pas un mois après le début de la guerre et n’avions alors aucune idée de l’ampleur qu’elle allait prendre, encore aujourd’hui. »

Surprise, dès le lendemain sur la BBC, Emmanuel Macron exhorte Israël à cesser les bombardements visant les femmes et les enfants. « Il n’y a aucune justification à cela », tonne le président français, devenant le premier chef d’Etat occidental à critiquer cette guerre. « Sur ce dossier, Emmanuel Macron lui-même a avancé dans sa réflexion, juge l’ancien ambassadeur français Bertrand Besancenot. Il avait un préjugé pro-israélien très clair après le 7-Octobre mais à la vue de la situation dramatique, du véritable carnage à Gaza et des réactions de l’opinion publique, il a bien compris que la France avait un rôle important à jouer. »

C’est le début d’un tragique jeu de dupes : Emmanuel Macron multiplie les appels au cessez-le-feu, Benyamin Netanyahou l’ignore ou le critique en public. Le 26 mai 2024, l’aviation israélienne frappe un camp de réfugiés à Raffah, dans le sud de la bande de Gaza. Des vidéos circulent, montrent des femmes et des enfants dans un brasier. Touché, le président français interdit la présence d’entreprises militaires israéliennes au salon de l’armement Eurosatory, le mois suivant. « Un acte hostile contre Israël », tempête le ministre de la Défense, Yoav Gallant, avant que la justice française n’annule la décision présidentielle.

En coulisses pourtant, le dialogue se poursuit, parfois fructueux. Le 14 novembre 2024, le Stade de France accueille France-Israël. Un match de foot sous haute tension mais soporifique, qui se clôt sur un triste 0-0. En tribunes, deux hommes profitent du manque d’action sur le terrain pour discuter : Emmanuel Macron et l’ambassadeur d’Israël, Joshua Zarka, assis à sa gauche. D’après un témoin, ils échangent sur un éventuel processus de paix, sur les conditions à exiger des Palestiniens avant toute négociation : une entité palestinienne démilitarisée, qui n’aurait pas le contrôle de ses frontières afin d’éviter le trafic d’armes ; une société palestinienne déradicalisée ; la question des réfugiés qui devra être traitée sur le sol palestinien et non israélien. On se sert la main, un espoir existe.

Dans les tribunes du match de football France-Israël au Stade de France à Saint-Denis, le 14 novembre 2024.

Chapitre III

Un président convaincu par les pacifistes israéliens et palestiniens

Mais Israël s’enfonce dans la guerre, reste sourd aux incantations européennes, aux menaces arabes et aux manifestations de Tel-Aviv. En avril 2025, Emmanuel Macron voit de près les conséquences du conflit. A al-Arich, en Egypte, il visite un camp de réfugiés palestiniens, prend le temps d’écouter leurs histoires, leurs tragédies. « En Egypte, il a palpé la catastrophe humanitaire », raconte Ofer Bronchtein. Dans l’avion du retour, il annonce aux journalistes son intention de reconnaître l’Etat de Palestine, sans préciser de calendrier. « La France dit qu’elle va reconnaître l’Etat palestinien depuis 1982 : Mitterrand l’a dit, Chirac l’a dit, Sarkozy l’a dit, Hollande l’a dit, Macron l’a fait, poursuit le chargé de mission du président. Je ne sais pas comment Emmanuel Macron va rentrer dans l’Histoire, mais je sais que cette décision l’y fera entrer un peu. »

D’après nos informations, Emmanuel Macron tranche la question du calendrier le 13 juin, quand Israël lance sa guerre surprise contre l’Iran. La reconnaissance sera pour septembre, à l’Assemblée générale de l’ONU, afin d’avoir un maximum d’impact. Alors qu’Israël commence à bombarder Téhéran, la diplomatie française organise le même jour le Paris Peace Forum, qui rassemble des organisations civiles israéliennes et palestiniennes. Emmanuel Macron n’assiste pas aux conférences, mais invite les associatifs à l’Elysée.

Le 8 avril 2024, Emmanuel Macron rencontre des patients palestiniens dans un hôpital en Egypte. Dans l’avion du retour, il déclare son intention de reconnaître l’Etat de Palestine.

Nivine Sandouka a refait le trajet depuis Jérusalem-Est. Cette fois, elle est trop épuisée pour parler en tête-à-tête avec le président français. « Mais il passe plus d’une heure à échanger avec tous ces pacifistes qui, tout en prenant des selfies avec lui, réclament un cessez-le-feu et la reconnaissance de l’Etat palestinien, se souvient la militante. Que ce message soit répété par des Israéliens comme par des Palestiniens, des gens qui construisent encore la paix, l’a certainement accompagné dans sa réflexion sur la reconnaissance. Pour vous dire la vérité, en tant que Palestinienne, j’admire le fait que le président Macron soit sérieux sur ce sujet et prenne le leadership avec les Saoudiens, malgré les difficultés qui pourraient en résulter pour la France vis-à-vis des Etats-Unis et d’Israël. »

Le 24 juillet, le chef d’Etat français adresse une lettre au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, annonçant son intention de reconnaître l’Etat palestinien lors de la Conférence sur la solution à deux Etats organisée avec l’Arabie saoudite, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. La tempête diplomatique se lève.

Chapitre IV

Le courage britannique, la frilosité allemande

Israël fulmine. L’Etat hébreu perd la bataille de l’opinion mondiale en cet été 2025, les accusations de famine organisée à Gaza se multiplient et maintenant, la France veut reconnaître l’Etat de Palestine. Il faut isoler Paris, taper suffisamment fort pour que personne ne suive. Les Israéliens comptent sur Donald Trump, qui négocie des accords commerciaux avec les Européens, pour écraser le mouvement. Raté. Interrogé sur l’initiative française, l’Américain hausse les épaules : « Macron est un mec bien, mais il ne pèse pas grand-chose ». On a vu pire menace.

La diplomatie française se démène, au contraire, pour peser. Après l’annonce d’Emmanuel Macron, quatre jours passent dans le silence des alliés et le stress des Français. A l’ONU, le 28 juillet, Paris organise une première conférence sur la solution à deux Etats aux côtés des Saoudiens, réunissant des ministres des Affaires étrangères. Le Britannique David Lamy se trouve dans l’avion, entre l’Australie et New York, quand les Français apprennent qu’il est favorable à la reconnaissance de la Palestine, mais qu’il doit finir de convaincre le Premier ministre Keir Starmer. Celui-ci veut s’assurer que l’Autorité palestinienne sorte de toute ambiguïté sur la condamnation du 7-Octobre et que les pays arabes sont prêts à avancer vers une normalisation avec Israël. Les Français, puis les Saoudiens et les Jordaniens, rassurent les Britanniques. Keir Starmer donne son feu vert une heure avant l’ouverture de la conférence à New York et l’annonce au monde entier le lendemain. « C’était une grande émotion pour tous les diplomates français impliqués sur le dossier », confie un proche du président.

C’est, aussi, un séisme diplomatique. « Pour la première fois, l’Etat de Palestine est reconnu par deux pays du G7, ce qui fait toute la différence, souligne Bronwen Maddox, directrice de la Chatham House, institution légendaire de la diplomatie à Londres. Dans le cas britannique, il s’agit en plus du pays qui a produit la déclaration de Belfort en 1917 [NDLR : dans laquelle le Royaume-Uni se prononce en faveur de l’établissement d’un ‘foyer national pour le peuple juif en Palestine’, alors sous mandat britannique]. Cela apporte un poids supplémentaire à la reconnaissance de l’Etat palestinien. »

Un défi pour Keir Starmer, en difficulté dans les sondages et qui s’apprête alors à recevoir le président américain à Londres. « Prendre cette décision était extrêmement risqué pour lui puisqu’elle l’éloigne de Donald Trump, alors sur le point de venir négocier un accord commercial au Royaume-Uni, poursuit Bronwen Maddox. Les conséquences pouvaient être majeures pour le Royaume-Uni, beaucoup moins pour Emmanuel Macron, qui est un peu une figure solitaire, libre de faire ce qu’il veut tant qu’il est président. »

Après les Britanniques, alliés historiques de Washington, c’est l’avalanche. Le Canada et l’Australie rejoignent le mouvement, d’autres viennent se greffer : Malte, Andorre, Luxembourg, Saint-Marin, Portugal, Belgique. Dans cette vague de reconnaissances, certains refus contrarient la diplomatie européenne. « Il est évident que l’absence de l’Allemagne et de l’Italie fait mauvais genre, remarque Frederica Bicchi, spécialiste des relations internationales à la London School of Economics. Cela ne saute pas aux yeux mais, en réalité, les pays européens sont très divisés sur cette question : les pays d’Europe centrale et orientale soutiennent très vocalement Israël et servent de paravent à d’autres, notamment l’Italie, qui restent en retrait tout en partageant les mêmes opinions. Avec cette séquence, cette dynamique saute aux yeux. »

Jusqu’au bout, la diplomatie française espère convaincre d’autres alliés de rejoindre le mouvement, avec un argument massue : le faire maintenant, en groupe, permet de diluer les représailles. Finlande, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée du Sud, Singapour se font désirer. « Pour les pays asiatiques, la relation avec les Etats-Unis pèse dans la décision sur la Palestine, mais leurs relations avec le Golfe aussi », espère un diplomate français. Les attaques d’Israël, particulièrement violentes contre le « leader » Emmanuel Macron, en dissuadent plusieurs de franchir le pas.

Le président français Emmanuel Macron (d) et le Premier ministre britannique Keir Starmer devant le 10 Downing Street, le 10 juillet 2025 à Londres

Chapitre V

La réplique israélienne

Ses mots ont fait « péter un fusible » au gouvernement israélien, selon un témoin. Le 12 août, Frédéric Journès prend la plume et publie une tribune dans Haaretz, le grand journal de centre gauche israélien. L’ambassadeur de France en Israël défend la reconnaissance de l’Etat palestinien, assure qu’elle sera bénéfique à la sécurité de l’Etat hébreu et qu’elle isole le Hamas. Dans une phrase, le diplomate fait un lien entre le désastre humanitaire à Gaza et la vague d’antisémitisme dans le monde. « Une semaine après cette tribune, il a répété ces propos à la radio, relate un diplomate israélien. Le gouvernement israélien l’a lu comme si la France accusait Israël d’être responsable de l’antisémitisme. » Devant la vague de colère, l’ambassadeur fait son mea culpa sur la chaîne i24, mais Benyamin Netanyahou prend lui aussi la plume.

Le 17 août, le Premier ministre israélien diffuse une lettre dans laquelle il accuse Emmanuel Macron de récompenser la stratégie de la terreur du Hamas en reconnaissant l’Etat palestinien, de nuire aux négociations de cessez-le-feu et « d’alimenter le feu antisémite » en France. Des propos graves. Benyamin Netanyahou envoie un courrier similaire au Premier ministre australien, qu’il qualifie de « faible », mais aussi, d’après nos informations, au Premier ministre britannique Keir Starmer. Cette dernière lettre n’a pas été rendue publique.

Emmanuel Macron choisit de répondre, lui aussi, par une lettre. Il la peaufine pendant une semaine. Sur trois pages, il rappelle son action contre la haine des juifs, au nom de la République française, « inlassable ennemie de l’antisémitisme depuis la Révolution de 1789 ». « C’est sa lettre, il y a mis tout son cœur, assure Ofer Bronchtein. Selon moi, c’est un chef-d’œuvre : il veut expliquer, se montrer pédagogue. C’est dommage que cette lettre n’ait pas eu les échos qu’elle mérite en France et encore moins en Israël. » Le président tend la main aux Israéliens, qui la rejettent sans un bruit. Benyamin Netanyahou veut pourtant faire une réponse à la réponse, riposter à l’apaisement par l’escalade. De cette longue lettre, il n’a retenu qu’un mot, qui l’aurait mis hors de lui, selon une source israélienne. A la fin de son courrier, Emmanuel Macron l’implore de « sortir de la fuite en avant meurtrière et illégale d’une guerre permanente à Gaza ». « Un mot a gêné : meurtriers, indique cette source. Cela veut dire qu’une démocratie commet des meurtres. Ça a été très mal reçu. »

Le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich tient une carte à l’extérieur de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, le 14 août 2025

Après les courriers viennent les menaces. Pour faire ce sale boulot, Netanyahou peut compter sur ses deux ministres d’extrême droite, les colons Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Ce dernier, ministre des Finances, brandit son plan : si la France reconnaît l’Etat palestinien, faisons en sorte qu’il n’y ait plus d’Etat palestinien à reconnaître. Il menace d’annexer l’équivalent de 82 % de la Cisjordanie, où se trouvent déjà 750 000 colons israéliens. Une menace « sérieuse », selon plusieurs sources, discutée à de nombreuses reprises en conseil des ministres. « Une décision sera prise très rapidement après la reconnaissance française », assure un diplomate au courant du dossier. « Je ne pense pas qu’ils le feront, c’est avant tout du théâtre politique de la part de Smotrich pour plaire à sa base électorale », relativise Chuck Freilich, ancien conseiller à la sécurité nationale d’Israël.

Les autorités israéliennes menacent aussi d’interdire des missions françaises sur leur territoire, voire de fermer le consulat français dans les territoires palestiniens. Une hypothèse qui fait éclater de rire Ofer Brochtein, l’envoyé spécial du président. « Mais ce n’est pas Israël qui va fermer le consulat en territoires palestiniens, c’est la France ! Puisqu’elle va y ouvrir une ambassade… »

Chapitre VI

La reconnaissance palestinienne, au-delà du symbole

« Reconnaître un Etat, c’est comme perdre sa virginité : il n’y a pas de retour en arrière possible. » La boutade, prononcée par une source européenne, traduit une réalité des plus sérieuses : le 22 septembre marque un tournant dans le conflit israélo-palestinien. Il est tentant de ne voir qu’un symbole dans ces reconnaissances d’un Etat qui n’a ni armée, ni frontières, ni monnaie. « Mais cela peut être à la fois symbolique et avoir des conséquences, intervient Federica Bicchi. Tout dépend de ce que feront ces pays après la reconnaissance : à court terme, elle aura des conséquences mineures sur les relations diplomatiques, sur les représentations des Palestiniens dans les chancelleries, etc. Sur le moyen et long terme, c’est un marqueur indélébile sur la scène internationale. Un nombre immense de pays reconnaissent l’Etat de Palestine, à la fois des pays en voie de développement et des pays développés, ce qui a forcément un impact. Le plus intéressant serait que la reconnaissance de la Palestine soulève la question de l’annulation de la reconnaissance des colonies israéliennes, ce qui aurait de lourdes conséquences pour le commerce. » L’Espagne, qui a reconnu l’Etat palestinien l’année dernière, vient ainsi d’interdire tous les produits issus des colonies.

Une autre conséquence est diplomatique : de plus en plus isolé, Israël n’a plus que le soutien américain pour poursuivre sa guerre à Gaza. D’où l’offensive française à double détente, construite avec l’Arabie saoudite : d’un côté, une reconnaissance de la Palestine par une vague de pays occidentaux ; de l’autre, un texte signé par l’ensemble du monde arabo-musulman à l’ONU condamnant le Hamas et ouvrant la voie à une normalisation avec Israël. « L’idée consiste à peser sur Trump, en partant du principe qu’il rêve du prix Nobel de la paix et qu’il est le seul à pouvoir influencer les Israéliens, analyse l’ancien ambassadeur à Riyad Bertrand Besancenot. Seule une initiative franco-saoudienne pouvait réussir : les Français sont capables d’entraîner plusieurs pays européens, et donc d’isoler Israël et les Etats-Unis sur le plan diplomatique, et les Saoudiens sont les seuls avec une influence réelle sur Trump, dont l’objectif diplomatique prioritaire consiste à’élargir’les accords d’Abraham. »

Emmanuel Macron en compagnie de Ofer Bronchtein, chargé de mission pour le rapprochement israélo-palestinien.

Le 22 septembre, les Palestiniens ne pourront pas se rendre à New York, privés de visa par l’administration américaine, au mépris des règles entourant l’ONU. Mohammed Ben Salmane n’a pas non plus fait le déplacement, mais « ce n’est pas un choix diplomatique », nous souffle un proche du dossier. La santé très fragile de son père, le roi Salmane, 89 ans, pourrait à tout moment déclencher une lutte de succession dans le royaume. Le prince héritier craint aussi l’indépendance de la justice américaine, qui le poursuit depuis 2017 pour le meurtre de Jamal Khashoggi, chroniqueur du Washington Post assassiné dans le consulat saoudien d’Istanbul.

Peu importe, selon la diplomatie française, puisque MBS et Abbas apparaîtront en visio, que les reconnaissances seront actées et l’initiative franco-saoudienne adoptée. « C’est le texte le plus ambitieux, sans doute, sur le conflit israélo-palestinien depuis les accords d’Oslo il y a trois ans, ou l’initiative arabe de paix il y a 20 ans, estime le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. C’est la première condamnation par la communauté internationale, par les Nations Unies, du Hamas, qui appelle à son désarmement et à sa rémission. Et c’est la première expression claire de l’aspiration des pays arabes de la région à une intégration régionale avec l’État d’Israël et le futur État de Palestine. C’est une nouvelle page qui commence à s’écrire. » Il faut maintenant que les plumes soient fermes au moment d’esquisser ce nouveau chapitre du Moyen-Orient.



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/emmanuel-macron-et-letat-de-palestine-lhistoire-secrete-sa-visite-en-egypte-la-colere-disrael-le-2TYXVECPV5GTDDOS7MZI4FPZZQ/

Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2025-09-21 16:00:00

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