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Burn-out, solitude, budgets serrés : ces dirigeants qui craquent en silence

Burn-out, solitude, budgets serrés : ces dirigeants qui craquent en silence

Ce sont souvent les premiers arrivés et les derniers à fermer la porte. Consciencieux. Parfois un peu paternalistes. Mais on peut sans peine leur demander une demi-journée pour aller se faire extraire une dent. Ce sont encore eux qui offrent le café à la réunion informelle du mois, où ils décryptent les chiffres annoncés la veille par le grand patron. Tonitruants, railleurs, ils montrent bien qu’ils n’ont pas apprécié le retard d’un collègue, mais prennent aussi le temps de demander discrètement à un autre des nouvelles du rhume prolongé de la petite dernière. Avec eux, on avance sans même s’en rendre compte : ils prennent l’appel au client récalcitrant, vérifient que le nouvel argumentaire commercial est opérationnel, remotivent les plus découragés pour qu’ils atteignent leurs objectifs.

Jusqu’au jour où ces femmes et hommes managers ou dirigeants manquent à l’appel. En retard ? On ricane. Toujours à l’heure, ils sont piégés par leur propre régularité. Puis ce mail de la DRH : absent. Sans date de retour. Le monde s’écroule, peut-être eux aussi. Burn-out, AVC, dépression… Brusquement, on réalise qu’eux aussi sont des êtres humains. « Il s’agit de la vulnérabilité en entreprise qui touche tout le monde », commente Blandine Mercier, cofondatrice de Hello Masters, réseau social professionnel dédié aux cadres et dirigeants expérimentés. Même le superman aux commandes peut dévisser. Même le manager toxique. « Très souvent, c’est un sujet tabou qui montre une fragilité non assumée du manager », ajoute-t-elle.

« Taire son ressenti »

Un salarié sur quatre se déclare en mauvaise santé mentale (Assurance maladie, 2024). Et la situation des cadres est pire : si 42 % des salariés sont touchés par l’absentéisme, le chiffre grimpe à 45 % pour les managers (Baromètre annuel absentéisme 2024 Ifop/Malakoff Humanis). Par ailleurs, 82 % des patrons de TPE, PME ou ETI souffrent d’au moins un trouble physique ou psychologique, un chiffre en hausse de 11 points en un an et de 23 points depuis 2021 (Bpifrance/juin 2025). Pourquoi un tel silence autour de cette population ? « Taire son ressenti et ne pas reconnaître les signes avant-coureurs fait partie de la solitude des dirigeants, qui doivent en plus avoir un profil rassurant auprès des équipes », analyse Blandine Mercier.

Le stéréotype du héros indestructible reste bien ancré dans le monde de l’entreprise. On recrute encore sur ce modèle d’hyper-performance, et la verticalité du management rend quasi impossible toute manifestation de faiblesse. Pourtant, 75 % des dirigeants déclarent ressentir du stress au moins une fois par semaine, et 36 % chaque jour (Institut Choiseul, 2025). Les causes exogènes sont multiples : incertitudes géopolitiques, instabilité des politiques fiscales, concurrence accrue, tensions sur certaines compétences, restrictions budgétaires, manque de visibilité et court-termisme (un plan à cinq ans se réduit parfois à trois mois) notamment, qui s’accompagnent d’une « surcharge mentale et d’un isolement décisionnel », souligne l’experte.

Toutes ces causes se traduisent par un « pilotage en contexte de crise, une solitude du pouvoir, et l’absence de soutien psychologique formel », décrit-elle. Et ce n’est pas tout : 58 % des dirigeants de TPE et PME considèrent désormais l’intelligence artificielle (IA) comme un enjeu de survie pour leur entreprise (Bpifrance, 2025), avec un risque majeur : se tromper de stratégie. Il faut aussi s’intéresser aux causes personnelles qui peuvent expliquer ou aggraver ce stress : 8,8 millions d’adultes sont aidants en France (Drees, 2023), et un actif sur quatre le sera en 2030 (Club Landoy, 2024). Sans compter les autres difficultés familiales et personnelles.

Le droit à la vulnérabilité

Ce malaise peut entraîner des modes de management toxiques, mais aussi des consommations à risque – alcool, tabac, drogues ou médicaments – que reconnaissent 23 % des chefs d’entreprise (Fondation MMA et Bpifrance Le Lab, 2025). Pour Hello Masters, d’autres signaux faibles doivent alerter : « l’épuisement émotionnel dissimulé derrière une posture performante, la perte de sens habillée en envie de challenge, les tensions internes dues aux injonctions contradictoires : diriger, incarner, transformer ».

La prévention et la vigilance doivent être de mise, insiste Blandine Mercier. Prendre au sérieux les pertes d’appétit, de sommeil, une fatigue qui s’installe, de même que l’incapacité de gérer des priorités : quand tout devient important, le manager n’est plus en capacité d’avoir le recul nécessaire. Des consignes moins claires, une multiplication d’erreurs, on se sent surmené et irritable : il est temps de lever le pied. Certains, pourtant au maximum, s’ajoutent de la pression et du travail, comme des marathoniens ivres de fatigue qui poursuivent leur course. S’arrêter ou les arrêter devient un devoir qui va de pair avec un droit : celui à la vulnérabilité.



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Author : Claire Padych

Publish date : 2025-09-23 10:00:00

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