En reconnaissant l’Etat de Palestine, Emmanuel Macron a fait le pari d’insuffler un peu de vie dans un projet moribond : celui de deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité, l’un juif et l’autre arabe, sur les 26 000 kilomètres carrés de territoire qui séparent le fleuve Jourdain de la Méditerranée. Le projet est évoqué depuis la proposition de partage de la Palestine sous mandat britannique, avalisée en 1947 par l’Assemblée générale de l’ONU. Il a pris une nouvelle urgence en raison du pogrome barbare perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 et de la guerre brutale et cruelle menée depuis lors par Israël dans la bande de Gaza.
Si cette solution, dite « à deux Etats », reste souhaitable au nom du droit des peuples à l’autodétermination, elle n’en demeure pas moins hors d’atteinte dans une région plongée depuis deux ans dans une spirale de violences. Rien ne dit que la démarche de la France va faire progresser sa concrétisation. Pire, il est possible qu’elle l’éloigne un peu plus ! Elle peut d’un côté pousser le gouvernement israélien à durcir encore son emprise sur la Cisjordanie pour rendre toute perspective étatique impossible, et de l’autre inciter les Palestiniens à s’abstenir de faire les efforts et les compromis nécessaires à l’obtention d’un accord de paix avec les Israéliens.
L’initiative d’Emmanuel Macron, coparrainée par l’Arabie saoudite et rejointe les 21 et 22 septembre par plusieurs Etats occidentaux – Royaume-Uni, Canada, Australie, Belgique, Portugal et Luxembourg notamment – porte à 157 le nombre d’Etats qui reconnaissent l’Etat de Palestine, soit quatre Etats membres de l’ONU sur cinq. Or, s’il ne fait pas de doute que les Palestiniens forment un peuple qui a développé une conscience nationale aiguë, l’Etat ainsi reconnu par une vaste partie de la communauté internationale n’existe qu’en théorie. Il n’a pas de frontières reconnues et son gouvernement ne contrôle qu’une faible partie du territoire qu’il revendique.
C’est une Palestine rêvée qu’Emmanuel Macron a invoquée du haut de la tribune de l’ONU : un Etat qui serait miraculeusement débarrassé du Hamas et des autres mouvements terroristes, qui libérerait les otages détenus à Gaza, qui accepterait de vivre en paix à côté d’Israël et qui serait en mesure de gouverner un territoire et une population. « Un Etat de Palestine souverain, indépendant et démilitarisé », a résumé le président de la République dans son discours.
La situation sur le terrain est à mille lieues de cette ambition. La démarche macronienne ne va ni démanteler les implantations israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ni tracer des frontières sûres et reconnues, ni rendre l’Autorité palestinienne plus démocratique et moins corrompue, ni gagner à la cause de la paix les partisans du terrorisme comme moyen d’action politique. Le dernier sondage de l’institut palestinien indépendant PCR de Ramallah, réalisé en mai dernier, indique que si des élections avaient lieu dans les territoires palestiniens (ce qui n’est plus le cas depuis 2006), quelque 43 % des électeurs interrogés auraient l’intention de voter pour le Hamas aujourd’hui, contre seulement 28 % pour l’autre grand parti, le Fatah du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il y aurait donc un fort risque, en l’état actuel des choses, que le nouvel Etat, s’il voyait le jour, devienne un foyer de terrorisme. Telle est la triste réalité.
Un objectif illusoire
La diplomatie déclamatoire du président est fondée sur la frustration, celle que nourrit l’impuissance européenne devant l’obstination coupable du gouvernement de Benyamin Netanyahou, et l’émotion, celle que suscitent le calvaire infligé à la population civile palestinienne et les tribulations des otages israéliens abandonnés par leur propre gouvernement. Elle obéit aussi à des motivations de politique intérieure française : rassurer l’électorat sur le fait que le président de la République ne reste pas les bras ballants devant une situation dramatique ; sortir de l’ornière la courbe de popularité macronienne ; éventuellement, préparer l’après-Elysée.
La raison impose cependant de reconnaître que vouloir créer un Etat palestinien contre l’avis de l’Etat juif est un objectif illusoire. Jamais aucun gouvernement de Jérusalem ne prendra le risque, après le traumatisme du 7-Octobre, d’accepter la création à ses portes d’un Etat pouvant constituer une menace sécuritaire. Plutôt que de grandes proclamations, le chemin vers la paix nécessite un effort de conviction des populations concernées, afin de paver la voie à la reprise de négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, seules susceptibles de déboucher sur une paix durable.
Les arguments existent pour aider à convaincre les Israéliens : un Etat palestinien permettrait à Israël d’échapper au dilemme mortifère de rester un Etat démocratique ou un Etat juif ; il ouvrirait la possibilité d’une normalisation réelle et sincère avec les pays arabes de la région, notamment l’Arabie saoudite ; il briserait l’isolement international d’Israël, qui va croissant ; il écarterait la menace d’un lâchage du pays par une Amérique dont la population est de plus en plus réticente à soutenir inconditionnellement l’allié proche-oriental. Un tel travail politique impliquerait d’opter pour la modestie et la patience, plutôt que de miser sur les postures théâtrales et vaines. Mais ce serait peut-être trop demander à Emmanuel Macron.
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Author : Luc de Barochez
Publish date : 2025-09-23 08:02:00
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