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Derrière Donald Trump, l’autisme et le paracétamol, les inquiétantes obsessions de Robert Kennedy Jr.

Derrière Donald Trump, l’autisme et le paracétamol, les inquiétantes obsessions de Robert Kennedy Jr.

Donald Trump se fige un instant. « Est-ce que ça vous dit quelque chose, ce que je raconte ? », demande-t-il au parterre de journalistes devant lui. Dans la salle de conférences où la presse a été conviée ce lundi 22 septembre pour parler de son grand plan contre l’autisme, le silence s’installe. L’homme fort de la Maison-Blanche, jusqu’ici sûr de lui quant aux mesures qu’il faut prendre pour lutter contre cette affection, hésite, soudain pris d’un doute : « Est-ce bien correct, ce que je viens de dire ? », interroge-t-il, cherchant de l’aide du regard. Quelques minutes auparavant, le président américain annonçait, sans sourciller, que pour lutter contre ce trouble du neurodéveloppement, il faut empêcher les femmes enceintes de prendre du paracétamol (vendu sous le nom de Tylenol aux Etats-Unis). « N’en prenez pas, battez-vous comme des diables pour ne pas en prendre », répétait-il avec fougue. Mais voilà qu’il se perd dans ses notes.

Derrière lui, le ministre de la Santé, Robert F. Kennedy Jr., vole à sa rescousse et confirme tout. Et pour cause : il est le véritable cerveau derrière cette grande annonce. Face à la hausse des cas observée outre-Atlantique, cet ex-avocat spécialisé dans l’environnement devenu la principale figure antivaccin des Etats-Unis s’est promis de révéler la véritable cause de ce qu’il considère comme une « épidémie d’autisme ». Selon lui, les responsables seraient les facteurs environnementaux et en premier lieu les vaccins et les médicaments, dont le paracétamol.

Une obsession payante

Les discours anti-science de Kennedy lui ont valu un soutien politique certain qu’il a pu négocier en rejoignant Donald Trump pendant sa campagne présidentielle, puis en obtenant le poste de ministre de la Santé. « Kennedy ne choisit pas n’importe quelle source d’exposition environnementale : les vaccins sont souvent obligatoires, imposés par l’Etat. On retrouve derrière l’idée que les technocrates imposent depuis leur tour d’ivoire des décisions mauvaises pour la santé. Le camp MAGA veut montrer qu’il s’y oppose. Il dit en substance : ‘on va vous libérer du joug des autorités », analyse un psychiatre français qui a souhaité rester anonyme.

Ces discours servent, aussi, le business de l’ONG antivaccin Children’s Health Defense (CDH). Racheté en 2015 par Robert Kennedy Jr., son budget annuel passe de 13 000 à 6,8 millions de dollars en 2020, puis à 15 millions en 2021, après avoir inondé les réseaux sociaux de fausses informations sur les médicaments et le Covid-19. Selon une analyse de dossiers fiscaux publics réalisée par le site d’investigation ProPublica, la CDH a empoché quelque 46 millions de dollars entre 2020 et 2022. Et le salaire versé à Robert Kennedy Jr. par le CDH, lui, est passé de 131 250 dollars en 2017 à 516 000 en 2022.

Une épidémie, vraiment ?

La communauté scientifique, elle, ne cesse de dénoncer ses propos et de s’inquiéter de l’influence du conseiller santé de Trump. L’annonce sur le paracétamol et l’autisme a, sans surprise, de nouveau provoqué la colère de la quasi-totalité de la communauté scientifique américaine et mondiale. La première étant qu’il n’y a tout simplement pas d’épidémie d’autisme. « Oui, il y a bien une augmentation des diagnostics aux Etats-Unis, mais elle s’explique par au moins deux facteurs », indique le biologiste et généticien Thomas Bourgeron, de l’Institut Pasteur, et spécialiste de l’autisme. « D’abord, les critères du diagnostic ont été fortement élargis, pointe-t-il. Avant les années 2000, les deux tiers des personnes recevant un diagnostic d’autisme souffraient de déficience mentale. Aujourd’hui, c’est le contraire ». Pourquoi ? Parce que la compréhension de ce trouble du neurodéveloppement a fortement progressé ces dernières années. Les chercheurs ont compris qu’il ne se caractérise pas forcément par un retard mental, mais par des difficultés dans les interactions sociales et la communication, ainsi que des comportements et intérêts à caractère restreint, répétitif et stéréotypé. Au fur et à mesure que ces nouveaux critères ont été intégrés, le nombre de diagnostics a augmenté.

La récente augmentation des cas s’explique, aussi, par un meilleur dépistage. Car la recherche scientifique a établi qu’il existe tout un spectre de formes plus ou moins sévères, ce qui a permis aux spécialistes d’améliorer leurs outils – tests, examens, etc. – de détection. Le diagnostic des filles autistes – dont les formes peuvent s’avérer différentes – s’est également considérablement amélioré. « Aujourd’hui, nous détectons environ 80 % des autistes en dessous de 19 ans », se réjouit Thomas Bourgeron.

Aux Etats-Unis, les médecins ont aussi redoublé d’efforts pour dépister des communautés délaissées, souvent les plus défavorisées. D’ailleurs, quand Donald Trump affirme que la communauté des Amish ne compterait « pratiquement aucun cas d’autisme », ce n’est certainement pas parce qu’ils prennent moins de paracétamol, mais probablement parce qu’ils vivent généralement isolés, se rendent moins souvent chez les médecins, et que la plupart abandonnent leurs études après la quatrième, vers l’âge de 14 ans, alors que de nombreux enfants sont diagnostiqués à l’école.

Thomas Bourgeron propose une dernière piste d’explication, bien que probablement marginale. « Aux Etats-Unis, les enfants qui souffrent d’une déficience mentale touchent moins d’aides que pour d’autres maladies, souligne-t-il. Cette situation insupportable éthiquement est contournée par certains médecins, qui formulent des diagnostics d’autisme afin de permettre aux familles de recevoir des aides ».

Cause environnementale et génétique

La deuxième raison de la colère des scientifiques est la volonté de Robert Kennedy Jr. d’expliquer l’autisme principalement par des facteurs environnementaux. Tous les spécialistes le rappellent : l’autisme est en très grande majorité lié à des facteurs génétiques avec une possible participation, minime, de facteurs environnementaux pendant la grossesse. « Les troubles du spectre autistique sont principalement dus à des variations dans un ou plusieurs gènes. Parfois, plusieurs centaines sont associées à ce trouble. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit de l’une des pathologies les plus génétiques que l’on connaisse », résume Boris Chaumette, chercheur à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris.

Thomas Bourgeron est sans doute l’un des mieux placés pour en parler, puisque son équipe de l’Institut Pasteur a été la première au monde à découvrir, en 2003, un gène lié à l’autisme. « Votre génome et le mien sont à 99,9 % identiques. Mais les 0,1 % restant représentent trois millions de lettres différentes et parfois, une seule lettre peut expliquer un autisme sévère. C’est ce que nous avons découvert il y a 20 ans et que nous appelons forme monogénique », détaille-t-il. Aujourd’hui, des formes polygéniques qui impliquent des milliers de variants responsables de très nombreuses formes d’autisme, ont été identifiées. « C’est comme un orchestre : si la cantatrice arrête de chanter, vous l’entendez immédiatement, si c’est le 3e et le 5e violon, c’est moins évident, mais vous commencez à entendre une différence », illustre-t-il.

Les études scientifiques les plus robustes le montrent : l’autisme est héréditaire dans 80 % des cas. Si cela ne veut pas nécessairement dire que les 20 % restants sont dus aux causes environnementales, certaines sont clairement établies. « La prise de médicament antiépileptique comme la Depakine pendant la grossesse a été identifiée comme un risque qui augmente entre 3 à 5 fois le risque d’avoir un enfant autiste », assure Thomas Bourgeron. En revanche, contrairement à ce que Robert Kennedy Jr. soutient, il n’existe aucune étude démontrant un lien entre la vaccination et l’autisme. Les travaux que le ministre de la Santé américain cite à l’appui de ses théories, comme celles d’Andrew Wakefield sur les vaccins contre la rougeole, la rubéole et les oreillons, ont été truqués. Par ailleurs, des dizaines d’études scientifiques d’ampleur ont analysé des centaines de milliers d’adultes et d’enfants et ont, systématiquement, conclu à l’absence de lien de cause à effet entre les vaccins et l’autisme.

Quant au paracétamol, de nombreux scientifiques ont eu l’occasion de s’exprimer depuis les déclarations de Donald Trump pour expliquer qu’aucune étude n’a démontré de lien de cause à effet entre la prise de ce médicament pendant la grossesse et l’autisme. Comme l’a parfaitement résumé un récent article de la revue scientifique Nature, si certaines études ont découvert des associations, il convient de souligner deux faits importants. D’abord, plus les études sont sérieuses et robustes, plus cette association est minime. Ensuite, ce phénomène pourrait s’expliquer par des facteurs confondants. Les femmes qui prennent du paracétamol pendant la grossesse sont souvent en moins bonne santé : elles peuvent souffrir de maladies infectieuses, de fièvres ou autres. Ce sont ces facteurs de santé, plutôt que le médicament lui-même, qui induiraient les associations statistiques observées dans certaines études. D’autres facteurs sont également explorés par les chercheurs, comme l’exposition à la pollution et à certains pesticides pendant la grossesse. « Mais ces travaux sont parfois contradictoires. Les études ne retrouvent pas systématiquement des associations entre pesticides et l’autisme, par exemple, remarque Thomas Bourgeron. C’est la même chose pour l’exposition aux particules fines : les données ne sont, pour l’instant, pas concluantes ».

« L’autisme est un des troubles du neurodéveloppement les mieux étudiés. On a beaucoup de connaissances sur le sujet et s’il est vrai qu’il y a une interaction entre la génétique et certains facteurs de risques extérieurs, celles-ci ne vont pas du tout dans le sens de ce qui est dit par les équipes de la Maison-Blanche », fustige de son côté Hugo Peyre, pédopsychiatre et épidémiologiste au CHU de Montpellier. « Parmi les principales causes environnementales, on retrouve l’alcool, les drogues et les complications périnatales sévères comme la grande prématurité, un faible poids de naissance, une asphyxie néonatale et certaines infections maternelles comme la rubéole », poursuit le médecin, lui aussi agacé. De vastes études internationales, dont celle publiée en 2021 dans la revue Pediatrics de l’Académie américaine de pédiatrie, montre par exemple que plus la naissance survient tôt, plus le risque d’autisme augmente : de 6 % pour les enfants nés entre 22 et 27 semaines de gestation contre 1,4 % pour les bébés nés à terme.

La lutte contre l’autisme, un business payant

Il y a néanmoins peu de chance que RFK JR. change d’avis. L’actuel ministre de la Santé s’est en effet convaincu de ses thèses farfelues depuis trop longtemps. L’année clef a sans doute été 2005, quand Sarah Bridges, une amie de sa belle-sœur, lui présente ses théories selon lesquelles des injections de vaccins ont provoqué l’autisme de son fils. Selon elle, le responsable est le thiomersal, un agent de conservation utilisé pour prévenir la croissance bactérienne dans les vaccins et qui contient du mercure.

Robert Kennedy Jr. publie alors un long article, Deadly Immunity (immunité mortelle), dans le magazine Rolling Stone et sur le site Salon.com, dans lequel il dénonce un prétendu complot gouvernemental visant à dissimuler le lien entre le thiomersal et les troubles neurologiques chez l’enfant. L’article, dénué de preuves, sera finalement supprimé du site des années plus tard, l’éditrice en chef de Salon.com reconnaissant avoir commis « la plus grave erreur de (sa) carrière ». Mais Robert Kennedy Jr. a persisté. Un entêtement qui lui a valu l’opposition de la plupart des associations d’autistes et de parents d’enfants autistes, qu’il prétend pourtant vouloir aider.

Zoe Gross, directrice du plaidoyer au sein de l’Autistic Self Advocacy Network, déplore son discours alarmiste. « Tout en attisant l’hystérie autour des taux de diagnostic de l’autisme, l’administration Trump s’attaque aux droits et à la vie des Américains autistes sur de nombreux fronts, estime-t-elle auprès de la Radio publique nationale, citant les coupes proposées dans le programme Medicaid, dont dépendent certaines personnes autistes, et le démantèlement de l’Administration for Community Living, une sous-agence du Département de la Santé et des Services sociaux des Etats-Unis. « Leur discours sur une ‘épidémie’ d’autisme ne sert que leur programme antivaccin et ne profite en rien aux personnes autistes », ajoute-t-elle.

Une analyse partagée par Boris Chaumette. « Il existe un véritable enjeu autour de l’obtention de l’accès à des diagnostics et des soins ainsi que de grandes souffrances chez les aidants, qui peuvent avoir des baisses de moral, voient parfois leur couple exploser ou ne peuvent pas travailler autant qu’ils le souhaitent, analyse le chercheur. Trump et Kennedy identifient des problèmes, mais n’y répondent pas en améliorant la prise en charge, au contraire, ils cassent la protection sociale ».

Comme beaucoup d’experts, Thomas Bourgeron s’étonne aussi de la tendance à considérer tous les autistes comme des personnes déficientes, victimes d’un empoisonnement. « Pour certains cas sévères, il y a effectivement besoin d’un accompagnement médical, mais de très nombreuses personnes autistes sont intégrées, ont un travail, une famille », souligne-t-il. Au lieu de vouloir ‘supprimer l’autisme’, Donald Trump et son ministre de la Santé devraient plutôt comprendre que cette diversité existe probablement depuis la nuit des temps et qu’il faudrait mieux informer et mieux prendre en compte ces neuroatypies dans nos sociétés, et notamment à l’école ». Des réformes de fond, lentes et difficiles. Tout ce que Donald Trump et Robert F. Kennedy Jr. détestent.



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Author : Victor Garcia, Antoine Beau

Publish date : 2025-09-24 19:09:00

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