En dix ans, Emmanuel Macron a appris à parler le Donald Trump. Finies les poignées de main aux allures de combat de catch, place aux compliments, aux remerciements. Le président français a aussi trouvé la formule magique, celle qui fait fondre le cœur parfois si dur de son homologue américain : l’associer au Prix Nobel de la paix. « Trump n’a jamais digéré celui reçu par Obama, c’est presque un mot reptilien chez lui », remarque un conseiller français. Tout sauf un hasard, donc, si Emmanuel Macron le mentionne lors de son interview sur BFMTV, le 23 septembre, depuis New York : « Le prix Nobel de la paix n’est possible que si vous arrêtez ce conflit [à Gaza]. »
Quelques minutes plus tard, le Français ne peut retenir un léger sourire lorsque, assis près de l’Américain avant leur entretien bilatéral, un journaliste demande à Donald Trump ce qu’il pense de la phrase d’Emmanuel Macron sur le Prix Nobel de la paix. « Je pense que pour Gaza ça va s’arranger », répond le milliardaire de la Maison-Blanche, alors ravi de saluer son « ami de longue date » français et de qualifier la Russie de « tigre de papier ».
Juste après la rencontre à huis clos, voici le plus proche conseiller diplomatique du président, Emmanuel Bonne, qui monte quatre à quatre les escaliers de l’ONU. Comment s’est passé le rendez-vous avec Trump ? « Très bien ! » Une douce euphorie s’est emparée de la délégation française pendant cette semaine d’intense diplomatie. La clef : le rapprochement Trump-Macron.
« La France montre que l’ONU reste pertinente dans le monde »
Depuis le 22 septembre, des dizaines de chefs d’Etat se sont rassemblés au siège des Nations unies pour échanger, négocier et donner leur vision du monde à la tribune. Vague de reconnaissances de l’Etat palestinien, soutien à l’Ukraine, négociations sur le nucléaire iranien, traité sur l’avenir des océans… Paris était de tous les dossiers. « A une époque où le multilatéralisme est contesté de toutes parts, la France montre que l’ONU reste pertinente dans le monde, souligne le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, croisé au 44e étage d’un gratte-ciel de Manhattan. Nous l’avons démontré cette semaine sur le conflit israélo-palestinien, sur les grands sujets relatifs au climat, et en particulier l’océan. Mais nous sommes lucides : l’ONU est aujourd’hui une plateforme fragilisée et contestée. »
D’autant que cette année, le contestataire en chef a fait son retour à l’ONU, après cinq ans d’interruption pour cause de défaite à la présidentielle de 2020. Le président américain, dont la Trump Tower se trouve à quelques minutes de marche, déteste les Nations unies, leur vision mondialiste et pacifiste. Il ne se prive pas pour le dire. « Trump a une capacité incroyable à faire la Une mondiale tous les jours, c’est son unique obsession, admire presque un proche d’Emmanuel Macron. Résultat, il dit quelque chose le lundi et passe à autre chose le mardi. »
A l’ONU, ce 23 septembre, l’ancien animateur télé fait son show, bien aidé par une panne d’escalator, puis un arrêt de son téléprompteur. « Ce sont les deux choses que m’ont données les Nations unies : un mauvais escalator et un mauvais téléprompteur. Merci beaucoup », commence Trump à la tribune, faisant rire la salle, qui va vite déchanter. S’ensuit un massacre en règle de l’ONU. « J’ai arrêté sept guerres et les Nations unies n’ont même pas essayé de m’aider. […] Mais à quoi servent les Nations unies ? Pour l’instant, elles ne servent qu’à écrire des lettres avec des grands mots sans aucune suite. Ce sont des mots vides et les mots vides ne résolvent pas les guerres. »
Et le président américain d’accuser l’institution de créer de nouveaux conflits en encourageant l’immigration et les énergies renouvelables : « Réfléchissez un peu, les Nations unies aident les gens qui viennent illégalement aux Etats-Unis et après on doit les expulser. L’ONU donne de la nourriture, des abris, des moyens de transport et des cartes de crédit à des étrangers illégaux sur le point d’infiltrer notre frontière au sud, vous vous rendez compte ! »
A la tribune, l’ode au multilatéralisme d’Emmanuel Macron
Pendant ce spectacle « America First » en mondiovision, Emmanuel Macron disserte avec des étudiants américains dans un cadre bien plus intime, un peu plus au nord de Manhattan. Dans les locaux de la villa Albertine, résidence d’artistes et vénérable institution de la culture française en bordure de Central Park, on philosophe sur la démocratie, l’atmosphère « anti-intellectuels » qui inquiète au plus haut point le président français ou encore le poison des réseaux sociaux qui, selon lui, « rendent les gens anxieux et les font aller vers les idées les plus simplistes ». Deux tribunes, deux ambiances.
L’échange avec les étudiants américains n’est qu’un avant-goût. Quelques heures plus tard, aux Nations unies, Emmanuel Macron produit un contre-discours de celui prononcé par Donald Trump. Une ode au multilatéralisme, un hommage à l’ONU. « Cette organisation est irremplaçable. C’est la raison pour laquelle ceux qui en sont les pires critiques sont aussi ceux qui veulent changer les règles du jeu, sûrs qu’ils sont de leur domination et plus intéressés à se partager le monde qu’à dégager les compromis nécessaires au bien commun. » Aucun nom n’est donné, mais celui du président américain pourrait coller à la description.
Emmanuel Macron à l’ONU, lundi 22 septembre 2025.
De même, un peu plus loin dans son discours, Emmanuel Macron critique la « baisse des financements collectifs pour la santé, pour la sécurité alimentaire, pour l’éducation », alors que les coupes drastiques de l’administration américaine dans l’aide humanitaire internationale et dans les programmes de l’ONU font des ravages sur le terrain. « Regardons-nous aujourd’hui. Nous sommes partout en train de réduire nos ambitions communes pour financer les grands défis du monde. Ces défis sont pourtant les nôtres. »
Ce discours à l’ONU illustre la stratégie française pour ce second mandat de Donald Trump : Emmanuel Macron a compris que l’affrontement direct avec le président américain ne finit qu’en défaite, voire en humiliation. Ne pas lâcher sur le fond, mais arrondir la forme pour plaire au maître de la Maison-Blanche. « Avec Trump, les relations personnelles comptent beaucoup, ce qui est aussi vrai avec ses proches, que ce soit Marco Rubio ou Steve Witkoff, remarque un diplomate français. C’est ce qu’a fait le président Macron pour attirer son attention sur un certain nombre d’idées clés. » Dans les coulisses de l’ONU, cette semaine, la stratégie semble porter ses fruits.
Malgré sa condamnation de la reconnaissance de l’Etat de Palestine, Trump n’a pas ciblé la France à la tribune, ce qui n’a pas échappé à la diplomatie française. En coulisses, le président américain se montre plus ouvert au plan de sécurisation de la bande de Gaza pour l’après-guerre, poussé par l’Europe et les pays arabes. Un préalable indispensable à un cessez-le-feu. « Cette semaine à l’ONU permet de discuter et d’avancer vite, note un diplomate français. Tout le monde sent que nous sommes à un tournant. » D’autant que Benyamin Netanyahou a choisi d’éviter la foule et de ne venir aux Etats-Unis qu’en fin de semaine…
Sur le dossier ukrainien, surtout, le virage est impressionnant. Dans la communication, en tout cas. « Poutine et la Russie ont de gros soucis économiques, il est temps pour l’Ukraine d’agir », a annoncé le président américain, en affirmant que Kiev était capable de reprendre l’ensemble de son territoire aux Russes, « voire d’aller plus loin ». Dans les couloirs de l’ONU, Volodymyr Zelensky semblait ne pas y croire. « Vladimir Poutine a systématiquement trahi les promesses qu’il a faites au président Trump. Cela finit par se voir et a des conséquences, analyse le ministre Jean-Noël Barrot. Cela valide l’approche qui a été la nôtre ces derniers mois. »
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Author : Corentin Pennarguear
Publish date : 2025-09-25 15:26:00
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