L’Express

John Elkann, président de Stellantis et de Ferrari : « Les sociétés à contrôle familial ont de meilleures performances »

John Elkann, président de Stellantis et de Ferrari : « Les sociétés à contrôle familial ont de meilleures performances »

A 49 ans, John Elkann incarne la cinquième génération d’une dynastie d’entrepreneurs parmi les plus respectées d’Europe : les Agnelli. Ce nom qu’il ne porte pas, mais dont il a mesuré le poids très jeune, est indissociable de l’histoire économique de l’Italie. En 1899, Giovanni Agnelli, un ancien officier passionné de mécanique, fonde à Turin la Fabbrica Italiana Automobili Torino, plus connue sous son acronyme : Fiat. Un premier succès dans l’industrie automobile naissante qui lui permet de décupler ses investissements : dans la banque, l’assurance, la distribution, l’aéronautique, la défense, la presse, le football et même les stations de ski.

Après une régence d’une vingtaine d’années assurée par Vittorio Valletta, un dirigeant extérieur à la famille, Gianni Agnelli, le petit-fils de Giovanni, reprend en 1966 les commandes du conglomérat, qu’il n’aura de cesse d’internationaliser. Le destin, finalement, s’en mêle et, une fois de plus, dans ce clan où les femmes sont systématiquement écartées du pouvoir, le sceptre saute une génération. Le fils unique de Gianni n’a jamais voulu lui succéder. Son neveu Giovannino était programmé pour, mais quatre ans après son entrée au conseil d’administration de Fiat, il meurt à 33 ans d’un cancer foudroyant. En 1997, le patriarche place donc tous ses espoirs en un jeune homme discret de 21 ans, John Elkann, l’aîné de sa fille, Margherita Agnelli, et de son premier mari, le journaliste et écrivain Alain Elkann.

Né à New York, élevé au Royaume-Uni puis au Brésil, bachelier du lycée Victor-Duruy, à Paris, John Elkann se sait attendu au tournant. Avec l’aide de Sergio Marchionne, un financier madré appelé au chevet de Fiat, qui frôle alors la faillite, il parvient à sauver le constructeur en le mariant à Chrysler, puis à le consolider en le rapprochant de PSA Peugeot-Citroën. L’alliance a donné naissance à Stellantis, qu’il préside aujourd’hui. A travers Exor, la société d’investissement contrôlée par les Agnelli, « Jaki » – son surnom dans la famille – pilote aussi les bolides Ferrari, les tracteurs Case et New Holland, les camions et les bus Iveco, les rotatives de La Stampa, La Repubblica et The Economist, le mercato de la Juventus de Turin, les luxueuses collections de la maison chinoise Shang Xia… Un portefeuille valorisé au 30 juin dernier à plus de 36 milliards d’euros, net de dette. Six fois plus qu’en 2009, quand cette structure a vu le jour.

Au conseil d’Exor, John Elkann côtoie sa sœur Ginevra, deux de ses cousins, ainsi qu’Axel Dumas, le gérant d’un autre fleuron familial situé de ce côté-ci des Alpes : Hermès. Dans un français parfait, il revient pour L’Express sur son incroyable parcours, marqué par un sens aigu et précoce des responsabilités.

L’Express : Vous êtes à la tête d’un empire qui opère dans de nombreux secteurs, de l’automobile au sport, en passant par la santé, le luxe ou les médias. Comment passe-t-on du statut d’héritier à celui de patron ?

John Elkann : Je viens d’une famille qui donne et qui croit en la faculté de chacun d’entreprendre. Dès ma jeunesse, je me suis intéressé au monde de l’entreprise. En parallèle de mes études d’ingénieur à l’Ecole polytechnique de Turin, j’ai travaillé sur la chaîne de montage d’une usine Fiat en Pologne, puis dans une concession automobile à Lille. J’ai eu très tôt un rapport tangible au travail. J’ai aussi exercé très tôt des responsabilités. Le décès de mon grand-père Gianni Agnelli, en 2003, puis celui de mon grand-oncle Umberto Agnelli, l’année suivante, m’ont propulsé au cœur des affaires de notre famille à moins de 30 ans.

La notion de « responsabilité » est fondamentale dans l’acte de diriger. C’est la responsabilité de sélectionner les gens qui vous entourent. De faire des choix, de décider. Quelle que soit la taille de la structure professionnelle, on peut être impliqué, engagé. Mais être responsable, même si on passe nécessairement par une phase d’apprentissage, cela change tout.

Le capitalisme familial s’inscrit dans le temps long. Cette approche n’est-elle pas bouleversée aujourd’hui par les tensions géopolitiques, et la versatilité de Donald Trump, qui exigent de prendre des décisions quasiment au jour le jour ?

La clé d’une stratégie sur le temps long, c’est d’être capable, précisément, d’apporter de la stabilité dans les moments de forte instabilité. Je suis né dans les années 1970 au moment où l’Italie était secouée par les attentats des Brigades rouges, « les années de plomb ». A cette époque, ma famille et mon grand-père ont pris leurs responsabilités [NDLR : Gianni Agnelli est resté en Italie, à la tête de Fiat et du patronat, alors qu’il était traqué par les terroristes d’extrême gauche]. En 2009, au plus fort de la crise financière, Fiat est entré au capital de Chrysler, ce qui a ouvert de nouveaux horizons aux deux constructeurs.

En 2020, Exor, la société d’investissement de notre famille, est intervenue en augmentant sa participation dans Via, une start-up américaine de covoiturage, afin de la soutenir à un moment où la pandémie paralysait les transports dans le monde entier, sans l’abandonner dans la difficulté. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les dirigeants de cette entreprise. Elle s’est introduite en Bourse, à New York, il y a deux semaines, et c’est un franc succès. Au fil des décennies, nous avons démontré notre capacité à réagir rapidement face aux difficultés.

En 2009, lors du premier jour de cotation d’Exor, le cours d’ouverture était de 5,36 euros. Aujourd’hui, il dépasse les 80 euros. C’est une croissance plus de deux fois supérieure à celle de l’index MSCI World, qui couvre la quasi-totalité des entreprises cotées dans les pays développés. Cette surperformance s’explique-t-elle par la nature familiale d’Exor ?

Ces résultats sont d’abord liés aux résultats des entreprises auxquelles Exor s’est associé. D’après les études empiriques, les sociétés à contrôle familial tendent effectivement à avoir de meilleures performances que le marché. L’alignement des intérêts entre l’actionnaire et l’entreprise, le souci d’une bonne gouvernance, la responsabilisation des équipes chargées de la gestion opérationnelle, tous ces ingrédients permettent de faire, avec passion et détermination, davantage de bons choix que de mauvais sur les différents marchés où nous sommes en compétition.

Ces choix d’investissements sont-ils guidés par des convictions propres à la famille ?

Nous sommes le fruit de notre histoire, qui est à la fois entrepreneuriale et industrielle. Mais il faut aussi regarder l’avenir. Après le Covid, nous avons décidé d’investir dans le secteur de la santé. En 2022, nous avons pris une participation de 10 % dans l’Institut Mérieux à Lyon, aux côtés de la famille Mérieux, puis une autre de 15 %, l’année suivante, dans le néerlandais Philips, qui se recentre depuis quelques années sur le matériel médical et dont nous sommes devenus l’actionnaire de référence.

Comment travaillez-vous avec l’ensemble de votre famille ?

Dès la création de l’ancêtre d’Exor, en 1927, par mon aïeul Giovanni Agnelli, cette structure a été professionnalisée. Elle repose sur une harmonie entre les représentants familiaux et un management aguerri. Notre système de gouvernance engage la famille et responsabilise la direction. La société familiale Giovanni Agnelli est l’actionnaire majoritaire d’Exor. Elle tient deux réunions par an. La première rassemble les 120 actionnaires familiaux. La seconde est un conseil de famille plus resserré, autour d’une trentaine de membres. Enfin, trois représentants de la société Giovanni Agnelli siègent au conseil d’administration d’Exor.

Vous avez des enfants qui sont adolescents. Pensez-vous déjà à votre succession ?

La transmission d’une entreprise passe par l’éducation. A l’école, à l’université mais aussi au sein de la famille, à travers des convictions et des valeurs que l’on partage avec ses enfants. S’agissant des nôtres, ma femme et moi avons toujours considéré notre rôle ainsi : leur donner la possibilité de se réaliser pleinement dans la vie, sans leur imposer la moindre contrainte liée à leur ascendance. Ils seront libres de travailler ou non dans nos entreprises.

Voyez-vous des différences entre l’Italie et la France en matière de capitalisme familial ?

Pas vraiment. Les grands groupes familiaux français sont d’une dimension plus importante qu’en Italie. Ils ne sont pas forcément plus présents dans le tissu économique, mais ils sont sans doute plus visibles.

L’essentiel, pour moi, est que chaque génération puisse s’adapter à son temps et s’engager à sa manière dans l’entreprise. Le musée de l’Aventure Peugeot, à Sochaux, montre bien comment à partir de l’acier, au début du XIXe siècle, différentes branches de la famille se sont lancées dans la fabrication d’une multitude de produits, bien avant l’automobile.



Source link : https://www.lexpress.fr/economie/entreprises/john-elkann-president-de-stellantis-et-de-ferrari-les-societes-a-controle-familial-ont-de-meilleures-57KJDZUUOVDMTKAO2GIJXLS2H4/

Author : Arnaud Bouillin, Eric Chol

Publish date : 2025-09-24 18:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express