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Comment expliquer la fascination de certains jeunes pour Hitler ? L’analyse de Tristan Mendès France

Comment expliquer la fascination de certains jeunes pour Hitler ? L’analyse de Tristan Mendès France

La scène est d’une violence inouïe. Ce mercredi 24 septembre, un adolescent de 14 ans a agressé au couteau une enseignante de son collège du Bas-Rhin, avant de se poignarder lui-même dans le cou au moment de son interpellation par les forces de l’ordre. Sans antécédents judiciaires, le jeune homme, en situation de handicap et pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, n’était pas signalé comme un élève violent – il avait en revanche fait l’objet d’une sanction disciplinaire et d’une exclusion temporaire du fait de « sa fascination vis-à-vis d’Hitler et des armes », a indiqué la ministre démissionnaire de l’Education nationale, Elisabeth Borne. « En début de semaine, il a de nouveau dessiné des symboles « SS » sur un cahier, et une procédure disciplinaire était prévue », a-t-elle précisé.

Un « attrait » pour le nazisme qui n’est pas sans rappeler celui de Justin P., 15 ans, qui a tué de 57 coups de couteau l’une de ses camarades de classe le 24 avril dernier, dans un lycée privé de Nantes. Le jeune homme, présenté par le procureur Antoine Leroy comme « extrêmement solitaire », manifestait lui aussi « clairement une certaine fascination pour Hitler ». Un comportement qui lui avait notamment valu une convocation avec sa mère devant la direction de l’établissement, quelques semaines avant les faits.

Alors que certaines vidéos de discours d’Adolf Hitler se retrouvent sur les réseaux sociaux sans aucune modération, et que les idées néonazies se partagent désormais en quelques clics, le spécialiste du complotisme et du numérique Tristan Mendès France décortique un phénomène de diffusion « inquiétant », qui peut notamment viser les jeunes les plus fragiles, et les aspirer dans des contenus toujours plus violents.

L’Express : La fascination pour Adolf Hitler et le IIIe Reich a toujours existé dans certains cercles, notamment néonazis. Comment expliquer la diffusion de telles idéologies à un plus large public, et notamment chez les plus jeunes ?

Tristan Mendès-France : Au-delà des franges idéologiques traditionnelles de l’extrême droite radicale française ou européenne, qui ont toujours porté la figure d’Adolf Hitler en étendard, de nouveaux cercles ont en effet commencé à s’y intéresser indirectement, notamment du fait de la mise à disposition des argumentaires révisionnistes ou négationnistes sur les réseaux sociaux, portés par les algorithmes. L’accessibilité à de tels contenus s’est multipliée en quelques années, et explique à elle seule une grande partie du phénomène : dans les années 1990, par exemple, il fallait aller se perdre dans des librairies d’extrême droite radicale pour trouver quelques livres négationnistes ; on les trouve maintenant en quelques clics sur Internet, sans aucune mise en contexte, sans aucune prévention.

Cette fascination pour Hitler est également selon moi l’un des symptômes de ce qu’on appelle la « post-vérité », c’est-à-dire lorsque les croyances personnelles ou les opinions des individus prennent plus de poids que les faits objectifs ou la vérité vérifiable d’une information. On assiste ainsi à la remise en cause générale par un large public de certains consensus scientifiques ou historiques, de paroles d’experts, de représentants de l’autorité… C’est ce qui favorise par exemple le complotisme autour des vaccins ou du 11-Septembre. Cela ouvre la voie à l’émergence de discours marginaux, non-fondés scientifiquement ou historiquement, qui vont petit à petit trouver un couloir de diffusion, une certaine viralité sur les réseaux sociaux, et augmenter ainsi leur visibilité et leur crédibilité – y compris dans des cercles qui n’en auraient jusqu’alors jamais entendu parler, ou ne les auraient jamais pris en compte.

Il peut également y avoir une troisième raison, plus spéculative : la plupart des plateformes mondiales de médias sociaux étant américaines, elles sont imprégnées du 1er amendement américain sur la liberté d’expression. L’apologie d’Hitler ou du IIIe Reich n’y est donc pas rare, moins facilement modérée ou condamnée. Sans compter l’affaissement des processus de modération que l’on constate depuis quelques années, mis en place par les plateformes elles-mêmes. Certains gros influenceurs américains n’hésitent ainsi pas à relayer des propos relativistes au sujet de cette période : lorsque Joe Rogan [NDLR : animateur du podcast américain The Joe Rogan Experience, l’un des plus écoutés au monde] invite des historiens aux propos relativistes dans son podcast, par exemple, on ouvre encore une fois la fenêtre d’Overton. Cela sape le blocage naturel que la société peut avoir par rapport à ces sujets.

Dans un rapport publié en septembre 2024, l’ONG américaine Media Matters alertait justement sur des vidéos TikTok reproduisant les discours d’Adolf Hitler, traduits et lus par une intelligence artificielle et publiés sans aucune mise en contexte. Certaines de ces vidéos ont fait des millions de vues. Quel est le rôle des réseaux sociaux dans la mise en avant de contenus nazis ou néonazis selon vous ?

Il faut rappeler que l’apologie de l’idéologie portée par Adolf Hitler est extrêmement marginale, encore aujourd’hui. Mais jusqu’à présent, ces discours avaient uniquement une résonance dans des milieux ultraconservateurs et xénophobes, en particulier chez les militants d’extrême droite. Leur résonance sur les médias sociaux, notamment lorsqu’ils sont diffusés au tout-venant sans aucun contexte, risque en effet de séduire une plus large frange de la population, attirée par cette violence poussée par des algorithmes sans aucune modération. Il ne faut pas non plus exclure la part des utilisateurs qui seront attirés par le côté « troll » de tels contenus, avec une sorte d’ouverture spectaculaire, encore une fois, de la fenêtre d’Overton sur le sujet. Quand on voit qu’Elon Musk lui-même partage des mèmes évoquant indirectement Hitler ou le IIIe Reich, sème des petits clins d’œil aux militants d’extrême droite sur les réseaux sociaux sous couvert « d’humour », c’est une façon de banaliser les références à cette période, et de désanctuariser la condamnation morale de cette part de l’Histoire.

L’isolement social de certains jeunes joue-t-il justement dans cette fascination pour l’idéologie nazie, et pourquoi ?

Chez certains jeunes qui se sentent fragiles et isolés, cela fonctionne à plein. Parce que le ressentiment et la frustration d’un adolescent, qui peut avoir le sentiment de ne pas correspondre à la société dans laquelle il évolue, ne sont pas à sous-estimer. Un jeune qui a envie de tout casser peut se réfugier dans certaines idées radicales – c’est d’ailleurs le mécanisme que l’on retrouve dans l’attrait pour les communautés masculinistes, considérées comme un refuge par certains d’entre eux. Des adolescents très isolés, qui tentent de dépasser les limites, peuvent ainsi éprouver une certaine forme d’attraction pour la figure du réprouvé absolu, du mal absolu, que représente Adolf Hitler. Leur fragilité les pousse vers ces figures radicales, avec cette image de force fantasmée, de puissance projetée, à laquelle ils voudraient s’associer.

Et puis il y a le fait que les communautés les plus radicales, notamment celles qui font l’apologie du IIIe Reich, sont petites, fermées sur elles-mêmes et très actives, et peuvent donner à un jeune isolé un réel sentiment d’appartenance, de communauté, et un nouveau « sens » à son quotidien. Les individus qui font partie de ces cercles sont le plus souvent rejetés – ou se sentent rejetés –, et ne trouvent pas leur compte dans les références sociales communes que nous partageons dans notre société. Ils se rapprochent donc de figures communément rejetées, pour les hisser en étendard dans une forme de contre-culture radicale. Ces phénomènes sont à mon sens d’autant plus inquiétants que ce qui nous permet justement de faire société, c’est d’avoir une histoire commune. Si chacun prépare son cocktail historique en fonction de ses préjugés idéologiques ou de son agenda politique, cela ne peut avoir pour résultat que de fragmenter les sociétés. C’est le propre des dictatures ou des régimes populistes.

Dans l’Histoire récente, à quelles périodes a-t-on, selon vous, pu voir ressurgir ce type de fascination pour la figure d’Adolf Hitler, notamment chez les jeunes ?

Mon sentiment, c’est que la frange de personnes percevant Adolf Hitler comme un « héros » a toujours été ultra-marginale, mais s’est ouverte avec la mort des derniers survivants de la Shoah, et l’éloignement de cette période dans l’Histoire. Mécaniquement, l’empreinte mémorielle et les garde-fous sont de moins en moins présents physiquement, ce qui laisse plus de place à certaines remises en cause historiques, poussées par les réseaux sociaux.



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2025-09-26 15:37:00

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