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Nicolas Sarkozy et « l’argent libyen » : pourquoi la justice lui a donné raison… tout en le condamnant

Nicolas Sarkozy et « l’argent libyen » : pourquoi la justice lui a donné raison… tout en le condamnant

Des années qu’il le clame. « Pas d’argent liquide. Pas d’argent tout court. C’est pas mes explications, c’est des faits », avait harangué Nicolas Sarkozy lorsqu’il nous avait reçu, avec mon co-auteur Laurent Valdiguié, pour notre livre titré Le Parrain. Sarko après Sarko, en 2023. « Pas un seul centime » d’argent libyen sur ses comptes pourtant « lasérisés » poursuivait-il, le visage traversé de colère. Ce jeudi 25 septembre, la justice lui a donné totalement raison sur ce point. Et pourtant elle l’a condamné lourdement. Paradoxe inouï – mais pas forcément contradictoire – d’un procès hors normes.

Sitôt le verdict prononcé, Nicolas Sarkozy a fustigé la « haine » des magistrats qui l’ont condamné. Les juges ont pourtant retenu son argumentation, plutôt que celle du Parquet national financier (PNF) sur un pan entier de l’affaire, à savoir le financement effectif de la campagne présidentielle de 2007. La décision laisse même apparaître un raisonnement des juges subtil, balancé.

Face à l’absence d’argent liquide retracé, le tribunal correctionnel a dû se rendre à l’évidence : il n’y avait pas de preuve suffisante pour condamner Nicolas Sarkozy pour « recel de détournement de fonds publics » et « financement illégal de campagne présidentielle ». Pas d’argent liquide dans la campagne ? Pas d’argent tout court ? « Mais parfaitement ! », répondent en substance les juges. Non pas qu’ils ne considèrent pas l’hypothèse comme plausible, mais la justice est ainsi faite, face à l’absence de preuve, le doute bénéficie à l’accusé.

Loin de retenir tous les éléments à charge contre l’équipe Sarkozy, les juges en ont encore écarté certains, comme les témoignages ultra-fluctuants de Ziad Takkieddine, ou un document de Moussa Koussa, ancien ministre des Affaires étrangères libyen, dont la véracité est contestée.

L’idée d’un pacte

Comment alors Nicolas Sarkozy a-t-il pu être condamné à cinq ans de prison ? Pour le comprendre, il faut se plonger dans la mécanique juridique de la délinquance financière. Le délit d’association de malfaiteurs peut être constitué même si l’objet de cette entente occulte ne s’est pas réalisé. En clair, même s’il n’est pas prouvé que la Libye a au final irrigué les comptes de campagne du candidat Sarkozy en 2007, le fait d’avoir eu cette intention, même avant de changer d’avis, même sans finalement aller jusqu’au bout, constitue une infraction.

Les juges ont retenu à charge, en particulier, une série de voyages à Tripoli effectués par Claude Guéant et Brice Hortefeux, en compagnie de l’intermédiaire ô combien sulfureux Ziad Takieddine, au cours desquels ils ont rencontré Abdallah Senoussi, chef du renseignement libyen. Ce dernier est condamné à perpétuité en France pour avoir été le commanditaire de l’attentat du DC-10, en septembre 1989, par lequel 54 Français ont péri. Comment comprendre cette entrevue occulte, organisée sans membres de l’ambassade, avec un terroriste, sinon que comme des pourparlers pour des financements politiques ? Les virements libyens parvenus à Ziad Takkiedine juste après ces rencontres accréditent l’idée du pacte, et les juges les ont retenus comme des pièces majeures.

Quid de Nicolas Sarkozy ? Les magistrats ont considéré qu’étant donné sa position de chef de la majorité, patron de la droite, et surtout donneur d’ordres incontesté de Claude Guéant et Brice Hortefeux, il n’avait pu qu’être tenu au courant de ces manœuvres interdites. Qui en effet pense sérieusement qu’un directeur de cabinet peut filer en Libye sans tout rapporter à son ministre, surtout s’il a la personnalité dominante de Nicolas Sarkozy ? On pourra considérer que c’est maigre. On peut aussi estimer que c’est, à rebours des outrances proférées par certains responsables politiques, l’œuvre d’une justice rigoureuse : relaxer quand les éléments manquent sur des infractions matérielles et condamner quand il n’y a pas vraiment de doutes sur les liens de subordination en présence.

Bien sûr, cette condamnation accompagnée de trois relaxes servira l’argumentaire de Nicolas Sarkozy. Si l’édifice du financement libyen de la présidentielle de 2007 est tombé, il ne reste plus qu’à mettre en doute l’autre moitié de la démonstration : la connaissance, par le même Nicolas Sarkozy, des manœuvres de ses subordonnés. Ce sera l’objet principal du procès en appel.

« Défense de rupture »

Une remarque toutefois : la « défense de rupture » de Nicolas Sarkozy, qu’on pourrait résumer par l’adage « la meilleure défense, c’est l’attaque », caractérisée par une mise en cause continue des juges et la prise à témoin de l’opinion, a rencontré un grand succès médiatique… mais a débouché sur des désastres judiciaires à répétition, dans les affaires Bismuth et Bygmalion.

La décision d’accompagner la condamnation d’un emprisonnement immédiat, ce qu’on appelle, en jargon judiciaire, « l’exécution provisoire », est particulièrement sévère. Elle pourra choquer, et on peut estimer que dans un Etat de droit, cette atteinte à la présomption d’innocence doit être réservée aux cas les plus graves. Mais n’oublions pas la raison d’être de cette mesure : il s’agit de préserver l’intégrité de la justice, voire de la société, quand une libération de la personne pourrait la menacer, pour un risque de fuite, de récidive, d’intimidation de témoin. Est-ce le cas de Nicolas Sarkozy ? On peut absolument le contester. Mais l’intéressé n’a pas, tant s’en faut, convaincu la justice de son comportement exemplaire : il est actuellement mis en examen pour la subornation du témoin Ziad Takieddine… dans la même affaire libyenne.



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Author : Etienne Girard

Publish date : 2025-09-25 16:15:00

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